Hauts-de-France : ce qui empêche les femmes de devenir cheffe d'entreprise

Dans la région Hauts-de-France, en 2019, seules 21% des chefs d'entreprises étaient des femmes (et le chiffre descend à 19% dans le secteur Grand Lille). C'est plus de dix points au-dessous de la moyenne nationale qui s'élève à 32,3%, selon les données d'Infogreffe de mars 2022. Difficultés d'accès au financement, méconnaissance des réseaux, conciliation vie professionnelle vie privée ou manque de soutien de l'entourage : enquête sur les freins nordistes à l'entreprenariat au féminin.
(Crédits : Reuters)

Elles ont, à 70%, plus de 40 ans. Elles ont également, à 43%, suivi des études de niveau bac+3 à bac+5. A 85%, elles créent pour la première fois, le plus souvent dans le secteur commercial. Voici le portrait-robot qui ressort d'une toute première enquête menée par la CCI Hauts-de-France et la préfecture via la Direction régionale des droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes, début 2023, auprès de 22.500 femmes dirigeantes ou porteuses de projets des Hauts-de-France.

Sur cet échantillon, 1.800 réponses ont été reçues. Résultat : parmi ces porteuses de projets nordistes, 79% des femmes ont créé leur entreprise (il y a moins de cinq ans pour 59% d'entre elles) alors que 21% ont repris une entreprise déjà existante. Si les créatrices n'emploient au maximum que 3 salariés, les repreneuses sont généralement à la tête de dix collaborateurs ou plus. « Il est toutefois à noter que 31% des répondantes ont repris une entreprise familiale, ce qui représente une part non négligeable comparativement aux habitudes de transmissions observées par l'Observatoire de la transmission et Reprise de la CCI (15% quel que soit le genre du repreneur) », note la CCI Hauts-de-France.

Tout... sauf l'argent !

Quelles sont leurs motivations ? Les réponses alignent plusieurs objectifs comme la volonté d'entreprendre, la recherche d'autonomie mais aussi le challenge... sans jamais parler d'argent ! « A chaque fois que l'on pose la question de la motivation à entreprendre, les dirigeantes répondent l'épanouissement, le meilleur équilibre vie privée et vie professionnelle, etc. Sauf qu'elles ne mentionnent que très rarement leur ambition de gagner de l'argent : c'est pourtant ce que les banquiers veulent entendre en premier lieu ! », constate Fatiha Legzouli, la directrice de Little Big Women en Hauts-de-France (ex-Initiatives Plurielles), association spécialisée dans l'accompagnement des femmes chef d'entreprise depuis près de vingt ans.

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Le financement reste d'ailleurs le nerf de la guerre en matière de création d'entreprise au féminin. « Une dirigeante sur quatre cite la méconnaissance des outils de financement et les difficultés d'accès au financement », souligne l'étude. « Pour 16% des répondantes, être une femme risque d'accentuer les difficultés de financement de leur projet ». Pas étonnant donc que les porteuses de projet financent via leurs fonds propres à 83% (contre 58% dans le cas d'une reprise). Vient ensuite prêt bancaire (44%), qui représente pour le coup la première source de financement lors d'une reprise et ensuite les prêts d'honneur (21%). 14% des cheffes d'entreprise s'appuient également sur les aides apportées par les proches, à savoir de la « love money » venant de la famille, des amis, du cercle de connaissance...

Freins... ou leviers ?

Si le financement est l'un des premiers écueils de la création d'entreprise au féminin, ce n'est évidemment pas le seul. « En fonction des profils, certains freins vont se transformer en levier », reprend Fatiha Legzouli. « Je pense par exemple au fait d'avoir été exposé jeune aux modèles de réussite au féminin, qui encourage plus à entreprendre, comme par exemple avoir « grandi » dans une entreprise familiale, avoir un père à son compte qui a pu apporter des conseils qui permettait d'oser se lancer. Globalement, les femmes qui réussissent possèdent un entourage très proche d'entrepreneurs ».

Le facteur de réussite va également être lié aux parcours professionnels antérieurs, notamment la prise de responsabilité. « Entreprendre, c'est aussi prendre des responsabilités, sachant que généralement les femmes sont plus diplômées que les hommes, même si elles sont freinées par le fameux plafond de verre (avec des difficultés à progresser dans la hiérarchie d'une entreprise) mais aussi la confiance en elle pour postuler à des postes à responsabilités », poursuit la directrice de Little Big Women.

