L’entrepreneuriat en France se démocratise mais peut mieux faire (Global Entrepreneurship Monitor)

Prendre le pouls de l’entrepreneuriat dans le monde. C’est l’objectif du rapport annuel du Global Entrepreneurship Monitor. Dans l’édition sur l’année 2022, qui vient d’être publiée, le volet sur la France, piloté par le LabEx Entreprendre depuis Montpellier, révèle que malgré une situation géopolitique tendue, l’activité entrepreneuriale progresse et se démocratise. Retour sur ces résultats en six points.
Cécile Chaigneau
En France, l’entrepreneuriat est perçu comme un choix de carrière souhaitable pour 67,8% des personnes interrogées et comme un statut social élevé pour 55,4%.
En France, l’entrepreneuriat est perçu comme un choix de carrière souhaitable pour 67,8% des personnes interrogées et comme un statut social élevé pour 55,4%. (Crédits : DR)

« Malgré une situation géopolitique tendue, l'activité entrepreneuriale progresse fortement. Les effets de la crise sanitaire s'effacent et laissent place à un contexte porteur. Pour autant, la position de la France au niveau international reste stable ».

C'est le constat général que fait le rapport du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) sur l'activité entrepreneuriale en 2022 en France. Depuis 2021, le LabEx Entreprendre*, basé à Montpellier, pilote l'équipe GEM France, qui comprend également Montpellier Business School et Montpellier Management (Université de Montpellier).

« Le focus France, réalisé par le LabEx Entreprendre, s'appuie sur des données collectées auprès d'un échantillon de 3.800 personnes de 18 à 64 ans en France et sur une étude qualitative auprès de 42 experts de l'écosystème entrepreneurial, indique en préambule Karim Messeghem, professeur à Montpellier Management et directeur du LabEx Entreprendre. Globalement, on voit une évolution plutôt favorable sur l'activité entrepreneuriale en France, mais si on la met en perspective avec d'autres pays, la France est sur une position moyenne, plutôt en milieu de tableau, souvent derrière les pays anglo-saxons et devant l'Allemagne et le Japon. »

1 - Un écosystème favorable mais quelques points faibles

Les experts interrogés estiment que le contexte entrepreneurial est resté stable entre 2021 et 2022 : « La France se situe au-dessus de la moyenne du G7 - devant l'Italie, le Royaume-Uni, le Japon et derrière les Etats-Unis - et occupe la 18e place parmi les 51 pays participant à l'étude (contre la 13e place l'an dernier, NDLR».

En 2022, 1.071.900 créations d'entreprises ont été enregistrées en France (INSEE 2023), soit un nouveau record même si le rythme s'est ralenti par rapport à 2021. Une dynamique qui traduit un engouement pour l'entrepreneuriat non démenti et un contexte favorable. La part du micro-entrepreneuriat reste dominante, avec 61% des créations.

La France se démarque positivement par rapport autres pays en matière d'actions de promotion et de soutien à l'entrepreneuriat par le gouvernement, d'accès au financement ou de promotion de l'entrepreneuriat dans les études supérieures, mais se situe en queue de peloton sur le dynamisme des marchés, le transfert R&D ou la promotion de l'entrepreneuriat au primaire et secondaire.

« Je dirais que c'est "bien mais peut mieux faire" compte tenu des ambitions affichées et des discours politiques autour de "la startup nation" notamment, analyse Karim Messeghem. On voit que d'autres pays progressent peut-être plus vite que nous... »

Autre point faible de la France : des normes culturelles et sociales peu propices à l'entrepreneuriat et « le sentiment que la culture nationale ne valorise pas suffisamment la réussite individuelle et n'encourage pas l'initiative individuelle, la prise de risque entrepreneuriale ou encore l'innovation ».

La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur l'écosystème entrepreneurial ? Les experts français se sont montrés les plus positifs au sein des pays du G7, attribuant une note de 6,1/10 pour la reprise de l'activité économique (moyenne G7 : 5,2/10) et de 6,7/10 pour le niveau d'embauche (moyenne G7 : 5,6/10). Des chiffres en phase avec les données économiques puisque la France a connu une croissance de 2,6% de son PIB et que le taux de chômage a atteint les 7,2% en fin d'année (le taux le plus faible depuis quatorze ans et le 2e taux le plus bas depuis quarante ans).

