Chaque année, en France, environ 80.000 jeunes sortent du système scolaire sans aucune qualification, faisant croître le chômage des moins de 25 ans qui est bien plus élevé que le reste de la population (17,1% contre 7,4% en 2022). Ce fléau, Emmanuel Macron, entend le faire reculer en allant chercher les causes, dès l'école. « Deux tiers des décrocheurs sont en lycée professionnel (...) ce n'est pas acceptable », affirmait le chef de l'Etat lors de son déplacement dans un lycée professionnel à Orange le 1er septembre.
A la clé, c'est une nouvelle réforme du lycée professionnel dont la pierre angulaire est de mettre en relation les élèves et les entreprises, et ce, dès l'année scolaire 2023-2024. Pour le chef de l'Etat, il faut rebattre « toutes les cartes pour atteindre 100 % d'insertion et 0 % de décrochage ».
« Parmi les 12 mesures proposées dans la réforme, nous allons par exemple mettre en place des cours optionnels très variés pour coller aux intérêts des élèves et du mentorat réalisé par des professionnels », explique l'entourage de la ministre déléguée chargée de l'enseignement professionnel Carole Grosjean.
Des formations pour inclure les entreprises
Pour ce faire, le gouvernement compte notamment sur l'aide d'associations. Ainsi, après avoir obtenu l'aval du ministère, le collectif Une voie pour tous, qui lutte contre les inégalités d'accès au travail, a, par exemple, créé et mis en place un programme pilote auprès de trois établissements volontaires pour donner un avant-goût du monde professionnel aux élèves, durant l'année scolaire 2023-2024.
Dans le détail, une centaine d'élèves de lycées professionnels vont suivre 4 modules de 100 heures réparties sur l'année s'appuyant sur des cours, réalisés par des intervenants du monde professionnel et associatifs, et portant sur « des connaissances différentes de celles apprises à l'école comme la gestion financière, la prise parole en public, l'initiation au monde professionnel ou encore le développement de compétences humaines et sociales », détaille Dylan Ayissi, le président de l'association. Un travail réalisé en partenariat avec l'Institut de l'entreprise qui mobilise son réseau de professionnels pour assurer les interventions dans les lycées. En plus de ces modules théoriques, l'association va mettre en place des ateliers de création de projets en autonomie appelés « chefs d'œuvres ». « Les élèves en difficulté ont des compétences qui ne se manifestent généralement pas dans les cours académiques mais qu'ils vont pouvoir montrer pendant la réalisation de ces projets », ajoute Dylan Ayissi.
Quand les associations prennent la tête des établissements
L'association SOS a même proposé une solution beaucoup plus radicale au lycée privé Jules Richard : intégrer le conseil d'administration de l'établissement - en 2022, avant même le début de la réforme. Une initiative visant à cogérer le lycée et notamment l'aider à « augmenter l'attractivité de son bac pro microtechnique dont les débouchés sont nombreux et améliorer l'inclusivité de la formation avec des élèves de tout milieu », résume Lise Maurus, directrice générale du groupe SOS. Une fois aux commandes, SOS a mis en place la même formule qu'Une voie pour tous : « Proposer des cours optionnels avec un intérêt professionnel, organiser des interventions de professionnels extérieurs où encore faire participer les élèves à des concours nationaux qui mettent en avant ce qu'ils ont appris pendant leurs cours », détaille-t-elle.
Et la recette a déjà porté ses fruits. Avec 30% d'élèves ayant un suivi particuliers (décrocheurs, élèves en difficulté) le lycée a affiché un taux de 100% de réussite au bac en 2023. Fort de ce succès, SOS veut maintenant créer un nouveau bac pro modélisation et prototypage 3D et un bac pro technicien en réalisation de produits mécaniques, à l'étude par le rectorat.
Des incertitudes sur une mise à l'échelle nationale
Les initiatives se développent, mais une incertitude demeure sur la possibilité de les dupliquer à l'échelle nationale.
Pour l'instant les partenariats entre écoles, associations et entreprises sont cantonnés à quelques lycées pilotes. Mais des interrogations demeurent sur la mise en place des Bureaux des Entreprises, ces nouvelles structures au centre de la réforme du lycée professionnel qui doivent intégrer les 1.086 lycées professionnels répartis sur le territoire pour mettre en lien l'école et les professionnels.
Déjà, les premières critiques fusent : « les conditions de mise en place sont très mauvaises. C'est fait aux forceps car il manque du personnel dans les lycées », alerte Philippe Dauriac Secrétaire national à la CGT Educ'action, chargé de la voie professionnelle.
La réponse des entreprises aux besoins des lycées représente une deuxième inconnue.
« Il y a une forte motivation des entreprises mais il faut qu'il y ait une adéquation entre les spécialisations des lycées et les professionnels disponibles sur leur territoire. C'est une condition nécessaire à la disponibilité d'un nombre suffisant d'intervenants d'entreprises pour répondre aux besoins de témoignages, de mentorat, de professeurs associés des écoles ; et dans le flux inverse une condition nécessaire aux bonnes conditions d'accès aux stages et à l'alternance compte tenu des problèmes de mobilité des jeunes », insiste Flora Donsimoni, directrice générale de l'Institut de l'entreprise.
Une condition qui pourrait créer des difficultés dans les territoires ruraux, peu industrialisés.
Une réforme déjà contestée
D'autant que tout n'est pas gagné pour cette réforme qui s'est attirée les foudres des principaux syndicats de la voie professionnelle qui ont appelé mercredi à une « mobilisation d'ampleur » le 12 décembre pour « exiger le retrait » de cette dernière.
A l'origine de leur colère, une contestation directe de la stratégie d'intégrer davantage les professionnels dans les lycées. « Envoyer les élèves en entreprise ne va pas les amener à faire plus d'études, cela va les inciter à entrer au plus tôt au travail. Ce sont les cours théoriques qui permettent d'amener aux études supérieures », regrette le représentant de la CGT. Un argument cependant balayé par Lise Maurus. « 90% de nos élèves poursuivent leurs études après leur bac pro et 43% poursuivent après un BTS », se défend la représentante de SOS. Reste à voir qui des associations et des entreprises ou des syndicats aura le dernier mot.