Élisabeth Moreno : « Les femmes ne manquent pas de talents ni d'ambition, elles manquent d'opportunités ! »

Tour à tour entrepreneure dans le bâtiment, dirigeante dans la tech puis ministre déléguée à l'Egalité entre les femmes et les hommes, à la Diversité et à l'Egalité des chances (entre 2020 et 2022), Elisabeth Moreno est aujourd'hui présidente du conseil d'administration du fonds d'investissement Ring Capital, présidente de LEIA Partners et de la fondation Femmes@Numérique. Elle a également lancé l'association La Puissance du Lien, qui organise pour la deuxième année consécutive un événement les 8 et 9 mars. Conférences, ateliers et master classes portant sur les grands enjeux sociétaux de l'inclusion sont au programme. Avec un objectif : promouvoir la connaissance et les actions au service de l'égalité femmes-hommes.
Elisabeth Moreno : « Aucun pays ne peut se prévaloir d'assurer une égalité parfaite entre les femmes et les hommes »
Elisabeth Moreno : « Aucun pays ne peut se prévaloir d'assurer une égalité parfaite entre les femmes et les hommes » (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Quelles sont les avancées qui vous ont le plus satisfaite ces derniers temps en matière d'empowerment des femmes ?

ÉLISABETH MORENO- Beaucoup a été fait ces dernières années mais les changements concrets peinent à s'imposer. J'ai le sentiment que nous faisons parfois un pas en avant et deux en arrière... Même dans la tech, un secteur que je connais bien et qui retient, à juste titre, l'attention, puisque nombre d'emplois de demain seront non seulement dans ce secteur, mais en plus, tous les postes, quels qu'ils soient, comporteront une dimension numérique, nous avons du mal à attirer les filles ou à retenir les femmes. Or je suis convaincue qu'à l'avenir, il faudra savoir lire, écrire et compter mais aussi coder. Les efforts menés dans les collèges, les lycées, les écoles d'ingénieurs, pour créer un vivier de jeunes femmes sont à renforcer, de même que les mesures visant à faire en sorte que les femmes restent dans le secteur, une fois diplômées. Sinon, nous aurons des inégalités encore plus dramatiques qu'aujourd'hui dans le monde du travail et la société de demain.

On parle souvent de la solidarité masculine, mais peu de solidarité féminine. S'il faut, comme vous le dites dans votre manifeste sur La Puissance du Lien, miser sur l'humain et sur l'union, ne doit-on pas aussi l'inclure ?

N'oublions pas que les hommes sont aussi, et souvent, en concurrence ! Reste à savoir pourquoi on parle plus volontiers d'un manque de solidarité des femmes... Ne serions-nous pas capables d'agir ensemble ? Nombre d'exemples, depuis Meet My Mama, une association de quartier qui révèle les talents culinaires des femmes du monde entier en passant par Les Premières, qui accompagnent les femmes créatrices d'entreprises, jusqu'à Sista, qui soutient les entrepreneures dans leur levée de fonds, montrent que les femmes savent être solidaires. Le problème, c'est plutôt que les femmes font moins de réseautage que les hommes, faute de temps, en général. Et si, sur le papier, elles ont les mêmes droits que les hommes, encore faut-il que les lois soient appliquées. La première loi posant le principe de l'égalité de rémunération (pour un même travail ou un travail de valeur égale) date du 22 décembre 1972. Or aujourd'hui encore, ou en tout cas, en 2022, selon les chiffres de l'Insee publiés cette semaine, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 24% à celui des hommes dans le secteur privé. Un écart qui reflète principalement des différences de volume de travail, les femmes étant plus souvent à temps partiel. Pourquoi, lorsqu'il faut passer des salariés à temps partiel, cette proposition est-elle avant tout faite aux femmes ? Pourquoi - et je l'ai constaté moi-même - les femmes reçoivent-elles moins de stock-options que les hommes dans les entreprises de la tech ? Pourquoi les femmes ont-elles plus de difficultés à décrocher des augmentations de salaire et, si elles ont des enfants, à progresser dans leur carrière?

Ce que vous dites, donc, c'est que, malgré les lois, le système, notamment dans les entreprises, est encore biaisé...

Absolument, et pas seulement dans les entreprises, dans les administrations aussi ! A cet égard, le dernier état des lieux du sexisme en France, publié en janvier 2024 par le Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes, est révélateur. Les chiffres montrent que le sexisme est encore très prégnant - par exemple, neuf femmes sur 10 déclarent avoir personnellement subi une situation sexiste - mais en parallèle, la population est de plus en plus consciente et tolère de moins en moins les violences sexistes et sexuelles. Autant dire que le décalage entre cette prise de conscience et le maintien des stéréotypes qui continuent de forger les mentalités et les comportements est évident. Il y a donc clairement un travail collectif à faire sur l'éducation - en famille et à l'école. De même, et notamment dans les entreprises, les efforts doivent redoubler en matière de sensibilisation et de formation, des hommes comme des femmes, puisque ces dernières ont elles aussi intégré, dès l'enfance, des stéréotypes qui minent leur confiance en elles, freinent leurs ambitions et les desservent de façon générale. En fait, les femmes ne manquent pas de talents ni d'ambition, elles manquent d'opportunités ! Selon la loi, elles sont sur la même ligne de départ que les hommes, mais elles ont deux boulets aux pieds pour courir...

Pas étonnant dans ces conditions que seules trois des sociétés du CAC 40 soient dirigées par des femmes (Catherine MacGregor chez Engie, Christel Heydemann chez Orange et Estelle Brachlianoff chez Veolia). C'est d'ailleurs pour cela qu'en plus de l'Index de l'égalité professionnelle, lancé en 2018 par Muriel Pénicaud, j'ai largement soutenu la loi Rixain de 2021, qui, après les conseils d'administration (Loi Copé-Zimmermann de 2011), prévoit la mise en place de quotas de femmes dans les comités exécutifs et de direction des grandes entreprises à partir de 2026. Les talents féminins sont là, il suffit de faire en sorte qu'ils se déploient.

