Emmanuel Macron veut insuffler un vent d'optimisme. Après des mois de restrictions, le chef de l'État a précisé le calendrier de la levée des mesures d'endiguement entre le 3 mai et le 30 juin. La plupart des organisations patronales ont globalement salué ces annonces dévoilées dans la presse quotidienne régionale (PQR). Surtout, les restaurateurs et commerçants ont poussé un "ouf" de soulagement après une longue période de fermeture.
Le président de la République a néanmoins prévu des mesures en cas de nouvelles flambées d'un variant. Si le calendrier en quatre étapes concerne l'ensemble du territoire, le gouvernement veut mettre en place une surveillance territorialisée au plus près des possibles foyers de contamination. Emmanuel Macron ne veut pas s'interdire de confiner certains territoires en cas de flambée. L'expérience de plus d'un an d'épidémie a amené l'exécutif à revoir sa stratégie de déconfinement en privilégiant la prudence.
Pour le chef de l'État, la réouverture de l'économie à partir de la mi-mai, si elle suscite de vifs espoirs, devrait être un moment stratégique pour la dernière année du quinquennat. Dans un an, les Français seront appelés aux urnes après une pandémie aux allures de catastrophe. La situation sanitaire est loin d'être apaisée avec près de 30.000 cas de contaminations quotidiens et près de 6.000 personnes en réanimation. Après un grand retard à l'allumage, la campagne de vaccination semble s'accélérer en France, mais le virus continue de circuler à grande vitesse. Entretemps, l'issue des élections régionales et départementales en juin pourrait être un "stress-test" pour Macron qui, lors de son entretien accordé à la presse régionale, a fait l'impasse sur ce dernier scrutin avant la présidentielle.
Une croissance du PIB de 5% révisée à la baisse
Le redémarrage de l'économie tricolore au premier trimestre a été poussif. D'après les chiffres dévoilés par l'Insee ce vendredi 30 avril, le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 0,4% entre janvier et mars. La montée en grade des mesures de confinement sur l'ensemble du territoire et sur certains secteurs a plombé la reprise en ce début d'année.
Si la demande intérieure contribue positivement à la croissance (+0,9 point), le commerce extérieur continue de faire reculer le PIB (-0,4 point). En outre, ce chiffre de 0,4% n'a rien d'exceptionnel après une année économique sinistrée. La trajectoire de la croissance est loin d'avoir retrouvé son niveau d'avant-crise et les pertes accumulées en 2020 ne seront sans doute pas rattrapées.
Le maintien d'une prévision de croissance de 5% pour l'année 2021 paraît de moins en moins crédible aux yeux de plusieurs économistes. Le gouvernement table toujours sur un rebond de 5% alors que l'économie française a tourné en sous-régime au premier trimestre. Il faut rappeler que ce chiffre de 5%, même si c'est le plus élevé depuis des décennies, comme le rappelait le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, n'a rien d'exceptionnel. En effet, après une chute vertigineuse de 8,3% en 2020, ce rebond en grande partie technique est le reflet "d'un effet de base". Ce phénomène était particulièrement criant au troisième trimestre 2020 au moment de la réouverture de l'économie. Les statisticiens de l'Insee avaient enregistré un bond significatif du PIB supérieur à 18% après un creux d'environ -14% au second trimestre et -6% au premier trimestre.
Dans ce contexte, "nous avons révisé notre prévision de croissance pour 2021 pour passer de 5,4% à 4,1% dans notre scénario central" explique à La Tribune Véronique Janod, économiste chez Natixis en charge du suivi de la France.
"La consommation a été mauvaise en février. Elle ne devrait pas avoir le vent en poupe au premier trimestre. L'épargne devrait augmenter fortement. Même s'il y a une capacité d'apprentissage des entreprises, l'épargne des Français augmente au détriment de la consommation" ajoute-t-elle.
Quand au plan de relance, le gouvernement a fait entendre qu'il n'entendait pas recalibrer l'enveloppe de 100 milliards d'euros annoncée en septembre avant une longue période de croissance atone.
Une vague de faillites prévue ?
Les confinements à répétition et la stratégie de stop-and-go de l'exécutif très critiquée ont mis à rude épreuve un grand nombre d'entreprises. Jusqu'à présent, les mesures d'urgence ont joué leur rôle d'amortisseur de la crise. Les tribunaux de commerce et les mandataires judiciaires ont constaté une baisse de leur activité en 2020 en raison notamment des nombreux dispositifs mis en place par le gouvernement.
