
« Les probabilités d'échec sont fortes. » À la veille d'une réunion de la commission mixte paritaire (CMP) qui doit se tenir ce mercredi 20 février, le député et rapporteur général de la loi Pacte, Roland Lescure, semble peu optimiste. Les sénateurs et députés ont exprimé un certain nombre de désaccords sur des points fondamentaux du texte de loi. « À la base, c'était un texte équilibré mais le Sénat a mis quatre coups de canif », poursuit l'élu. La commission mixte paritaire, composée de 14 députés et sénateurs titulaires et autant de suppléants, sera chargée de proposer un texte sur toutes les dispositions du projet de loi restant en discussion.
Soutenu par le ministre de l'Économie Bruno Le Maire depuis l'automne 2017, le plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) semble prendre du retard. L'ouverture de cette commission sur fond de profondes divisions entre députés et sénateurs, ne risque pas d'arranger les choses. Les chances de déboucher sur un accord devraient être maigres. Roland Lescure espère « tout de même une adoption avant l'été ».
1- Les privatisations au centre des divisions
Les privatisations d'aéroports de Paris (ADP), de la Française des jeux (FDJ) et de Engie, suscitent depuis la présentation du projet de loi de nombreuses polémiques. Le 12 février dernier, le Sénat a adopté en première lecture par 207 voix contre 117 et 22 abstentions, le texte de loi amputé des articles prévoyant notamment la privatisation d'ADP et de la FDJ. Pour le député des Français d'Amérique du Nord, cela « correspond à une vision anachronique du rôle de l'État alors que le texte prévoyait des garanties ».
De son côté, Bruno Le Maire avait de nouveau affirmé que ces cessions d'actifs étaient « une nécessité absolue » soulignant que leur produit doit alimenter un fonds de 10 milliards d'euros destiné à financer des projets innovants. Il a aussi exprimé l'espoir que « certaines des propositions » du Sénat, « en particulier tous les dispositifs d'encadrement et de renforcement des garanties autour des privatisations (...), pourront être reprises dans le texte définitif ». Sur la question de la privatisation d'ADP, la durée de la concession sur 70 ans a soulevé une vague d'oppositions.
Pour le sénateur socialiste du Doubs Martial Bourquin, « ces privatisations sont une aberration économique et une erreur politique [...] Les citoyens nous le disent dans le cadre du Grand débat : ils reprochent le bradage d'intérêts stratégiques et l'abandon de notre industrie. En privatisant ces entreprises, la France perd la maîtrise de son destin. »
L'opposition socialiste dénonce notamment un texte « fourre-tout », qui traduit « une vision ultra-libérale du gouvernement ».
2 - Les seuils dans les entreprises relevés
La question du relèvement des seuils est un sujet de préoccupation majeur pour tous les syndicats professionnels. Sur ce point, le député Roland Lescure précise que « les députés avaient trouvé un compromis avec les organisations syndicales qu'ils ne souhaitent absolument pas remettre en cause par les amendements des sénateurs ». Quelques jours auparavant, le groupe des Républicains du Sénat, comme il le précise dans un communiqué, a voulu aller encore plus loin que le gouvernement « en relevant les obligations liées au passage de 50 à 100 salariés pour l'ensemble du code du travail à partir du premier janvier 2021. »
Pour la CFDT, cette version du texte est « inacceptable [...] Cela affecte directement de nombreux aspects du droit du travail, au niveau individuel ou collectif : la représentation des salariés et les activités sociales et culturelles, les règles de la négociation collective et donc les conditions de travail des salariés. En relevant le seuil de mise en place du local syndical, les sénateurs s'attaquent aussi directement aux représentants du personnel. »
3 - Le rôle social de l'entreprise écarté
La chambre haute a également retiré l'article 61 consacré aux enjeux sociaux et environnementaux des entreprises.
« La suppression de l'intérêt social de l'entreprise, la suppression de la raison d'être dans les statuts, la modification sensible du fonds de pérennisation de l'entreprise en supprimant son caractère philanthropique et en rejetant l'encadrement de la transmission » ont vidé le texte de loi d'une bonne partie de sa substance, regrette M. Lescure.
Le principal syndicat réformiste français regrette également ce geste. En supprimant l'article 61, « les sénateurs cantonnent les entreprises dans la seule rentabilité économique et financière ».
4- La transparence des salaires
Le manque de transparence des salaires à l'intérieur des entreprises et les inégalités suscitent régulièrement de vifs débats. Lors de son intervention le 29 janvier dernier au Sénat, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a expliqué que « pour la justice, afin que les écarts de rémunération entre salariés et chefs d'entreprise ne soient pas excessifs, nous instaurerons un rapport d'équité au sein des entreprises sur la transparence des niveaux de rémunération, en nourrissant l'espoir que cela devienne non seulement une règle nationale, mais aussi une règle européenne. »
De son côté Roland Lescure précise que à l'Assemblée, « on avait beaucoup travaillé sur la transparence sur les rémunérations pour que les entreprises publient la rémunération des principaux dirigeants, la moyenne et la médiane [...] Sans transparence, le risque est d'avoir du contrôle mais je suis contre le contrôle ».
Le président de la commission des affaires économiques note « un vrai retour en arrière sur la question de la transparence des revenus des dirigeants ».
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