
Jean Castex, alors Premier ministre, inaugure le contournement de Gimont, dans le Gers. « Notre pays a besoin des routes, déclare-t-il, [...] a fortiori si nous nous dirigeons lentement mais très sûrement vers la voiture électrique et hybride. » Son discours aborde les principaux arguments en faveur de la construction de grands axes routiers: « désenclaver, réunir, développer ». Une question de « sécurité routière », de « considération que l'on doit à un territoire », de « crédit » politique.
Automne 2023. Pas un week-end sans manifestation locale. De plus en plus d'activistes, de riverains, mais aussi d'agriculteurs ou de scientifiques réclament un moratoire routier, comme aux Pays-Bas. « Ce sont des projets du siècle dernier, quand l'État ne s'était pas engagé à atteindre la neutralité carbone et le zéro artificialisation nette en 2050 », pointe Enora Chopard, élue écologiste rouennaise et porte-parole de La déroute des routes, qui réunit 55 collectifs à travers le pays. Le ministre des Transports, Clément Beaune, annonce que des projets d'autoroute seront « arrêtés ». « À l'heure de la planification écologique, on ne peut pas faire comme avant », assure-t-il.
Car l'impact environnemental d'un grand axe routier est lourd, très lourd. Comme celui du futur boulevard intercommunal du Parisis, qui doit relier l'A1 et l'A15 dans le Val-d'Oise et suscite une opposition croissante: 100 hectares d'espaces naturels et de foncier agricole avalés. Ou le contournement Est de Rouen : 146 hectares déboisés et 50 000 tonnes de CO2 par an. S'ajoutent les destructions de biodiversité, les nuisances sonores ou encore les émissions générées par l'abattage d'arbres, que la plantation de jeunes pousses ne suffit pas à compenser. Un supplément de gaz à effet de serre que la France ne peut pas se permettre. Le transport pèse déjà pour un tiers des émissions de CO2 du pays - dont 94,7 % liés à la route. C'est le secteur d'activité le plus polluant, et le seul qui n'arrive pas à diminuer ses émissions.
« Fuite en avant »
Les promoteurs mettent pourtant en avant une baisse de la pollution grâce à une circulation plus fluide, sans les à-coups dans les bouchons. « C'est vrai le jour de l'inauguration, nuance Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste, maître de conférences à l'université de Lille. Mais on sait depuis des décennies qu'ajouter des voies conduit à une augmentation du trafic. On se déplace plus loin et plus vite. C'est une fuite en avant. » Les véhicules électriques se généraliseront trop tard pour changer la donne, en particulier pour les poids lourds. « Le renouvellement du parc est trop lent et ne suffira pas, abonde Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports. Il faudra aussi de la sobriété. »
Reste que les pouvoirs publics doivent arbitrer avec d'autres impératifs, comme le désenclavement et l'attractivité économique. Mais là encore, ces promesses font débat. « On observe un déplacement des activités à proximité des grands axes plutôt qu'une création de richesses, nuance Frédéric Héran, ainsi qu'une augmentation du nombre de navetteurs qui vont travailler dans les métropoles. » Au risque d'une vampirisation des villes moyennes par leurs grandes voisines.
Se dessinent deux visions de l'aménagement du territoire, deux lectures de la colère des Gilets jaunes. Les autoroutes comme leviers contre le sentiment de relégation ou comme accélératrices des inégalités. Pour Aurélien Bigo, « elles alimentent la dépendance à la voiture et encouragent à se déplacer toujours plus loin pour accéder à l'emploi et aux services, avec des budgets d'essence et de péage toujours plus importants ».
Moderniser l'existant
« Dans certains cas, ces constructions peuvent être nécessaires », affirme de son côté François Durovray, président Les Républicains de l'Essonne, à la tête de la commission mobilités de l'association Départements de France. Et de citer les accidents - le risque d'être tué étant cinq fois plus élevé sur départementale ou nationale que sur autoroute - ou le cas des petites villes asphyxiées par les camions en file indienne. « Les objectifs de cohésion du territoire sont tout aussi nobles que les objectifs environnementaux », défend-il. Président du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), le député Renaissance David Valence estime de son côté que « les évolutions démographiques sont parfois telles que, même avec des investissements colossaux dans les transports collectifs, une nouvelle route peut être inévitable ».
Tous s'accordent sur un point : face au coût environnemental et financier, il faut prioriser les dépenses. Les 55 projets auxquels s'oppose La déroute des routes représentent au moins 12 milliards d'euros d'argent public. « Ils devraient être utilisés pour favoriser les transports en commun, le vélo, le fret, la déconcentration des services publics... », liste l'écologiste Enora Chopard. Dans son dernier rapport, le COI invite à investir dans les transports en commun, à moderniser le réseau existant et à reconsidérer certains projets routiers. Aires de covoiturage, bornes de recharge électrique... « Avant de construire, regardons s'il n'y a pas une autre solution pour transporter plus de monde dans moins de véhicules, plaide François Durovray. Désenclaver, ça peut aussi être ajouter une ligne de cars là où il n'y en a pas. » « Nous avons le premier réseau routier d'Europe, complète David Valence. Adaptons-le à la transition écologique avant de l'agrandir. Il faut résister au mythe de l'infrastructure nouvelle qui réglerait tous les problèmes. » ■