Question de posture et de confiance en soi

La posture (confiance en soi, estime et affirmation de soi ainsi que légitimité) tout comme le soutien de son entourage peuvent également être décisifs. « C'est le fameux syndrome de l'imposteur, qui est lié à l'éducation, qu'elle soit scolaire, familiale ou sociétale mais cette peur de l'échec existe aussi par rapport aux stéréotypes et aux préjugés de la société sur les rapports au pouvoir, à l'argent ou au management », décrypte Fatiha Legzouli. Dans les réponses apportées lors d'une enquête Little Big Women, on trouve d'ailleurs la « peur de ne pas se sentir à la hauteur », le « manque de confiance en mes capacité à réussir », la « peur de faire moins bien que le cédant » ou encore « ne pas être légitime face aux salariés » et même « crainte de me mettre en danger ».

Certaines grandes entreprises se sont saisies du problème, comme, par exemple, le champagne Maison Veuve Clicquot (groupe LVMH) qui a justement organisé « Les Rencontres audacieuses » à Lille, dans le cadre d'un programme mondial. Parmi les 30 femmes mentors, Sophie Letertre, architecte d'intérieur, qui a créé « J'Ose Faire » pour des meubles sur mesure, accessibles et responsables. « Quand je cherchais un partenariat pour réinjecter de la trésorerie, je me suis confrontée à un milieu d'hommes... alors que j'étais encore très candide dans le « jeu » financier. J'ai notamment même eu carrément trois propositions de rachat, dont certaines pour une somme ridicule. J'ai su garder la tête sur mes épaules grâce au soutien de mon entourage ».

L'importance du réseau...

Delphine Barthe, diplômée d'école de commerce, a créé Stirrup, une plateforme de mise en relation des personnes sans-abri avec des propriétaires (Prix 10.000 startups 2022). « Souvent, le premier frein est celui qu'on se met soi-même... alors qu'il faut oser aller de l'avant et faire connaître son business, en décorrélant les affaires et l'affect », explique la quadragénaire. « Après, on a beau essayer d'ouvrir toutes les portes, les business angels restent très bien cachés quand on n'a pas de réseau au départ ».

Si Delphine Barthe reconnaît l'importance de réseaux comme Hodefi (qui finance les entreprises innovantes), l'incubateur et accélérateur de startups régionales Euratechnologies, la CCI Grand Lille présidée par Aurélie Vermesse ou encore Réseau Entreprendre et French Tech Lille, elle pointe du doigt la méconnaissance générale qu'ont les femmes entrepreneures des réseaux de business.

D'après l'étude de la CCI Hauts-de-France et la direction de l'égalité, elles seraient même 81% des dirigeantes à n'appartenir à aucune association d'entreprises ! « Cela peut constituer une fragilité notamment en phase de développement de l'entreprise au regard de l'importance des réseaux tant par le tissu professionnel qu'il a créé que par les opportunités de business qu'il peut générer », conclut la chambre de commerce. Sans oublier les aspects d'entraide et d'inspiration...

Et de concilier les temps

La conciliation des temps est l'un des autres freins régulièrement cités. En effet, selon une étude d'Opinionway datant de 2021, 35% des femmes interrogées s'interrogent sur le fait de devoir jongler entre vie personnelle et vie professionnelle. Avec ce « sentiment de double culpabilité » de n'être ni suffisamment mère, ni suffisamment présente pour son entreprise...

Aux côtés de Little Big Women qui accompagne par des sessions de formations, la CCI Hauts-de-France mène non seulement des actions de sensibilisation dédiées mais se positionne en renfort du Plan d'Actions Régional en faveur de l'Entrepreneuriat par les Femmes (PAREF), mis au point avec le conseil régional des Hauts-de-France, BPI France, la Caisse d'Épargne Hauts-de-France et BNP Paribas. L'objectif est de décliner en région l'accord-cadre national. Au programme, entre autres, la sensibilisation des publics à l'entrepreneuriat des femmes, l'accompagnement à la création et à la reprise d'entreprises par les femmes et aussi l'accès aux outils financiers. Dans l'espoir qu'un jour les chiffres régionaux rejoignent enfin la tendance nationale.

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Commentaires 3
à écrit le 29/11/2023 à 9:18
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Ce qui nous perturbe "le vivre ensemble" c'est la recherche permanente de la polémique médiatique qui soulève des "problèmes", génère des culpabilités mais... ne règle pas la situation... entre deux publicités !;-)

à écrit le 28/11/2023 à 10:25
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Ce qui caractérisait ces Messieurs, chefs d'entreprise, c'était les hauts de forme. Les femmes sont hautes de formes, ce qui ne semble pas suffisant.

à écrit le 27/11/2023 à 18:35
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"conciliation vie professionnelle vie privée" C'est ce que j'entends le plus et pourtant ça fait déjà plus de deux semaines qu'elles travaillent gratuitement.

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