Éducation : les familles désorientées par Parcoursup

Plus de 600.000 élèves de terminale doivent formuler leurs vœux sur la plateforme avant jeudi. Une source d’angoisse pour les ados, leurs parents... et le ministère.
Nicolas Prissette
Sur un forum d’orientation à Valence, en février.
Sur un forum d’orientation à Valence, en février. (Crédits : © NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS)

Laura a craqué. Jamais elle n'aurait imaginé en arriver là. Après plusieurs semaines de panique, elle a payé un coach. Un pro recommandé par sa belle-sœur, pour aider son fils à remplir les formulaires de Parcoursup. Prix du coup de pouce? 300 euros. Elle, la prof de français, ne jurait que par le service public. Une hérésie... « J'étais dans un état psychologique que je n'avais jamais connu. Il nous fallait un soutien. » Comme des milliers de parents, elle a perdu pied face à la machine et aux incertitudes de son aîné.

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 L'« usine à stress »

L'« usine à stress » - le terme d'Emmanuel Macron pour qualifier Parcoursup en 2022 - tourne à plein régime ce week-end. La première phase s'achève jeudi prochain avec la clôture des vœux. Le président, en campagne pour sa réélection, avait promis d'apaiser ces semaines de réflexion. Tout reste à faire. 83 % des lycéens, selon les propres sondages du ministère de l'Éducation nationale, jugent la procédure anxiogène. Un taux qui ne baisse pas. Moins de la moitié des ados disent qu'elle est transparente et moins d'un sur trois estime qu'elle est juste...

Captant le marché de l'angoisse, les conseillers d'orientation autoproclamés pullulent sur le Web. L'apaisement peut coûter 1 000 euros, avec un accompagnement sur toute l'année. À l'Éducation nationale, on évacue la question. Pas de chiffre, pas d'étude. Le sujet des prestataires privés est absent du rapport annuel sur Parcoursup, qui se borne à évaluer le soutien des parents et du système éducatif. « Contrairement à une idée reçue, les familles qui ont recours aux coachs ne sont pas les plus favorisées, qui connaissent bien le système éducatif, explique le sociologue Alban Mizzi, un expert du sujet. Ce sont des parents mal à l'aise avec les formulaires qui veulent donner une chance à leur enfant de s'élever socialement. Parcoursup cristallise ainsi l'importance du diplôme en France et la peur du déclassement. »

Une plateforme ultra-performante pour le ministère de l'Enseignement supérieur

Drôle de hiatus. Le ministère de l'Enseignement supérieur, lui, s'enorgueillit à juste titre d'avoir bâti une plateforme ultra-performante. L'an dernier, seuls 148 bacheliers sur 617 000 se sont retrouvés sans solution à la rentrée. C'est regrettable, mais c'est peu. Le logiciel déborde d'infos en tout genre sur les 23 000 formations postbac disponibles (+6 000 offres en trois ans !). Les réponses aux candidats sont de plus en plus rapides.

Voilà le paradoxe. Cette profusion est un océan dans lequel beaucoup se noient. « Il y a beaucoup de données en ligne, les élèves ont parfois peur de louper quelque chose ; certains apprécient le challenge, d'autres sont atterrés », raconte Lionnel Trigueros, prof principal en terminale au lycée Joachim-Du Bellay, à Angers, qui consacre une partie de ses vacances à corriger les lettres de motivation.

L'orientation demeure donc le point noir du système. La loi ORE de 2018 avait promis aux élèves de terminale pas moins de 54 heures d'information. Soit deux semaines. Les proviseurs se sont étranglés. Impossible à caser dans les emplois du temps. Dans l'entourage de Nicole Belloubet, ministre de l'Éducation nationale, on concède que le compte n'y est toujours pas. Nul ne sait combien d'heures sont vraiment effectuées... Un rapport d'inspection sur ce sujet est en cours, il sera remis à la ministre d'ici quelques mois. Il est temps. Déjà, en 2020, la Cour des comptes alertait sur un risque de « régression par rapport à la situation préexistante » si l'orientation restait défaillante. Les agents dont c'est le métier, eux, sont trop peu nombreux pour encaisser le choc : on compte un seul conseiller d'orientation - rebaptisé « psy-EN » - pour 1.500 élèves.

L'« obsession de la note »

D'autant que l'angoisse s'installe tôt. Les familles sont désemparées dès le début de la première, quand les résultats commencent à compter pour la plateforme. « L'enfant doit savoir le plus vite possible ce qu'il veut devenir, et le moindre faux pas le menace de tomber dans une impasse ; c'est une quintessence de l'administration », s'époumone Catherine, mère d'un petit chouchou de 1,80 mètre.

L'« obsession de la note », comme disent les profs, a radicalement changé l'ambiance dans les salles de classe. « Je ne prépare plus des élèves au bac mais à Parcoursup, déplore Étienne Augris, prof d'histoire au lycée international Jeanne-d'Arc à Nancy. Si on met une mauvaise note, ce qui a une valeur éducative, certains n'hésitent plus à nous accuser de plomber le dossier de leur enfant. »

Je ne prépare plus des élèves au bac mais à Parcoursup

Étienne Augris, prof d'histoire

Résultat, certains ados préfèrent sécher un contrôle pour éviter une copie médiocre - ou préserver la bonne note du devoir précédent. Le ministère a dû sévir devant la recrudescence des cas. « Les parents sont déstabilisés par le contexte, observe Jérôme Teillard, surnommé "Monsieur Parcoursup", haut fonctionnaire fort respecté et rompu à la com sur les réseaux sociaux pour mobiliser les jeunes. Le lycée et l'enseignement supérieur qu'ils ont connus n'existent plus. Il y a une adaptation à faire. » Le baccalauréat, dont l'obtention est désormais quasi assurée, a perdu son ancienne fonction, celle d'un sésame vers la vie d'adulte.

Les parents d'élèves demandent de la transparence

Au ministère de l'Éducation, personne ne minimise la vague nationale de stress hivernal. « Il reste du travail à faire pour réduire les incertitudes, échanger davantage d'informations avec le supérieur, expliquer que les notes ne font pas tout », égrène-t-on. Les chantiers sont nombreux. Les jurys d'admission tiennent compte, en principe, des appréciations individuelles, des lettres de motivation... Mais les fédérations de parents d'élèves réclament la transparence sur la façon dont les dossiers sont classés. Par ailleurs, les chances d'insertion professionnelle à l'issue des formations sont mal connues - cette dernière statistique avait pourtant été demandée par le président de la République, pour mieux éclairer les lycéens.

La plateforme en chiffres

11,8 millions de vœux enregistrés en 2023

93,5% d'inscrits reçoivent au moins une première réponse positive

28% des élèves sont mécontents de leur affectation

Nicolas Prissette
Commentaires 2
à écrit le 10/03/2024 à 18:33
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Pas d'inquiétude a avoir dans un pays où la nullité est si forte dans nos écoles lycées... Quand on voit ce que savent faire ceux qui sortent des écoles s'est fort inquiétant !!!

à écrit le 10/03/2024 à 8:54
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C'est un outil a améliorer sérieusement. "Si vous ne trouvez plus rien cherchez autre chose" Brigitte Fontaine.

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