Finances publiques : dans le viseur de Bercy, les collectivités mettent en garde Bruno Le Maire

Lors de ses vœux à Bercy le 5 janvier, le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique s'est fait l'avocat de « revues des dépenses publiques », annonçant des « Assises des finances publiques » en février. Objectifs : n'augmenter ni les impôts, ni la dette. Au lendemain de l'entrée en vigueur du budget 2023 qui acte la fin de la CVAE, le calendrier et la méthode surprennent les édiles. De quel type de « contrat » passé avec l'Etat s'agit-il, s'interrogent déjà les maires et présidents d'intercommunalité. Eléments de réponse.
César Armand
(Crédits : Damien Meyer/Pool/AFP)

C'est une déclaration qui a pris de court les élus locaux lors des vœux du ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle numérique. Au nom du double engagement du président-candidat Emmanuel Macron de n'augmenter ni les impôts ni la dette, Bruno Le Maire a annoncé, le 5 janvier, des « revues des dépenses publiques ». Objectif : « identifier les économies nécessaires au respect de notre trajectoire des finances publiques » pour « nourrir » les futurs budgets. Toutes les dépenses sont dans le viseur, « sans exception » : « celles de l'Etat, mais aussi celles des collectivités locales et de la sphère sociale ». De même que le locataire de Bercy lancera, en février, des « Assises des finances publiques » pour présenter « les premiers chantiers structurels d'économie ».

Un calendrier et une méthode qui surprennent les édiles

A peine prononcée, la petite phrase a fait réagir les maires et présidents d'intercommunalité. « A ce stade, j'ai le sentiment que c'est de l'affichage politique. S'il s'agit de discuter des ressources locales, pourquoi pas, mais si c'est juste pour les habiller de mesures restrictives, nous nous y opposerons », prévient Antoine Homé, maire (PS) de Wittenheim (Haut-Rhin) et co-président de la commission Finances de l'association des maires de France (AMF). « Je crains que Bruno Le Maire veuille encore nous mettre la pression sur les dépenses des collectivités territoriales... », appuie Bertrand Hauchecorne, maire (Sans étiquette), de Mareau-aux-Prés (Loiret) et vice-président chargé des Finances à l'association des maires ruraux (AMRF).

Surtout, le calendrier surprend les édiles. Le discours du ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique intervient en effet au lendemain de l'entrée en vigueur de la loi de finances 2023 qui acte la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE). Conformément à l'engagement de la Première ministre d'Elisabeth Borne de compenser les collectivités concernées avec une part de TVA dynamique et territorialisée, le cabinet de Bruno Le Maire anime, déjà et jusqu'à fin mars, une concertation avec les maires et présidents d'intercommunalité ainsi qu'avec les départements. Selon nos informations, Bercy plaide pour retenir le critère des valeurs locatives des locaux professionnels, mais des élus locaux s'étonnent d'un indicateur synonyme de développement foncier et donc en contradiction avec le principe de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.

Un « contrat de Cahors » bis ou un nouveau « contrat de confiance » ?

Autre élément qui interroge : la méthode. Lors de la dernière campagne présidentielle, Olivier Dussopt, alors ministre des Comptes publics, faisait savoir, dans La Gazette des Communes, que « le chantier de la contractualisation sera[it] rouvert par le prochain gouvernement » en cas de réélection du chef de l'Etat. Autrement dit, qu'à défaut d'une grande loi sur la refonte de la fiscalité locale, telle que promise par Edouard Philippe au début du premier quinquennat, les territoires devraient maîtriser leurs dépenses de fonctionnement. Un casus belli pour ces derniers qui n'ont jamais oublié le « contrat de Cahors » de décembre 2017 sur la contractualisation entre l'Etat et les 322 communes, intercommunalités, départements et régions les plus riches. Jusqu'à la Covid-19, ces derniers s'étaient engagés à limiter la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, en échange d'une stabilité de leur dotation globale de fonctionnement.

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De fait, cette nouvelle participation des élus locaux à l'effort de réduction du déficit public, rebaptisée « contrat de confiance », devait être inscrite dans le budget 2023. Sauf que la disposition a été rejetée par l'Assemblée nationale comme par le Sénat. Tant est si bien que la promesse présidentielle a été retirée de la loi de finances dans son ultime version adoptée par 49-3. Il n'empêche : selon nos informations, un projet de loi spécifique à la programmation des finances publiques devrait arriver au Parlement avant l'été 2023, soit fin juin-début juillet prochain.

« Ces revues et ces Assises se tiennent-elles dans l'optique d'objectiver le débat ? », s'interroge une porte-parole des Intercommunalités de France.
« Pour l'instant, cela reste extrêmement flou... mais que l'Etat ne commence pas à décider ce qui est pertinent comme dépense et ce qui ne l'est pas »,
ajoute-t-elle.

Pour les petites villes, la "revue des dépenses" évoque la RGPP

Une imprécision également pointée par l'association des petites villes de France (APVF). « Si nous attendons plus de précisions sur la méthode décrite par Bruno Le Maire pour rétablir les finances publiques, le terme ''revue des dépenses'' nous évoque immédiatement la révision générale des politiques publiques (RGPP) », déclare sa conseillère Finances et fiscalité locale, en référence à la réforme lancée par le président Sarkozy en 2007. Inspirée des « revues de dépenses » menées au Canada, en Suède ou au Royaume-Uni, comme le rappelle le site Vie-publique.fr, la RGPP visait à réorganiser les structures de l'administration et à diminuer le nombre de fonctionnaires territoriaux.

« Menée à marche forcée et centrée sur la rentabilité, cette méthode a eu plus d'impacts sur l'organisation et le fonctionnement des services que d'effets sur la réduction des déficits de l'Etat », estime Emma Chenillat de l'association des petites villes de France (APVF).

Cette dernière se pose en outre trois questions : va-t-on contrôler la performance de l'action publique territoriale en termes d'efficacité ou d'efficience ? L'Etat va-t-il définir, seul, des critères ou va-t-il associer les collectivités dans l'élaboration des indicateurs ? Quel organisme sera chargé de l'évaluation ? La conseillère des petites villes redoute en effet un « mode de contrainte finalement encore plus vicieux que les précédents dans le sens où l'on s'attaque ici directement aux politiques locales, voire à leur opportunité ».

Sollicité par La Tribune, le cabinet du ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique n'a pas répondu dans l'immédiat.

César Armand
Commentaires 2
à écrit le 10/01/2023 à 10:36
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L'Etat, incapable de gérer son patrimoine, d'entretenir les routes nationales et qui ne fait que toujours plus de dettes, prétend donner des leçons financières aux collectivités... A mourir de rire.

le 10/01/2023 à 13:11
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Vous ne payez pas de taxe foncière, vous ?...

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