Quid des rôles modèles ?

Ils sont très importants. Et nous visons, avec notre événement des 8 et 9 mars, la célébration mais aussi la mise en avant de la diversité des rôles modèles, dans des domaines variés, afin d'éviter d'avoir seulement quelques stars que l'on voit partout dans les médias et auxquels certaines femmes, dans les quartiers ou les territoires, ont du mal à s'identifier. En outre, nous remettons le Prix du colibri, qui met en lumière et reconnaît les femmes et les hommes engagés et qui « font leur part » pour que notre société ne se défasse pas.

Mais est-ce que cela suffit ?

Au-delà de cela, il s'agit non seulement d'améliorer certains dispositifs - ainsi, je me suis battue pour que les congés paternité soient doublés, par exemple - mais aussi de s'assurer que les lois déjà en place soient appliquées. Et si ce n'est pas le cas, de sanctionner ! Pour l'heure, les sanctions sont quasi inexistantes. C'est vrai dans le monde du travail, mais encore plus dans la société civile. Souvenez-vous qu'en France, moins de 2 % des affaires de viols aboutissent à une condamnation de l'auteur des faits ! En outre, la vigilance est de rigueur. Si Simone de Beauvoir rappelait déjà, en 1949, « qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis », ce n'est pas par hasard. Qui aurait imaginé que le droit à l'avortement aurait été remis en cause aux Etats-Unis ? Et que la moitié de la population d'un pays - les femmes en Afghanistan - n'auraient plus droit à l'éducation ni au travail ?

Lorsque ces situations se produisent, ce sont toutes les femmes, partout dans le monde, qui sont en danger. Là encore, cette situation appelle la solidarité. A l'heure actuelle, la crise - économique, écologique, politique - est universelle et aucun pays ne peut se prévaloir d'assurer une égalité parfaite entre les femmes et les hommes.

On voit, aux Etats-Unis en particulier, mais aussi en Europe, une défiance grandissante de la part de certains hommes vis-à-vis du féminisme. Si l'on peut aisément expliquer le phénomène, comment le contrer ?

Deux choses sont à noter dans cette résistance du patriarcat. D'une part, ce backlash est instrumentalisé à des fins politiques. D'autre part, il est clair que nous n'arriverons pas à convaincre ces hommes. Cela dit, ils ont compris que le monde est en train de changer. Nous assistons à un véritable tournant civilisationnel. Et, une fois de plus, c'est par l'éducation, la sensibilisation, la formation, que nous ferons en sorte que les hommes n'aient pas peur de perdre leur pouvoir, et qu'ils souhaitent vivre dans une société plus équilibrée, plus apaisée, au lieu d'un système dominants/dominées, totalement dysfonctionnel en tant que tel.

Comment vous positionnez-vous dans le débat lancé par le Président Macron sur la démographie et le fait de la « réarmer » ?

S'il est normal qu'un chef d'Etat se préoccupe de la démographie - après tout, cela fait partie des éléments de succès du développement d'un pays, je préfère qu'on laisse les femmes libres de choisir. Et avant de vouloir réarmer - et je trouve ce mot trop violent quand il s'agit de fonder une famille - le ventre des femmes, il faudrait d'abord créer un contexte plus favorable à la maternité, sous forme de crèches plus nombreuses, de facilités plus grandes pour gérer un bon équilibre personnel et professionnel, tout au long de leur carrière professionnelle, et de congés paternité plus longs pour le partage des charges familiales, car aujourd'hui, beaucoup de femmes n'ont pas d'autres choix que de travailler et elles manquent trop souvent de soutien.

Ne craignez-vous pas qu'à l'issue des journées que vous organisez les 8 et 9 mars, les participants repartent certes gonflés à bloc, mais peu équipés en termes concrets pour leur action quotidienne et que leurs bonnes résolutions se perdent vite ?

En fait, nous ne nous arrêtons pas à ces deux jours. Nos programmes, aussi bien de formation pour dynamiser la confiance et l'estime de soi des femmes que de mentorat, se poursuivent tout au long de l'année. Des mois rythmés également par d'autres activités, dont des séminaires sur les femmes et l'argent, par exemple, et des événements dans plusieurs territoires. Nous sommes sur plusieurs fronts. Ainsi, nous avons des ateliers de création de contenus pour les réseaux sociaux, d'autant qu'on s'aperçoit que non seulement les femmes sont peu nombreuses à en créer, mais qu'en plus, les images qui y sont projetées par les hommes sont loin, en général, d'être favorables aux femmes.

Propos recueillis par Irène Frat

Commentaires 4
à écrit le 08/03/2024 à 13:48
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Si le seul horizon offert est de "savoir coder", au secours ! La vie a quand même d'autres centres d'intérêt

à écrit le 08/03/2024 à 9:50
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si elles veulent des opportunites, elles peuvent se les creer!! je connais plein de femmes qui sont independantes ou chef d'entreprises! y a que des baveux de gauche qui ont appartenu a des gouvernement qui ont coule la france et decourage tout le mo...

à écrit le 08/03/2024 à 9:49
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Pas besoin d'un ministre une loi suffit pour interdire les différences de salaires pour un même poste entre hommes et femmes. Si c'est juste pour continuer à constater les écarts de salaire c'est inutile et bien trop cher.

à écrit le 08/03/2024 à 7:27
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"J'ai le sentiment que nous faisons parfois un pas en avant et deux en arrière... " Alors que l'on vous vois et entend beaucoup.

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