
La loi du 22 décembre de 1972 relative à l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes a introduit un principe majeur en France : « à travail égal, salaire égal ». Mais un demi-siècle plus tard, un constat est criant à l'approche de la Journée internationale de l'égalité de rémunération entre femmes et hommes, ce lundi 18 septembre : les inégalités salariales persistent.
« Le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 24% à celui des hommes dans le secteur privé en 2021, a pointé l'Insee au mois de mars dernier, contre 34% en 1995. Cependant, à temps de travail identique, le salaire moyen des femmes est inférieur de 15% à celui des hommes (...). A poste comparable, c'est-à-dire à même profession exercée pour le même employeur, l'écart de salaire en équivalent temps plein se réduit à 4% environ. »
Coût social
Et le chemin paraît encore long, si l'on se fie au rapport du Forum économique mondial paru en 2022. L'organisation avance qu'il faudra encore patienter 60 ans pour combler l'écart entre les hommes et les femmes en Europe. Pour y remédier, Elise Bordet, ingénieure agronome de formation, a créé l'association 2082, avec un objectif : former les femmes à la négociation salariale.
De fait, elles sont moins enclines que leurs collègues masculins à oser s'en emparer. Non seulement, elles se perçoivent parfois comme moins légitimes, mais elles redoutent aussi l'impact d'une telle demande. « Ne pas oser, c'est avoir peur de déplaire, soutient Elise Bordet auprès de La Tribune. On nous a enseigné, consciemment ou inconsciemment, que nous devions rester à notre place, faire plaisir à tout le monde et s'assurer que tout le monde se sente bien. »
« Il y a un coût social, lorsqu'une femme négocie : on a tendance à la trouver plus autoritaire, donc on a moins envie de travailler avec elle et d'accéder à ses demandes », conforte Morgane Dion, formatrice en négociation salariale et co-fondatrice de Plan Cash, média consacré aux femmes sur la gestion financière, auprès de La Tribune.
S'entraîner grâce à l'intelligence artificielle
Pour inciter les femmes à se relever les manches, l'association 2082 a mis sur pied une plateforme, élaborée comme une boîte à outils. Moyennant une adhésion de trente euros, les utilisatrices accèdent à des modules de formation, des interviews de spécialistes, et à des forums de discussions.
« Malgré les lois qui interdisent les écarts de salaires, le système n'a pas réussi à changer. La meilleure chose à faire n'est donc pas de changer le système, mais bien de changer la personne qui est dans le système, et ainsi de donner aux femmes tous les outils nécessaires pour qu'elles puissent changer les choses elles-mêmes », assure Elise Bordet.
« En mettant à disposition des femmes des méthodes simples, je pense que nous pourrons dire au revoir à deux syndromes les plus répandus : le syndrome de l'imposteur et le syndrome de la bonne élève », salue Guila Clara Kessous artiste de l'Unesco pour la paix qui incarne « l'entreprenariat diplomatique », qui soutient l'association 2082.
Cette dernière a également mis au point un chatbot. L'idée est simple : simuler une conversation et permettre aux femmes de s'entraîner seule pour réclamer une hausse de leur rémunération.
« Le chatbot reproduit un échange avec un manager ou un DRH, je vois plusieurs aspects pédagogiques à cela : les femmes sont obligées d'avoir préparé des arguments pour espérer obtenir leurs augmentations, fait valoir Elise Bordet. Ensuite, les femmes peuvent s'entraîner quand elles le souhaitent, l'accès est gratuit et illimité pour toutes nos adhérentes, donc le coût est bien plus faible qu'un coaching et cela s'adapte beaucoup mieux à leurs emplois du temps surchargés. Grâce à cet outil nous pouvons aider et entraîner un maximum de femmes à la négociation salariale. »
Un outil difficile à « personnaliser » ?
Le recours à l'intelligence artificielle peut-il pour autant suffire à inciter les femmes à s'emparer du sujet, et in fine, à réclamer leur dû ? Morgane Dion reconnaît l'intérêt de pouvoir « s'entraîner sur des scénarii ». Elle estime qu'à terme l'IA pourrait même faciliter la préparation d'éléments factuels nécessaires à l'entretien (rémunérations pratiquées sur le marché, par exemple).
La formatrice en négociation salariale juge toutefois qu'il reste compliqué de « personnaliser » un tel outil. « Selon le métier que vous faites, le secteur dans lequel vous travaillez, votre passif professionnel... Il y a tellement d'éléments à prendre en compte qui sont de l'ordre du subjectif », énumère-t-elle.
Sollicité sur ce point, Elise Bordet assure que le chatbot développé par l'association 2082 est « personnalisable en rentrant une description succincte du métier occupé et du rôle assigné ». « La solution idéale consistera dans un chatbot qui s'adaptera totalement aux informations et au profil de chacune des adhérentes », reconnaît-elle, précisant travailler sur une nouvelle version de l'outil, dont la sortie devrait intervenir avant la fin de l'année.
Plus de transparence
Tout comme Elise Bordet, Morgane Dion estime surtout que les inégalités salariales relèvent de difficultés systémiques. « Il ne faut pas penser qu'il appartient uniquement aux femmes de régler le problème [de la parité], estime-t-elle. Tant que nous aurons des process biaisés, que les recruteurs seront mal à l'aise face à une femme qui négocie... Les femmes auront beau être les plus confiantes et les mieux préparées [pour engager une négociation salariale], il y aura toujours des freins. »
« Il est vrai que les progrès en matière de parité sont lents, mais si on se décourage, nous n'arriverons nulle part », rétorque Guila Clara Kessous. La fondatrice de l'association 2082 se veut, elle aussi, résolument optimiste. Elise Bordet demeure persuadée que les réglementations à venir, imposant notamment de nouvelles obligations de reporting de durabilité plus exigeantes avec la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), forceront les entreprises à faire preuve d'une plus grande transparence en matière d'égalité des genres.
En juin 2023, une directive européenne destinée à « renforcer l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes » est également entrée en vigueur.
« La directive prévoit, en son article 5, un droit à la transparence des rémunérations avant l'embauche, en ce sens que tout candidat à un emploi dispose d'un droit de recevoir de l'employeur potentiel des informations sur la rémunération initiale ou la fourchette de rémunération initiale, rappelle la Direction des affaires juridiques sur le site du ministère de l'Economie. Un tel droit ne limite pas le droit de négocier un salaire mais permet au contraire de garantir une négociation davantage éclairée et transparente. »