2 - Un entrepreneuriat perçu comme plus accessible

L'intention entrepreneuriale (créer une entreprise dans les trois ans) évolue favorablement entre 2021 (16,9% des sondés) et 2022 (18,8%), et le taux de l'activité entrepreneuriale émergente (TAE, soit le pourcentage de personnes qui se sont engagées récemment dans le processus entrepreneurial) progresse de 7,7% à 9,2%. Ce taux situe la France dans la moyenne des pays du G7 mais très en retrait par rapport aux Etats-Unis (19,2%), au Canada (16,5%) et au Royaume-Uni (12,9%). Il existe aussi des disparités au niveau régional, les quatre régions les plus dynamiques en termes de TAE étant PACA (12,63%), Bretagne (9,73%), Ile-de-France (9,33%) et Auvergne-Rhône-Alpes (9,33%).

Le rapport évoque une démocratisation de l'entrepreneuriat en France. Il est perçu comme un choix de carrière souhaitable pour 67,8% des personnes interrogées et comme un statut social élevé pour 55,4%. Le rapport souligne le rôle des médias et des réseaux sociaux dans la diffusion de cette culture entrepreneuriale.

Avec 52% de personnes qui estiment qu'il y a de bonnes opportunités d'affaires pour eux dans les six mois à venir, la France se situe à la 2e place des pays du G7, et seules 41% affirment ne pas créer d'entreprises par peur d'échouer, ce qui signe « un entrepreneuriat davantage accessible ».

Les principales motivations en France sont d'ordre économique : « pour gagner sa vie, car les emplois sont rares » (42,6%) et « pour bâtir une grande richesse ou obtenir un revenu très élevé » (42,3%). Mais la France se classe en dernière position des pays du G7 par le faible pourcentage d'entrepreneurs motivés par la volonté de faire une différence dans le monde (23,7%).

Cette démocratisation marque un changement dans l'accès au capital social : alors que par le passé, les créateurs avaient tendance à être issus en grande majorité de familles d'entrepreneurs, « c'est moins vrai aujourd'hui », indique le rapport. Ainsi, la motivation pour perpétuer une tradition familiale est-elle la plus faible en France : 22,2% contre 38,1% au Canada, 36,5% aux Etats-Unis, 32,9% en Allemagne et 26,5% au Japon.

3 - Les jeunes de plus en plus portés sur l'entrepreneuriat

Le GEM s'intéresse aussi à la question de la diversité afin de mesurer si toutes les personnes disposent des mêmes chances pour lancer une activité. Deux angles sont notamment évalués : l'âge et le genre.

La part des entrepreneurs de moins de 30 ans a fortement augmenté en dix ans, passant de 31,2% à 38,5% (INSEE, 2023). Un rajeunissement qui, selon le rapport du GEM, est à mettre en relation avec les efforts des pouvoirs publics pour encourager l'entrepreneuriat des jeunes et en particulier des étudiants.

« On observe une démocratisation de l'entrepreneuriat dans toutes les strates de la société, avec un dynamisme porté fortement par les jeunes, note Karim Messeghem. La France s'est engagée, notamment avec la création du statut d'étudiant-entrepreneur, et les dispositifs comme PÉPITE (Pôles Étudiants pour l'Innovation, le Transfert et l'Entrepreneuriat, initiés en 2014, NDLR) ou les incubateurs étudiants contribuent à favoriser l'entrepreneuriat étudiant. On peut aussi relier cette tendance à ce qui a été fait sur l'apprentissage : les jeunes montent en compétence et à 24 ou 25 ans, ils ont une expérience qui rend l'aventure entrepreneuriale possible... Par ailleurs, le Covid a libéré les énergies. Les jeunes de moins de 35 ans disent connaître plus d'entrepreneurs dans leur entourage et les influenceurs sont mis en lumière sous l'angle de l'entrepreneuriat et des revenus. Ce qui crée des rôles modèles et facilite les projections. »

Les moins de 35 ans ont un niveau d'intention entrepreneuriale plus élevé (26,7% vs 14,7% pour les plus de 35 ans), tout comme le TAE (11,4% vs 8%). Toutefois, parmi les pays du G7, la France se situe en avant-dernière position sur l'entrepreneuriat des jeunes, devant le Japon (6,1%) et proche de l'Allemagne (13,9%), mais très en retrait des pays anglo-saxons (Canada 24,4% ; Etats-Unis 27% ; Royaume-Uni 15,9%).

