
« Je veux que nous puissions apporter un toit à toutes celles et ceux qui sont aujourd'hui sans abri ». Lors de ses premiers voeux adressés aux Français le 31 décembre 2017, Emmanuel Macron répétait sa promesse de « ne plus voir personne dans la rue » d'ici la fin de son premier quinquennat. Six ans après, la situation de la pauvreté et de l'exclusion ne s'est pas vraiment améliorée.
Cette semaine, le Secours Catholique a tiré la sonnette d'alarme. Dans un rapport documenté de 175 pages, l'association a dressé un tableau préoccupant de la pauvreté en France. « Sans surprise, dans un contexte de forte inflation sur l'alimentation et de l'énergie, nos statistiques montrent une nette aggravation de la pauvreté en 2022, et tout porte à croire que cette dégradation se poursuit en 2023, comme en atteste la forte hausse du nombre de personnes faisant appel à l'aide alimentaire des associations », constatent les rapporteurs. À l'automne, les Restos du Coeur avaient également alerté sur l'allongement des files d'attente dans les centres de distribution. Avec la baisse des dons, l'association se retrouve à refuser des demandes. À l'approche de l'hiver, Emmanuel Macron se retrouve face à une situation sociale brûlante.
Tour d'horizon des dossiers qui s'imposent au chef de l'Etat et qui continuent de peser sur le portefeuille des ménages... en particulier les plus pauvres.
L'inflation, moteur de la pauvreté
La guerre en Ukraine a provoqué une hausse des prix inédite depuis des décennies en Europe. L'indice des prix a certes marqué le pas depuis plusieurs mois. Mais il demeure à un niveau bien supérieur à son niveau d'avant crise (+4% en octobre selon l'Insee). Dans le détail, la flambée des prix de l'énergie (+ 5,2%) et de l'alimentaire (+7,8%) continue de peser sur le porte-monnaie des Français, et en particulier les plus pauvres. S'agissant de l'énergie, « les factures de chauffage vont encore considérablement augmenter pour les personnes les plus âgées », explique Louis Maurin, président de l'observatoire de la pauvreté, interrogé par La Tribune.
Compte tenu du poids des dépenses de l'alimentaire et l'énergie dans le budget des ménages, les plus précaires sont en première ligne face à cette surchauffe des prix. Après le logement, l'alimentation représente le second poste (18,3%) le plus important chez les 20% les plus modestes de la population. À l'inverse, les produits alimentaires représentent une fraction moindre (14%) dans le budget des ménages les plus aisés. Même si le fossé entre les plus pauvres et les plus riches tend à diminuer depuis 40 ans, une telle hausse des prix dans l'alimentaire risque de plomber le reste à vivre chez les ménages qui ont déjà des difficultés à joindre les deux bouts.
Un plan de lutte contre la pauvreté surtout « pour amortir un choc »
Après plusieurs reports, le gouvernement a dévoilé un plan de lutte contre la pauvreté au mois de septembre. Prévention de la pauvreté dès l'enfance, retour à l'emploi, lutte contre l'exclusion et mesures pour que la transition écologique ne pèse pas trop sur les plus démunis... le plan présenté par la Première ministre Elisabeth Borne se décline en quatre grands axes.
Les annonces de l'exécutif ont été globalement saluées par plusieurs responsables associatifs. Mais « ces mesures servent juste à amortir un choc », observe Louis Maurin. « Ce plan ne permet pas de lutter contre la pauvreté à la racine». Pour le président de l'observatoire de la pauvreté, la lutte contre ce fléau doit passer par « la construction de logements sociaux supplémentaires alors qu'ils sont en baisse » ou « une augmentation du salaire minimum ».
Un chômage en hausse
Sur le front du chômage, les mauvaises nouvelles s'accumulent. Alors que le chef de l'Etat a fait du plein-emploi un objectif prioritaire de son second mandat, les derniers chiffres dévoilés par l'Insee cette semaine douchent les espoirs de la Macronie. Le taux de chômage au sens du bureau international du travail a augmenté passant de 7,2% à 7,4% entre le second et le troisième trimestre. S'agissant de 2024, la Banque de France et l'OFCE tablent également sur une hausse.
Ces sombres perspectives risquent de mettre à mal la stratégie du gouvernement visant à réduire la pauvreté par le travail. « Le plein-emploi est la meilleure réponse pour le pouvoir d'achat et pour une sortie durable de la pauvreté », insistait, en effet, la Première ministre Elisabeth Borne lors de son discours aux associations de lutte contre la pauvreté en septembre.
La question brûlante des bas salaires
Après la réforme houleuse des retraites, le chef de l'Etat avait promis de s'attaquer à la question des bas salaires à l'automne. Début octobre, les organisations syndicales et patronales et l'exécutif ont pu échanger sur ce dossier brûlant lors de la conférence sociale organisés au Palais d'Iéna. À l'issue de ce conclave, la cheffe du gouvernement a mis la pression sur les branches professionnelles qui avaient des minima inférieurs au SMIC.
Etant donné que le Smic augmente plus vite (avec l'inflation, sur laquelle il est indexé) que le reste des salaires, certains minima de branches sont rattrapés, générant un « tassement » des salaires, dénoncé par les syndicats. « L'inflation est un rapport de force », souligne Louis Maurin. « Tous ceux qui ne vont pas voir leur salaire revalorisé seront perdants ». Autant dire que le chantier de la pauvreté pour Emmanuel Macron est immense.
9,1 millions de pauvres en France En 2021, 9,1 millions de personnes se trouvaient en situation de pauvreté monétaire en France, c'est-à-dire qu'elles disposaient de revenus mensuels inférieurs au seuil de pauvreté, fixé à 60% du revenu médian, soit 1.158 euros pour une personne seule selon des données de l'Insee dévoilées cette semaine. Ce qui fait au total 9,1 millions de pauvres. « Entre 2016 et 2021, plus de 600.000 personnes ont basculé dans la pauvreté si l'on prend en compte le seuil de 60% du revenu médian. Et 400.000 si on retient le seuil de 50% », selon Louis Maurin. « Le bilan du premier quinquennat est négatif en matière de pauvreté. La pauvreté n'est pas une priorité de la majorité et d'Emmanuel Macron », a-t-il poursuivi. Entre 2008 et 2021, le niveau des 10% des Français les plus modestes a stagné selon les chiffres de l'institut. « Il y a une cassure sur le premier décile depuis la crise de 2008 qui ne s'est jamais réparée », ajoute encore le président de l'observatoire de la pauvreté.