Emploi : « Il y a une crise de la compétence en France » (Adecco)

ENTRETIEN. Aux manettes du numéro un mondial de l'intérim, Denis Machuel (PDG) et Alexandre Viros (président France) annoncent en exclusivité pour La Tribune un vaste plan de formation de 50.000 personnes dans l'Hexagone pour répondre aux difficultés de recrutement. Présents à l'événement Choose France au château de Versailles ce lundi, les deux dirigeants espèrent contribuer à la réindustrialisation tricolore.
Grégoire Normand
Alexandre Viros (Président France) et Denis Machuel (PDG monde).
Alexandre Viros (Président France) et Denis Machuel (PDG monde). (Crédits : Caroline Bazin)

LA TRIBUNE- L'économie mondiale continue de traverser une zone de fortes turbulences. Comment se positionne Adecco dans cette conjoncture économique morose ? 

Denis Machuel- Notre groupe a démontré une croissance supérieure au marché sur le premier trimestre 2023 avec une hausse de 8% de notre activité. Notre marge brute est très solide. Ce qui montre une croissance saine dans toutes nos activités autour du travail temporaire (Adecco), des managers et des exécutifs (LHH), et de l'ingénierie avec Akkodis.

Cette activité en particulier apporte une puissance de frappe à nos clients sur des projets de recherche et développement et de numérisation. D'un autre côté, il y a une croissance spectaculaire sur les activités de transition de carrière au premier trimestre (+63%). C'est grâce aux Etats-Unis,  les restructurations dans la Tech ont boosté l'activité de LHH mais témoignent d'un ralentissement de l'économie. Ailleurs, on observe néanmoins une dynamique très forte pour le recrutement en Asie Pacifique et en Amérique Latinetandis qu'en Europe, l'Allemagne et l'Italie affichent des bonnes performances.

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Le groupe Adecco prévoit de venir à l'événement Choose France au château de Versailles ce lundi 15 mai. Pourquoi votre groupe fait-il le déplacement ?

Denis Machuel- La France est le premier marché d'Adecco dans le monde même si notre groupe est présent dans plus de 60 pays. La France est un marché attractif et dynamique même s'il y a encore  beaucoup de choses à faire. Le groupe Adecco est un vecteur d'attractivité pour des entreprises étrangères qui chercheraient à s'implanter. Dans un contexte géopolitique bouleversé, la France peut tirer son épingle du jeu. Beaucoup d'industriels cherchent des acteurs pour les accompagner dans le recrutement. Nous pouvons être un acteur de la réindustrialisation de la France.

Alexandre Viros- Le groupe prévoit de former 50.000 personnes en 2023. C'est un record. Il n'y a pas de réindustrialisation sans les talents. Pour créer de la compétence, il faut beaucoup former. Le groupe assume le pari d'avoir des talents bien formés. Nous prévoyons un budget de près de 100 millions d'euros pour assurer ces formations, dans le cadre de nos contributions légales et conventionnelles.

Sur quels secteurs allez-vous concentrer vos efforts en matière de formation ?

Alexandre Viros- Il y aura beaucoup de formations sur l'industrie, l'automobile et le BTP. Ce secteur est intéressant car il est possible d'avoir une belle trajectoire professionnelle. La logique des formations est de répondre aux besoins réels de l'économie.

Emmanuel Macron a mis l'accent sur la réindustrialisation ces derniers jours. Vos agences ont-elles des difficultés à recruter des bras pour l'industrie tricolore ? L'Allemagne connaît-elle aussi des pénuries de main d'oeuvre pour son industrie ?

Alexandre Viros- La France a payé certains choix depuis plusieurs décennies en matière de compétences. La France a sûrement plus de difficultés que certains de ses voisins. C'est un défi important. Toutes les parties prenantes vont devoir marcher ensemble sur ces problématiques.

Denis Machuel- L'Allemagne a un passé industriel important. Elle reste malgré tout confrontée à des difficultés de recrutement. En France, il y a des viviers de talents dans les quartiers prioritaires de la ville, dans la population immigrée, dans les personnes éloignées de l'emploi. Il faut s'appuyer sur toutes nos forces.

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Un an après votre arrivée à la tête du groupe, quelle est votre feuille de route pour les mois à venir ?

