
En façade, tout va bien. Et surtout, tout va bien se passer. L'économie française résiste bien, répète le gouvernement à l'envie. Alors que l'Allemagne entre en récession, la croissance tricolore reste positive. L'Hexagone attire les entrepreneurs, il se réindustrialise comme le montre encore cette semaine l'ouverture d'une gigafactory de batteries dans le Nord, le taux de chômage reste stable ... Même les chiffres de l'inflation, publiés mercredi 31 mai, augurent des jours meilleurs, puisque, selon l'Insee, la hausse des prix atteint 5,1 % sur un an, après 5,9% le mois précédent. Le fameux « pic » semble derrière nous.
Pourtant, le gouvernement n'est pas serein. Depuis la dégradation en avril dernier de la note de la France par l'agence Fitch, en raison des fortes tensions sociales liées à la réforme des retraites, l'exécutif retient son souffle et vit sous pression. Derrière le discours officiel que livre Bercy, qui se veut serein et détaché - « on ne mène pas une politique en fonction des agences de notation »-, le gouvernement s'active comme il peut, pour éviter une nouvelle dégradation de sa note.
Donner des gages
« La dégradation de la note Fitch a été un véritable coup de semonce au sein de la macronie, le président de la République était furieux », raconte un visiteur du soir du Palais de l'Elysée. Et d'ajouter : « Lui, l'ancien banquier d'affaires, l'ex ministre de l'Economie, reconnu pour ses prouesses en matière de business, se prenait un revers.... ce n'était pas possible. »
Aussi, depuis quelques semaines, encore plus qu'à l'accoutumée, le gouvernement prend-t-il des mesures pour rassurer les agences de notation, pour éviter que l'épisode ne se répète à quelques semaines d'intervalles.
Très concrètement, tous les ministres ont, par exemple, été invités à revoir leurs dépenses et à les réduire de 5%. « Il s'agit de trouver des marges pour financer la transition écologique .... mais pas que, explique un conseiller ministériel. On veut montrer que l'on ne creusera pas la dette et que l'on est sérieux en termes de budget ».
De la même façon, la semaine dernière, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie a proposé d'augmenter de 1% le gel de la réserve habituelle de crédits - en plus des 5 % classiquement prévus. Histoire de souligner, - là aussi aux agences qui nous observent- que la France prend les devants, et adopte une politique de précaution budgétaire en cas d'aléas économiques.
Des rencontres au plus haut niveau
Bruno Le Maire a aussi rencontré, il y a une dizaine de jours, les représentants de Standard & Poor's. Objectif : les convaincre de la capacité de la France à rembourser sa dette, et à mener les réformes. Si ces rencontres sont assez classiques, elles ne sont pas toujours menées par le ministre lui-même... c'est plus souvent le fait des directeurs de cabinet, des directeurs d'administration...
Mais, étant donné l'enjeu, Bruno Le Maire a tenu à être présent pour ces échanges. L'occasion pour le locataire de Bercy, de rappeler la détermination de la France à réduire son train de vie, à ramener son déficit en dessous des 3 % d'ici à 2027, et à se désendetter.
Bruno Le Maire a aussi assuré à ses interlocuteurs toute la détermination du gouvernement d'Emmanuel Macron à mener des réformes, même impopulaires, pour rétablir les comptes publics. Après celle des retraites qui repousse l'âge légal de 62 à 64 ans, le gouvernement prépare une loi Plein emploi - qui modifie les règles du RSA-, un texte pour créer France Travail, à la place de Pôle emploi, une loi immigration, dont un volet s'attaquera aux métiers en tensions...
Des échanges, dont la première ministre en personne, s'est d'ailleurs fait l'écho dans la presse. Là aussi, pour montrer son volontarisme face au rétablissement des finances publiques.
En coulisses, pourtant, devant quelques journalistes, il y a encore quelques semaines - avant le rendu de l'agence Fitch-, la première Ministre évoquait son inquiétude concernant la sentence des agences... et les conclusions qui peuvent en découler. Elisabeth Borne ne cachait pas sa crainte d'un scénario proche de celui que la Grèce a rencontré en 2008.
L'économie française plombée par son fardeau de la dette
Si le gouvernement est aussi pro-actif, c'est parce qu'il ne cesse de le rappeler : la France ne peut continuer à avoir une dette qui frôle les 3.000 milliards d'euros et dépasse les 110 % de notre PIB, avec, surtout, une charge - autrement dit, les intérêts- qui ne cesse de croître. « Nous serons intraitables sur le rétablissement de nos finances publiques, sur la réduction des déficits et sur l'accélération de la réduction de la dette », a encore martelé ces derniers jours à différents micros, Bruno Le Maire.
Aujourd'hui, la charge de la dette publique tricolore dépasse les 40 milliards d'euros, et selon les estimations du gouvernement, ce sera plus de 70 milliards d'euros d'ici à 4 ans.... Soit le premier budget de l'Etat devant l'Education nationale ! De fait, si demain, la note de la France était encore abaissée, le risque de voir les taux d'intérêt augmenter se rapprocherait. Et cette charge serait encore plus importante à l'avenir. « Il en va de notre souveraineté », assure encore Bruno Le Maire, qui s'est engagé à mener une revue des dépenses publiques.
Une revue des politiques publiques
Tous les postes sont passés au crible pour identifier les économies possibles. Les premières conclusions de ce travail seront présentées le 19 juin prochain. Bercy entend aussi retrouver des marges de manœuvre avec la fin du bouclier tarifaire et du quoi qu'il en coûte, ou encore la croissance.
Mais ces paris sont risqués. Et si d'aventure, malgré ces efforts, la note de la France était encore dégradée ce vendredi soir...les éléments de langage sont déjà quasiment prêts : « Regardez les conclusions de Fitch ... Elles n'ont pas changé grand-chose, les taux d'emprunt de notre dette n'ont pas explosé », assure un conseiller.
Ou encore, selon les dires d'un autre : « Et puis, dans 6 mois, il y aura d'autres conclusions rendues par Standard & Poor's. ».. Sous-entendu, la session de rattrapage sera vite là... Pas sûr, toutefois, que les investisseurs l'entendent ainsi.