Au total, plus de 200 milliards d'euros d'aides ont été mobilisés. Selon un récent bilan du comité de suivi et d'évaluation des mesures de soutien présenté par l'économiste Benoît Coeuré, environ 130 milliards d'euros de prêts garantis par l'État ont été octroyés depuis le début de la crise. Si des aménagements sur l'échéancier de remboursement ont été actés avec les banques, beaucoup d'entreprises vont rapidement se retrouver avec des problèmes de trésorerie au moment de la reprise.
"L'impact de la crise sur la profitabilité des entreprises et les comptes extérieurs sont préoccupants. Quand on corrige de l'effet du CICE, le taux de marge des entreprises en France se replie plus qu'ailleurs. La dette des entreprises augmentent plus qu'ailleurs. La dette brute augmente de 217 milliards, et la dette nette augmente peu, d'environ 17 milliards d'euros", expliquait récemment Benoît Coeuré lors d'un point presse.
"Il y aura un rattrapage des défaillances en sortie de crise, mais il n'y aura pas forcément de tsunami" a-t-il précisé.
"Dans le contexte du Covid, la baisse des défaillances a été spectaculaire en 2020 en raison de la suspension de l'activité des tribunaux comme de l'efficacité des mesures d'aides d'urgence. Les entreprises ont dans l'ensemble eu recours aux aides suivant leur besoin mais sans les excéder. Il est difficile à ce stade d'avoir une vision claire précise de l'évolution des défaillances en terme de timing et d'amplitude, mais il est certain qu'elles vont progressivement remonter", ajoute l'économiste de Natixis, Véronique Janod.
Le retrait des aides devrait être une période délicate à gérer. Emmanuel Macron a expliqué dans son entretien que, "dans les semaines à venir, il faut être vigilant pour accompagner le redémarrage sans créer de fragilités économiques". Les établissements qui rouvriront en mai bénéficieront des "mêmes aides économiques qu'en avril". Il a précisé que, "à partir du 1er juin, l'accompagnement se fera au prorata de la reprise d'activité" et a promis "du cousu main".
Le spectre du chômage plane sur le chef de l'État
La mise sous cloche de l'économie française a entraîné des milliers de ruptures de CDD de contrats de saisonniers et de missions d'intérim. La mise en place rapide du chômage partiel au mois de mars 2020 a permis de préserver des millions d'emplois au moment du confinement. La baisse de la prise en charge du chômage partiel annoncée par le gouvernement pourrait avoir des conséquences désastreuses pour beaucoup de travailleurs. Les entreprises qui vont chercher à réduire leurs coûts vont devoir se séparer de leurs salariés après une année éprouvante. Cette période de restructurations et de coupes dans les effectifs pourrait s'amplifier dans les mois à venir. La plupart des instituts économiques et organismes de prévision tablent sur une hausse du chômage d'ici à la fin de l'année 2021.
Le pari de la vaccination
Les images des pays où la vaccination a grandement avancé a suscité de l'optimisme et parfois de la jalousie dans les pays confinés. Depuis plusieurs semaines maintenant, le Royaume-Uni de Boris Johnson a pu lever certains mesures de restriction après un début de campagne de vaccination menée au pas de charge. La dépendance de la France aux pays exportateurs et les déboires de l'Union européenne avec les industries pharmaceutiques ont provoqué de vives tensions en début d'année. Le pari d'Emmanuel Macron de réouvrir l'économie alors qu'une grande partie de la population française n'est pas immunisée est risqué. Les moteurs de l'économie restent très dépendants de l'épidémie, comme le rappellent régulièrement de nombreux économistes.
"Même si la France est dans l'optique d'une réouverture, le niveau du nombre de personnes en réanimation et le niveau de contamination demeurent élevés. D'après le modèle de l'institut Pasteur, la France pourrait s'orienter vers une quatrième vague sauf si la campagne de vaccination s'accélère [...] Ce qu'on peut faire de mieux pour l'économie est d'accélérer la vaccination à condition que les vaccins soient efficaces sur les mutants", ajoute Véronique Janod.
"Dans notre scénario principal, la reprise économique ne serait pas avant septembre" ajoute-t-elle.