L'analyse du talent entrepreneurial (sentiment de compétences) montre que les plus jeunes ont tendance à percevoir plus positivement leurs capacités, en particulier leur capacité à innover (63% chez les moins de 35 ans contre 55,7% pour les plus de 35 ans), les experts soulignant un « résultat très encourageant sur la capacité des plus jeunes à penser le monde de demain et à développer des projets entrepreneuriaux ambitieux ».

4 - Féminisation de l'entrepreneuriat : effet de genre

Si le rapport souligne qu'il est possible d'affirmer qu'il n'existe pas d'effet genre concernant la désirabilité sociale de l'entrepreneuriat, il affirme qu'il existe bel et bien un effet de genre pour la faisabilité perçue... Ainsi, les représentations évoluent favorablement chez les femmes, l'écart avec les hommes se réduit, et l'intention entrepreneuriale au féminin progresse, passant de 14,7% à 18,6%. En revanche, le taux d'activité entrepreneuriale reste stable (7,1% à 7,2%) alors qu'il a nettement progressé pour les hommes (8,4% à 11,1%).

« Le bémol, c'est bien le passage à l'acte qui est encore freiné par la perception de leurs compétences ou du risque, souligne Karim Messeghem. Les choses progressent mais pas suffisamment vite et il y a encore des barrières à lever et une réflexion à mener sur les accompagnements, notamment pour renforcer la valorisation de leurs compétences. »

Tout comme en 2021, c'est en France, en comparaison avec les autres pays du G7, que les femmes entrepreneures semblent disposer de conditions plus favorables (garde d'enfants, services à domicile, etc.) pour gérer plus sereinement leur entreprise, mais « il reste un travail de fond à mener pour que les conditions réglementaires soient plus favorables à la carrière entrepreneuriale pour les femmes ».

En 2022, les experts considèrent que les marchés, qu'ils soient privés ou publics, sont accessibles de façon égale aux femmes et aux hommes entrepreneurs, probablement sous l'effet de l'accent qui est mis depuis de nombreuses années par les pouvoirs publics sur la promotion de l'égalité femmes/hommes. Concernant les conditions d'accès au financement, s'il est établi que les inégalités de revenus et de patrimoine constituent un biais en défaveur de l'entrepreneuriat féminin et que les fonds d'investissement semblent également toujours plus réticents à financer des projets dirigés par des femmes, « il est possible que l'accès au financement bancaire soit devenu plus aisé du fait des obligations de mise en place d'un suivi statistique de la répartition des financements octroyés entre femmes et hommes entrepreneurs ».

5 - Entrepreneuriat durable : un gap entre intentions et actions

L'urgence d'un développement durable est aujourd'hui perçue par de nombreux acteurs économiques comme une opportunité pour penser innovations et nouveaux modèles entrepreneuriaux. Mais selon le rapport, « il existe un écart très marqué entre les intentions et les réalisations, écart que l'on retrouve dans tous les pays du G7 mais qui est de loin le plus fort en France ».

Pourtant, l'environnement semble favorable aux entreprises nouvelles et en croissance (qui sont nombreuses à intégrer les principes de la RSE dans leurs activités commerciales, la France étant en tête des pays du G7 sur ce point) : la France est pole-position pour le dynamisme des incitations gouvernementales, et les investisseurs sont particulièrement intéressés par le financement des entreprises orientées RSE. Avec un petit bémol : « Il semble que les pratiques de durabilité soient moins considérées en France comme importantes dans la culture nationale que dans les autres pays du G7 ».

Plus de la moitié des entrepreneurs (57% des émergents et 50% des établis) répondent donner la priorité à l'impact social et/ou environnemental de leur entreprise avant la rentabilité ou la croissance. Des chiffres en légère hausse par rapport à 2021. Mais il apparaît que les réalisations sont peu nombreuses : le gap entre intentions et actions environnementales est ainsi de 47% pour les entrepreneurs émergents (3 points de plus qu'en 2021) et de 12% pour les entrepreneurs établis (9 points de moins qu'en 2021).

