C'était attendu : entre les syndicats et Elisabeth Borne, l'échange a vite tourné au dialogue de sourds. Chacun est resté campé sur ses positions. L'intersyndicale a demandé le retrait de la réforme des retraites, une requête refusée par la Première ministre.
Une petite heure d'échange
C'est Laurent Berger, le numéro 1 de la CFDT, qui a mis fin à la réunion, au bout d'une petite heure. « Pendant ce temps d'échange, chacun s'est exprimé calmement, il n'y a pas eu de dérapage, mais personne ne s'est éloigné de sa posture », raconte un syndicaliste. Et d'ajouter : « Mais en fait, nous n'avions pas grand-chose à nous dire... alors que nous ne nous étions pas parlé depuis le 10 janvier, date de la présentation de la réforme. C'est assez triste. » Selon des participants, Elisabeth Borne a essayé de lancer le sujet de la pénibilité, mais Laurent Berger a coupé court. « Ce n'est pas le moment d'en parler... », a assuré le leader de la CFDT. Et de faire part « de la brutalité de la réforme pour ceux qui devaient partir à la retraite bientôt... Il a expliqué que les syndicats recevaient beaucoup de mails à ce propos... », raconte un convive.
« Nous avions surtout peur du coup d'éclat... presque une heure ce n'est pas si mal, Berger a fait durer la réunion, après le premier tour de dialogue, alors qu'on voyait que certains syndicats avaient envie de partir plus tôt », confie un ministre présent.
Très attendue, pour ce premier rendez-vous, Sophie Binet, la nouvelle secrétaire générale de la CGT, est restée plutôt en retrait, laissant à Laurent Berger le leadership. Sur le perron de Matignon, face à la nuée de journalistes, ce n'est pas elle qui s'est exprimée mais Cyril Charnier de la CFTC. L'intersyndicale a évoqué « un échec » de ce rendez-vous.
Une intersyndicale mise à l'épreuve
Sophie Binet a soigneusement évité d'entrer en contact avec Elisabeth Borne avant le rendez-vous collectif prévu ce mercredi. Pourtant, la Première ministre lui avait proposé, via un SMS, un échange en tête à tête, dès dimanche soir, dans la foulée de son élection à la tête de la CGT. « C'était un piège, que Sophie a soigneusement évité », pointe un membre de la CGT, persuadé que l'exécutif cherche à diviser l'intersyndicale. « C'est peine perdue, ... depuis le début du conflit, c'est leur pari : vouloir nous séparer », confirme encore un membre de la CFDT.
« De toute façon, le premier qui sort de l'intersyndicale est mort », juge un conseiller ministériel. Et les centrales le savent bien. Leur force réside aujourd'hui dans cette union qu'elles ont réussie à bâtir. C'est grâce à cette alliance que les syndicats sont revenus au centre du jeu, qu'ils ont retrouvé de la crédibilité. C'est leur capital sympathie aux yeux des Français.
Ce matin, pour arriver à Matignon, les syndicats ont d'ailleurs pris soin de mettre en scène cette alliance. Tous sont arrivés ensemble rue de Varenne, après s'être retrouvés dans un café alentour.
« Et si les syndicats répètent que l'arrivée de Sophie Binet ne changera rien entre eux, il y a un risque que cela raidisse les positions, notamment la CFDT », analyse un conseiller ministériel. Et pour cause : élue grâce aux soutiens de fédérations reconnues comme dures (transport, énergie...), Sophie Binet va probablement être obligée de tenir une ligne plus radicale que celle de son prédécesseur. Elle risque donc de « challenger » Laurent Berger.
Vers une onzième journée d'action ce jeudi
En attendant, les syndicats ont appelé à la mobilisation ce jeudi. Avec des cortèges mais aussi des grèves. Dans l'enseignement primaire, près de 20 % de grévistes sont annoncés selon les syndicats d'enseignants, un taux plus faible que celui observée lors de la précédente mobilisation la semaine dernière. La mobilisation s'essouffle également du côté de la fonction publique et les transports à Paris... Quant aux jeunes, ils semblent se détourner de la contestation.
A Paris, le cortège affichera un nouveau duo, dans le carré de tête, avec Sophie Binet et Laurent Berger. « On sent qu'il a envie d'en sortir, que ces manifs commencent à le lasser... il joue la dramatisation, en expliquant que d'une crise sociale, on a dérapé dans une grave vive crise démocratique, mais il ne voit pas l'issue », assure un bon connaisseur des syndicats.
De son côté, Elisabeth Borne s'est félicitée de cet échange avec les syndicats, assurant que « cette réunion marque une étape importante, où chacun a pu s'exprimer et s'écouter ». Et d'ajouter : « Je n'envisage pas d'avancer sans les partenaires sociaux ». Et d'écrire sur son compte twitter ce soir, prenant soin de ne pas évoquer les retraites : « Je mesure les colères qui peuvent s'exprimer. Je crois toujours autant à la nécessité du dialogue social, face aux défis que connaît le monde du travail. Je resterai toujours disponible. »
En voyage en Chine, Emmanuel Macron s'est, quant à lui, montré moins ouvert. Son entourage a ainsi commenté : « On ne peut pas parler de crise démocratique quand le projet a été porté, expliqué, et assumé ».
Pour l'heure, aucune voie de sortie ne semble donc possible. Une des prochaines étapes de ce conflit sera, sans doute, le 14 avril, date de la décision du Conseil constitutionnel.