Les effets de l'inflation continuent de se propager dans l'économie. L'indice des prix a, certes, ralenti depuis le printemps dernier pour s'établir à 4,9% en fin d'année 2023, contre 5,2% en 2022. En revanche, dans l'énergie (5,7%) ou l'alimentaire (7,2%), les factures ont continué de grimper plus vite que l'indice général des prix. Résultat, l'économie tricolore continue de souffrir. Les moteurs de la demande (consommation des ménages et investissements des entreprises) s'essoufflent sous l'effet du durcissement de la politique monétaire.
Après avoir subi des problématiques d'offre, les entreprises doivent faire face à des carnets de commandes en berne. Et les défaillances ont commencé à rebondir en 2023. Dans ce climat morose, les Français continuent de se serrer la ceinture pour finir les fins de mois. Une vaste enquête menée par la Banque de France et le Credoc auprès de 3.000 ménages vient renforcer ce terrible constat.
« Il y a un un contexte général anxiogène et un sentiment accru de difficultés. 38% des personnes ont dit qu'ils avaient été dans le rouge au cours des douze derniers mois », a déclaré Mark Béguery, directeur des particuliers de la Banque de France lors d'un point presse lundi.
Près de 50% des plus modestes dans le rouge
Sans surprise, les plus modestes sont les plus exposés à l'envolée des prix à la consommation. Ainsi, « 48% d'entre eux ont déclaré avoir été dans le rouge au cours des douze derniers mois ». Soit 10 points de plus que la moyenne des Français. Pour mener leur enquête, la Banque de France et le Credoc ont pris en compte les trois premiers déciles de la population, c'est-à-dire ceux qui gagnent moins de 1.347 euros. A l'intérieur de cette catégorie, il peut exister de fortes disparités entre ceux qui gagnent peu ou prou le salaire minimum (1.398 euros) et ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté fixé à 1.158 euros par mois.
Face aux difficultés, les ménages ont adopté plusieurs stratégies. « En premier lieu, tous ont puisé dans leur épargne », rappelle Mark Béguery. Mais les Français dans le bas de la distribution ont accumulé moins d'épargne pendant la pandémie que le haut de la pyramide. Pressés par la poussée de fièvre des prix, « 58% des Français ont repoussé ou renoncé à des dépenses », a indiqué le statisticien. Chez les plus modestes, cette proportion atteint même 71%.
Des privations au sommet chez les plus pauvres
Le prolongement de l'inflation a également entraîné des phénomènes de privation. Dans une série de statistiques dévoilée ce mardi, l'Insee brosse une situation particulièrement préoccupante. A la fin de l'année 2022, le taux de privation matérielle et sociale (*) avait atteint 14%, soit un record en dix ans. Derrière cette moyenne, des écarts particulièrement criants persistent au sein de la population française. Chez le premier quintile, c'est-à-dire les 20% les plus modestes, le taux de privation atteint près de 40%. A l'opposé, il n'est que de 0,6% chez les 20% des ménages les plus aisés.
« Les Français ont fait moins d'arbitrages sur des dépenses contraintes, comme les factures de chauffage ou d'électricité. En revanche, les Français ont davantage acheté des marques de distributeurs pour les courses alimentaires et ont eu davantage recours à de l'aide alimentaire », a résumé Mark Béguery.
Autre signal inquiétant : 20% des ménages ont repoussé ou renoncé à des soins médicaux l'année dernière. Cette proportion atteint même 30% chez les plus modestes, et ce, alors qu'ils sont particulièrement exposés aux maladies.
S'agissant des perspectives pour 2024,« la désinflation en marche est une bonne nouvelle pour les ménages, mais les plus modestes restent exposés, notamment par la remontée du chômage. Ils auront des difficultés à reconstituer leur épargne ». A ce stade, la Banque de France n'a pas constaté de « dérapage » sur les dossiers de surendettement et « n'anticipe pas d'explosion ». Mais elle s'attend tout de même à « une hausse ». La fin de l'hiver pourrait être douloureuse pour certains.
(*) L'indicateur européen de privation matérielle et sociale mesure la part de la population se trouvant dans l'incapacité de couvrir les dépenses liées à au moins cinq éléments de la vie courante sur les 13 considérés comme souhaitables, voire nécessaires, pour avoir un niveau de vie acceptable. Ces dépenses concernent l'achat de vêtement, le chauffage ou encore l'accès à Internet.