« C'est une donnée structurelle sur ces deux dernières années, analyse Karim Messeghem. Parmi les éléments d'explication, on trouve le principe de réalité, c'est-à-dire que les questions environnementales et sociales passent peut-être après la réalité économique de l'entreprise. Ce qui invite à s'interroger sur l'accompagnement des projets qui reste orienté sur les volets classiques, c'est à dire principalement le financement ou les marchés, et non sur les modalités pratiques de l'action environnementale. »

Par ailleurs, le décalage entre la déclaration de principe et la mise en œuvre est bien plus important sur les enjeux sociaux : le gap entre intentions et actions est ainsi de 54% pour les entrepreneurs émergents (stable vs 2021) et de 25% pour les entrepreneurs établis (8 points de moins qu'en 2021). Le taux d'engagement des entrepreneurs français dans l'action sociale est ainsi près de deux fois plus faible que dans l'action environnementale, le développement durable étant très largement assimilé aux défis environnementaux du réchauffement climatique, de la biodiversité, etc....

6 - Quatre propositions

Concluant sur un rythme de changements insuffisant pour faire de la France un des leaders mondiaux en termes d'activité entrepreneuriale, le rapport formule quatre propositions à l'attention des décideurs politiques. La première est de renforcer la promotion de l'entrepreneuriat au primaire et secondaire. Mais le sujet est complexe, notamment en raison de la définition des objectifs prioritaires. Ainsi, la France n'étant pas bien classée dans le classement du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), l'inflexion naturelle tend plutôt à prioriser les enseignements fondamentaux.

« Un gros travail a été fait dans l'enseignement supérieur avec la création du statut d'étudiant-entrepreneur et on pourrait s'en inspirer, rappelle Karim Messeghem. Nous suggérons l'organisation d'assises de l'éducation entrepreneuriale pour construire une stratégie nationale et développer l'esprit d'entreprendre chez les plus jeunes. »

Pour accélérer l'entrepreneuriat féminin, le rapport préconise de poursuivre les politiques en faveur de l'égalité professionnelle hommes/femmes et de repenser l'accompagnement, avec l'ambition d'atteindre un taux d'activité entrepreneuriale féminine de 10% en 2025.

Afin de faciliter l'accès aux marchés, des mesures spécifiques doivent être prises en faveur des entreprises les plus jeunes, les pouvoirs publics et les grandes entreprises étant invités à jouer un rôle de facilitateur, voire d'accélérateur.

Enfin, pour réduire le gap entre intention et action, le GEM France pointe la nécessité d'accompagner les entrepreneurs émergents et d'intégrer le plus tôt possible les objectifs du développement durable dans le projet de création de l'entreprise.

« Il ne s'agit pas d'un travail de sensibilisation mais bien d'accompagnement à l'adoption d'actions concrètes, écrit le rapport. Les accompagnants pourraient monter en compétence sur ces sujets et interagir avec les acteurs de l'écosystème du développement durable pour co-construire de nouvelles actions d'accompagnement. »

* Laboratoire d'excellence qui réunit quelque 200 chercheurs issus de six équipes de recherche en droit, économie et gestion, menant des travaux sur l'entrepreneuriat et l'innovation en lien avec les enjeux du développement durable.

Cécile Chaigneau
Commentaires 2
à écrit le 05/07/2023 à 8:23
Signaler
De toutes façons le dynamisme entrepreneurial ne pourra s'épanouir que s'il y a démocratisation des capitaux et outils de production. Tant que ceux qui ont tout mais de ce fait plus aucune idée s'imposeront face à ceux qui ont plein d'idées mais aucu...

à écrit le 04/07/2023 à 18:31
Signaler
plus de 1 million de créations en 2022 (INSEE), et le taux de mortalité reste plutôt bas (Eurostat). le nombre d'entreprises est passé de près de 3 millions en 2011 à 4,5 millions en 2020 (Eurostat). progression bien plus rapide qu'au Royaume-Uni. et...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.