Denis Machuel- Le groupe a mis en place depuis deux ans la stratégie « Future at Work » sur l'avenir du travail. Cette orientation consiste à construire des briques autour des talents dont nos clients ont besoin. Dans l'industrie et les services, les entreprises ont besoin de talents pour livrer des performances. Cette stratégie repose sur nos 3 activités : Adecco, Akkodis et LHH et sur deux axes principaux : le focus client et le digital. Opérationnellement, notre dynamique s'articule autour de trois piliers : simplifier, exécuter et croître. Cette feuille de route a délivré de bons résultats au premier trimestre.

En Europe et en France, les créations d'emplois ont ralenti depuis plusieurs mois mais le chômage continue de baisser. Dans le même temps, la croissance marque le pas depuis la guerre en Ukraine. Comment expliquez-vous ce paradoxe d'une faible croissance riche en emplois ?

Denis Machuel- En Europe, ce paradoxe peut s'expliquer par la rareté des talents. Il y a des facteurs démographiques avec le départ à la retraite de la génération du baby-boom. Après la pandémie, beaucoup de travailleurs ont montré qu'ils étaient prêts à travailler moins  et préfèrent améliorer leur qualité de vie. Beaucoup de femmes sont sorties du marché du travail. Certains seniors sont également sortis de ce marché. Enfin, il y a un fossé des talents. Avec la transition technologique et la transition écologique, il y a des savoir-faire qui ne sont pas à la hauteur des besoins.

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Alexandre Viros- En France, les secteurs mis sous cloche pendant la pandémie comme l'hôtellerie-restauration ou le BTP n'arrivent toujours pas à recruter. Les salariés sont allés trouver du travail dans d'autres secteurs. Il y a aussi des difficultés liées à la géographie et à la desserte en transports en commun. Il faut favoriser la mobilité. Avec l'augmentation » du coût des carburants, les salariés ne vont pas forcément accepter un emploi éloigné de leur domicile.

La formation est un enjeu déterminant. Il s'agit de créer des compétences dans des secteurs en transformation profonde comme l'automobile. Le passage du moteur thermique au moteur électrique nécessite de nouvelles compétences. L'ouverture de nouvelles centrales nucléaires va nécessiter des soudeurs. Or la France n'a pas ses compétences. Il y a une crise de la compétence. Notre métier n'est pas juste d'aller chercher des clients. Il s'agit de comprendre les besoins en emploi.

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La réforme des retraites a remis au centre des débats la question cruciale de l'emploi des seniors. Le taux d'emploi des plus de 55 ans est très bas dans l'Hexagone. Une autre partie importante n'est ni en emploi, ni à la retraite. Quels seraient les leviers pour améliorer l'emploi des seniors ?

Alexandre Viros- Pendant longtemps, cette question s'est résumée à la sortie des seniors du monde du travail. Nous n'étions pas hostiles à l'index des seniors proposé par l'exécutif. Il faut mesurer la participation des seniors dans les entreprises.  Nous nous engageons à augmenter la part des seniors parmi nos intérimaires de 20% en 2023.

C'est un engagement important. Il y a aussi la question cruciale de la formation des seniors. Les seniors ont deux fois moins recours à la formation que les autres catégories d'âge. Il s'agit de réfléchir en termes de trajectoire professionnelle et pas uniquement de rétention. Je suis convaincu que le départ d'un salarié expérimenté est une perte sèche pour l'entreprise.

Denis Machuel- Dans un monde de rareté des talents, la sortie de gens expérimentés peut se payer très cher. On a pu le voir dans la filière nucléaire. La France a un réservoir de talents formidables. Il y a un sujet de flexibilité sur les fins de carrière. Il ne faut pas uniquement réfléchir en termes de coût pour l'entreprise. Il faut changer le regard sur le monde des seniors.

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Malgré les aides massives en faveur de l'apprentissage, le taux de chômage chez les jeunes demeure élevé. Comment améliorer l'insertion professionnelle des jeunes  ?

Denis Machuel- Le soutien à l'apprentissage doit se poursuivre. En Allemagne et en Suisse, l'apprentissage est très connecté aux besoins de l'entreprise. La force de l'apprentissage est la connexion entre la formation et les besoins. Une partie des formations que nous prévoyons va se concentrer sur l'apprentissage. Sur les 50.000 personnes formées, 6.500 seront consacrées aux apprentis.

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En France, les recrutements se basent la plupart du temps sur l'envoi de CV. Quel regard portez-vous sur cette pratique ?

