La France est plongée dans un épais brouillard politique. Au lendemain des élections législatives, Emmanuel Macron va devoir apprendre à gouverner avec une majorité relative. Les résultats aux allures de séisme dessinent une Assemblée nationale fragmentée entre le camp Macron qui perd la majorité absolue, la percée de la Nupes et le score inédit du Rassemblement national (RN) sous la Vème République. Les députés du RN remportent ainsi 89 sièges au Palais Bourbon confirmant l'ancrage territorial du parti de Marine Le Pen. Au gouvernement, les rumeurs d'une démission d'Elisabeth Borne s'accélèrent. La Première ministre, qui a gagné de justesse dans le Calvados face au candidat de la Nupes est sur un siège éjectable. Sans surprise, ce scrutin a été boudé par les Français alors qu'une partie du pays subissait une vague de chaleur inédite par sa précocité.
Le taux d'abstention, de 53,79%, est en hausse de plus d'un point par rapport au premier tour (52,49%) mais n'a pas atteint le record du second tour de 2017 (57,36%).
« La majorité présidentielle a pâti dans les urnes d'une hostilité à Emmanuel Macron qui a notamment trouvé sa source dans les multiples mouvements sociaux qui ont émaillé le quinquennat 2017-2022. À la présidentielle, les sondages indiquaient que la volonté des électeurs de faire barrage à Emmanuel Macron était presque aussi forte que celle de s'opposer à Marine Le Pen. Aux législatives, la "déconnexion sociale" reprochée à la macronie a été sanctionnée dans les urnes. Les reports de voix au second tour des électeurs LR ou NUPES, dont les candidats avaient été éliminés, ont été particulièrement défavorables à la majorité », a expliqué Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa interrogé par La Tribune.
Dans ce contexte troublé, le paquet pouvoir d'achat, premier chantier du quinquennat Macron II, risque de se heurter à toutes ces oppositions bien plus nombreuses que lors de la précédente mandature.
Un paquet pouvoir d'achat à 9 milliards d'euros entravé
« La première urgence, c'est le pouvoir d'achat. Les lois d'urgence pour le pouvoir d'achat seront les premiers textes de ce quinquennat », avait promis la cheffe du gouvernement Elisabeth Borne en recevant les syndicats à Matignon à la veille du premier tour des législatives. Dix jours après, la donne a complètement changé pour le gouvernement en place. Ce paquet pouvoir d'achat dont les contours restent à préciser pourrait comporter la fameuse prime Macron désocialisée et défiscalisée jusqu'à 6.000 euros, le chèque alimentaire, le prolongement du bouclier tarifaire, la revalorisation des prestations sociales, l'indexation des retraites sur l'inflation ou encore le dégel du point d'indice des fonctionnaires.
Le vote de cette enveloppe estimée à environ 9 milliards d'euros (0,4 point de PIB) par l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) pourrait bien virer au casse-tête pour le gouvernement. En effet, plusieurs élus à droite (Les Républicains) pourraient considérer que le gouvernement amplifie sa politique du « carnet de chèques ». À la fin de l'année 2021, Valérie Pécresse alors candidate à la présidentielle avait accusé la majorité de « cramer la caisse » après l'annonce de tous les chèques pour faire face à la hausse des prix.
À gauche, certains élus, membres de la Nupes pourraient considérer que l'exécutif n'en fait pas assez pour les ménages les plus modestes en première ligne face à l'envolée des prix de l'énergie et de l'alimentaire. Enfin, les élus du Rassemblement national (RN) pourraient faire obstruction au paquet pouvoir d'achat en adoptant une ligne anti-macron.
Un paquet législatif en sursis : les différentes options
Sans majorité absolue, le gouvernement pourrait faire face à des tirs de barrage de tous les côtés pour faire adopter cette enveloppe. Dans l'hémicycle, la Macronie a perdu certains de ses piliers à l'instar de Richard Ferrand défait dans le Finistère et Christophe Castaner qui doit laisser sa place au candidat de la Nupes, Léo Walter, dans son bastion des Alpes-de-Haute-Provence. Les députés qui ont été élus ce dimanche vont entamer officiellement leur mandat mercredi prochain avant d'attaquer l'ouverture de la nouvelle session parlementaire prévue le mardi 28 juin.
Entre les deux, les tractations et les négociations entre les différentes formations politiques pourraient aboutir à des surprises dans l'Assemblée nationale. « Ces résultats vont contraindre le gouvernement à faire des arbitrages. La première option du président serait de faire des accords formels avec certains partis, comme par exemple Les Républicains, pour disposer d'une majorité absolue garantie. L'autre option, plus souple mais moins confortable, serait de recourir à une majorité dite "de projet", réunissant au cas par cas les députés souhaitant soutenir un projet de loi ou de réforme », poursuit Erwan Lestrohan.
L'autre enseignement de ces législatives est qu'Emmanuel Macron va devoir apprendre à composer avec un parlement beaucoup plus fort que lors du précédent quinquennat. « Les résultats du second tour restaurent le régime semi-présidentiel de la Vème République qu'on jugeait trop favorable au chef de l'Etat depuis l'alignement des mandats législatifs et présidentiel. Ils redonnent un rôle de contre-pouvoir à l'Assemblée nationale. Beaucoup de Français voulaient rompre avec le logiciel de la verticalité du pouvoir. Ces résultats vont revigorer le jeu démocratique à l'Assemblée nationale », juge le sondeur.
Un calendrier pour le paquet pouvoir d'achat déjà remanié
Malgré l'urgence, le calendrier de ce paquet pouvoir d'achat a déjà été chamboulé. D'abord annoncé avant les élections législatives, ce texte a finalement été reporté une première fois le 29 juin, puis le 6 juillet. Ces premiers reports témoignent d'un cafouillage au sein de la majorité après la présidentielle où le candidat Macron avait obtenu la victoire après une très brève campagne.
Les négociations à venir entre les différentes formations politiques et l'arrivée de nouveaux ministres liés aux départs des candidats tombés au second tour comme Amélie de Montchalin à la Transition écologique ou encore Brigitte Bourguignon à la Santé pourraient une nouvelle fois percuter le calendrier législatif annoncé récemment par l'Élysée.
Un pouvoir d'achat en berne
L'inflation galopante propulsée par les prix de l'énergie et ceux de l'alimentaire a déjà fait reculer le pouvoir d'achat des Français au cours du premier semestre. Sur l'année, les économistes de l'OFCE tablent sur un recul de 0,8% si la situation géopolitique n'empire pas d'ici là. Il faut rappeler que l'évolution des salaires réels au cours du premier trimestre sont très loin de compenser l'inflation estimée à 5,2% au mois de mai. Pour rappel, seul le SMIC en France est indexé sur l'inflation.
Ce qui signifie qu'une grande partie de la population active a enregistré une baisse de son revenu depuis le début de l'année. Alors que la Banque de France et l'Insee ont prévu cette semaine de dévoiler leurs dernières prévisions macroéconomiques pour 2022, d'autres mauvaises nouvelles pourraient venir une fois de plus assombrir le début du quinquennat.