
C'est un exercice qu'il affectionne. Depuis maintenant six ans, Emmanuel Macron excelle quand il déclame son discours aux ambassadeurs chaque fin août. Loin des polémiques franco-françaises et de la rentrée politique, le président Macron tente chaque année de synthétiser l'état du monde et la stratégie française, mais cette année, les médias se sont moins arrêtés sur son propos. À tort. Car, cette année, on sent bien que l'homme est à la fois tiraillé par l'inquiétude et l'optimisme. Au début de son propos, il se félicite ainsi que la France est devenue la « première destination des investissements étrangers en Europe » tout en étant « un acteur majeur de la sécurité en Europe et dans le monde ».
Risques géopolitiques
Certes, Emmanuel Macron souhaite montrer qu'il continue de maîtriser la situation internationale, malgré la multiplication ces derniers mois des coups d'État en Afrique, mais le président reste lucide. Évoquant « un contexte de plus en plus compliqué », « un monde perturbé », « de plus en plus fragmenté ». Un peu partout dans le monde, les risques géopolitiques comme les signaux rouges se multiplient. Les alertes également. Depuis quatre ans maintenant, Emmanuel Macron alerte justement sur « le risque d'un affaiblissement de l'Occident, et plus particulièrement de notre Europe ». Bien avant la guerre en Ukraine et la crise du Covid, il avait ainsi pointé le risque d'une OTAN en « état de mort cérébrale » face à la montée des super puissances internationales, et notamment de la Chine.
« Faut être lucide », rappelle Emmanuel Macron. Et de pointer « l'émergence de grandes puissances internationales » et la « dilution de notre part dans les échanges mondiaux ». Le président évoque la crise financière de 2008, mais aussi la crise énergétique, deux événements qui ont renforcé l'affaiblissement de l'Europe, avec une « remise en cause progressive de notre ordre international, de ses principes » ainsi que « de ses différentes formes d'organisation ». Pour Emmanuel Macron, les institutions économiques internationales, comme le FMI ou la Banque Mondiale, issues des accords de Bretton Woods à la sortie de la Seconde guerre mondiale, sont aujourd'hui remises en cause. C'est un « ordre du passé ».
Le président français s'inquiète par la suite de la montée d'une « politique du ressentiment », notamment en Afrique, et pointe un « anti-occidentalisme instrumentalisé ». Toutefois, Macron reconnaît que ce ressentiment est issu d'un « double standard que nous avons parfois nourri, il faut bien le dire, en ajustant le droit international à ce que nous pensions bon, et en oubliant que la souveraineté des peuples était un des préalables à notre action ». Mais sur la situation au Niger, le chef de l'État prévient : « ni paternalisme, ni faiblesse ».
Tensions entre les Etats-Unis et la Chine
Ensuite, tout en évoquant la guerre en Ukraine, et comme il l'avait fait dès 2019 (sans que beaucoup d'observateurs le comprennent à l'époque), Emmanuel Macron s'inquiète d'un « contexte croissant de tensions sino-américaines » qui « bousculent aussi notre droit international ». Et le président ne mâche pas ses mots : « La première et la deuxième puissance commerciale ne respectent pas les règles » avec la montée d'un « nouveau protectionnisme ». Il s'agit pour la France de se sortir de ce piège : « Beaucoup de pays ne veulent pas être enfermés entre la Chine et les Etats-Unis, il y a une troisième voie » avec la France, promet-il.
Le président se félicite alors des nouvelles ressources diplomatiques, militaires et d'aide au développement du pays : augmentation du budget du Quai, doublement du budget des armées à l'issue des deux lois de programmation militaire... Cela fait longtemps qu'Emmanuel Macron souhaite réarmer ces fonctions régaliennes si essentielles face aux crises géopolitiques et mondiales. Faire de l'armée française « l'armée la plus efficace d'Europe, c'est notre objectif ». Face au « risque de partition du monde », à la crise du climat, et à « l'affaiblissement des idées démocratiques », Emmanuel Macron prône la coopération (dans la droite ligne de la diplomatie française), mais il prévient également : « Nous devons avoir une diplomatie assez simple, c'est poursuivre nos intérêts ».
L'Europe plus impliquée dans l'OTAN
Il souhaite ainsi une plus grande implication européenne au sein de l'OTAN. Il dit vouloir « sortir de notre minorité géopolitique » au sein de l'Alliance atlantique. Non seulement en renforçant l'autonomie militaire de l'Union européenne (« Nous devons prendre plus en charge notre sécurité » et prendre notre part dans le « partage du fardeau » avec les Américains), mais aussi en appelant à de nouveaux traités après la guerre pour encadrer les armements et les activités militaires en Europe : « On doit être concepteur et signataire. Jusque-là, l'Europe était un objet géopolitique, mais pas un sujet ». Ou comment passer d'un stade mineur aux responsabilités liées à la majorité. C'est aussi pour cette raison que le président français pense que la réponse ne peut pas être uniquement « sécuritaire », manière pour lui de sous-entendre qu'en partie le règlement de la guerre en Ukraine passera par un volet politique, tout en expliquant que « la Russie ne peut pas gagner cette guerre ». Pour assurer cette sécurité, Emmanuel Macron annonce ainsi des investissements considérables dans les années à venir.
Sur le « front » du Moyen-Orient, Emmanuel Macron évoque ensuite la troisième conférence de Bagdad qui doit se tenir fin novembre. Dans cette partie du discours, le président français lâche un indice sur ce qu'il compte faire dans les prochains mois, quand il rappelle que « tous les pays de la région souhaitent reprendre langue avec la Syrie ». Et de rappeler la volonté de la France de permettre aux réfugiés syriens de réintégrer le sol de leur pays avec des protections, tout en évoquant la « lutte contre le terrorisme » comme un outil pour la France pour reprendre langue plus officiellement avec le régime syrien à travers un « processus politique ». Sur l'Afrique, Emmanuel Macron essaye de se faire optimiste en évoquant les « nouveaux partenaires » de la France que sont le Bénin et le Kenya.
Voilà pour les risques sécuritaires. Emmanuel Macron consacre le reste de son discours aux enjeux économiques pour l'Europe. Il souhaite ainsi réduire les « dépendances économiques », alors que les puissances se partagent le monde dans le cadre de la « prédation des ressources et des matériaux rares ». Pour la France et l'Europe, le président français veut conserver une « capacité à être indépendants », notamment à travers des « technologies civiles et militaires souveraines ». Il se félicite que six ans après son discours de la Sorbonne, dans lequel il avait promu une Europe plus souveraine et qui puisse assurer son « autonomie stratégique », cette priorité est désormais partagée par le plus grand nombre : « Cette idée a été adoptée par tous les Européens ». Mais il est désormais nécessaire de mettre cette idée en pratique, notamment à travers une « politique énergétique... clarifiée », reconnaissant que l'Allemagne et la France ne sont pas d'accord sur le nucléaire.
Comme souvent avec Emmanuel Macron, si les intuitions sont bonnes, la mise en application laisse parfois à désirer. Le président français le sait depuis longtemps : l'homme providentiel n'existe pas. Voilà peut-être pourquoi il n'a pas oublié de remercier avec force l'action de nos ambassadeurs.
Marc Endeweld.