Alexandre Viros - La France est une société malade du diplôme. C'est contre productif. Les candidats de 35 ans ou 45 ans sont jugés sur les réussites et les échecs lorsqu'ils avaient 20 ans. C'est injuste. Notre groupe est un promoteur d'un recrutement sans CV à travers notamment notre plateforme digitale QAPA.

 Il peut se faire sur des analyses scientifiques des soft skills. Ces pratiques permettent d'élargir le champ des emplois auxquels les candidats peuvent prétendre. Le recrutement sans CV est vertueux pour l'économie et les individus.

Propos recueillis par Grégoire Normand

Grégoire Normand
Commentaires 15
à écrit le 16/05/2023 à 5:37
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Ce n'est pas nouveau, notre éducation nationale donne un savoir, quand l'éducation allemande donne un métier. Ce n'est pas dans la médecine qu'il faut un numérus clausus, mais dans les sciences humaines, la littérature et toutes ces filières stériles...

le 16/05/2023 à 22:01
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Aux dernières nouvelles le business social de l'éducation nationale ne donne aucun savoir mais coûte au contribuable français 70+ Mds/an. Concernant l'instruction outre-Rhin elle n'offre que de la chair à canon au patronat du saint empire german...

à écrit le 15/05/2023 à 18:40
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Je crois qu'il pense d'abord à notre gouvernement et à notre cher "élite". Qui n'a jamais rien compris depuis la guerre de 100 ans...

à écrit le 15/05/2023 à 17:30
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Le problème ce n'est pas tant une crise de compétence mais surtout d'incompétence particulièrement chez les cadres dirigeants qui ne savent pas recruter du personnel compétent puisqu'eux-même ignorent tout de l'activité de l'entreprise qu'ils diri...

à écrit le 15/05/2023 à 14:58
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Perte de compétences ? A cause de qui ? Adecco peut-être ???? Je suis chez akkodis (adecco + akka) et je peux vous assurer que s'il y a des pertes de compétences c'est à cause non seulement de managers qui ne pense qu'au fric et pas à la qualité de...

le 16/05/2023 à 11:39
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"...à cause des clients qui demandent toujours plus pour moins cher":: c'est vrai! Les clients ont de moins en moins les moyens de la qualité. Ça vaut pour le logement, l'alimentation et les technologies d'aujourd'hui. On retrouve évidemment cela dan...

à écrit le 15/05/2023 à 14:41
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1 heure de formation pro à 73€ en France vs 54€ en moyenne en Europe (35% + cher en France) !

à écrit le 15/05/2023 à 11:30
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Des filières entières en France sont culturellement bien trop arriérées pour attirer et garder les bons professionnels, d'où leur propension à chouiner pour bénéficier d'arrivages réguliers de travailleurs peu exigeants... Une modernisation supposera...

à écrit le 15/05/2023 à 11:02
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La formation professionnelle est en premier lieu l'affaire des employeurs .S'ils veulent des compétences qu'ils commencent par former : formation initiale et formation continue , les entreprises qui en ont pris conscience réussissent à avoir des équ...

le 15/05/2023 à 15:56
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former, oui, surtout qu'on entend souvent qu'une partie des métiers de dans 10 ans n'existent pas encore, et donc pas non plus les "bons" candidats pour les occuper. C'est du sur-mesure (les gens travaillant dans les batteries, c'est un domaine parti...

le 15/05/2023 à 16:34
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Dans les DRH française, la réduction des coûts a tendance à primer sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, d'où une addiction sans cesse croissante aux politiques de soutien de l'Etat...

à écrit le 15/05/2023 à 10:56
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La formation professionnelle est en premier lieu l'affaire des employeurs .S'ils veulent des compétences qu'ils commencent par former : formation initiale et formation continue , les entreprises qui en ont pris conscience réussissent à avoir des équ...

à écrit le 15/05/2023 à 9:04
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A l'image des "responsables" qui dirigent la France, il y a bien une crise de compétence au sommet ! ;-)

le 15/05/2023 à 16:00
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c'est pour ça qu'on en change tous les 5 ans. :-) Ça s'use vite. (le commandant d'un paquebot sait-il entretenir ou réparer les machines diesel ? Pas sûr :-) ) Ce qui compte c'est que les gens qui fabriquent, produisent, agissent, soient, eux, quali...

à écrit le 15/05/2023 à 8:26
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Pas étonnant, quand on voit qu'à pôle emploi on ne peut pas déclarer avoir un bus passe en 2008 (sti fa a f3 ppur ceux qui on connu), normal qu'on ai une crise de compétences de nos jours.

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