Pouvoir d'achat : les promesses en trompe-l'oeil de Marine Le Pen

Après le débat de l'entre deux-tours à la télévision, Marine Le Pen se prépare à affronter le président sortant Emmanuel Macron dimanche prochain. La candidate du RN a mené toute sa campagne présidentielle sur ce thème en expliquant qu'elle voulait "rendre 150 à 200 euros de pouvoir d'achat aux Français". Or, les mesures proposées dans son programme sont très loin de profiter aux catégories populaires et aux salariés. Ces propositions pourraient se heurter à de nombreux obstacles juridiques et constitutionnels.
Grégoire Normand
Une grande partie des mesures socio-fiscales proposées par Marine Le Pen en faveur du pouvoir d'achat sont contestées de toutes parts. Il apparaît que beaucoup de mesures favorisent en fait davantage les ménages aisés que les plus modestes. Jusqu'au second tour de l'élection présidentielle prévu dimanche prochain, les deux candidats vont s'affronter sur le pouvoir d'achat.
Une grande partie des mesures socio-fiscales proposées par Marine Le Pen en faveur du pouvoir d'achat sont contestées de toutes parts. Il apparaît que beaucoup de mesures favorisent en fait davantage les ménages aisés que les plus modestes. Jusqu'au second tour de l'élection présidentielle prévu dimanche prochain, les deux candidats vont s'affronter sur le pouvoir d'achat. (Crédits : Reuters)

Après un débat d'entre-deux-tours catastrophique en 2017 face à Emmanuel Macron, la candidate du Rassemblement national a voulu axer toute sa campagne sur le pouvoir d'achat. Il faut dire que la fièvre des prix poussée par la pandémie et la guerre en Ukraine a remis ce thème en tête des préoccupations des Français. L'Insee a prévu une baisse du pouvoir d'achat des Français au cours du premier semestre 2022 d'environ 1,4% malgré toutes les mesures évaluées à 30 milliards d'euros mises en oeuvre par le gouvernement depuis l'automne pour limiter la flambée des prix.

Au lendemain du scrutin du 10 avril dernier, la candidate du Rassemblement national (RN) Marine Le Pen avait d'ailleurs consacré son premier déplacement de l'entre-deux-tours au thème de la montée des prix dans l'alimentaire et ses répercussions sur le porte-monnaie des Français en donnant une conférence de presse dans une ferme de l'Yonne. Dans le chiffrage du programme, l'élue du Nord indique qu'elle veut "rendre 150 à 200 euros de pouvoir d'achat aux Français par mois". Au total, plus de 22 mesures doivent concerner le pouvoir d'achat. Certaines font d'ailleurs l'objet d'aucun chiffrage comme la priorité nationale accordée au logement par exemple.

"C'est un programme très concis sur le pouvoir d'achat. Elle veut se présenter comme la candidate du pouvoir d'achat. Cela constitue sa marque de fabrique", explique le chercheur au CNRS, Gilles Ivaldi, interrogé par La Tribune et auteur d'une récente note intitulée "Marine Le Pen, Eric Zemmour : social-populisme contre capitalisme populaire". En axant sa campagne sur ce thème, la patronne du RN cible une partie de l'électorat populaire déçu par les gouvernements successifs et la majorité présidentielle actuelle. Elle espère bien attirer une partie de l'électorat de Jean-Luc Mélenchon arrivé sur la troisième marche du podium avec 22% des suffrages à la grande surprise des instituts de sondages. Derrière cette stratégie, la crédibilité de ses propositions est remise en question par un grand nombre d'économistes et experts de tous bords.

Baisser la TVA sur les prix de l'énergie, une fausse bonne idée

La diminution de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les produits énergétiques (essence, fioul, gaz et électricité) représente l'une des mesures phares souvent avancée par la députée du Nord. La candidate du RN vise une baisse de la TVA de 20% à 5,5% sur "tous les produits énergétiques qui seront considérés comme de première nécessité".

Or, cette solution pour alléger la facture des Français est loin d'être la panacée. Dans une récente note pour le cercle de réflexion Terra Nova, le haut fonctionnaire Alexandre Durain décrit toutes les limites d'une telle promesse.  Marine Le Pen envisage "cette mesure « pérenne » pour régler une difficulté conjoncturelle, alors même qu'un résultat comparable pourrait être atteint avec des mesures temporaires (du type indemnité inflation, remise sur les prix à la pompe, bouclier énergétique sur le gaz et l'électricité...) sans compromettre aussi durablement l'équilibre des finances publiques et, à terme, l'intérêt du contribuable présent ou futur".

Une violation du droit communautaire

En outre, cette proposition risque de se heurter au droit communautaire. En effet, Bruxelles n'autorise pas de taux réduit sur les carburants. "Si l'Union européenne a récemment consenti aux Etats membres une plus grande souplesse sur la TVA et les droits d'accises de manière à soulager les consommateurs des effets de l'inflation, c'est en effet le plus souvent pour soutenir les énergies les moins émettrices de gaz à effet de serre", souligne l'auteur de la note. L'Union européenne autorise quelques exceptions sur les denrées alimentaires, la presse ou d'autres produits comme le gaz, l'électricité ou le fioul mais l'Etat doit procéder à une consultation d'un comité spécifique à Bruxelles.

Dans le contexte du Green Deal européen et de la décarbonation de l'économie, une telle demande de la France devrait se heurter aux instances communautaires et à peu de chances d'aboutir. En outre, cette mesure compromettrait les ressources nécessaires aux investissements dans la transition énergétique dans laquelle la France s'est engagée pour respecter l'accord de Paris signé en 2015. "Dans l'état actuel des textes et du droit, la proposition de Marine Le Pen apparaît donc comme une simple violation du cadre réglementaire européen fixé en cohérence avec les objectifs de lutte contre le réchauffement", conclut Alexandre Durain.

Une mesure non ciblée sur les ménages les plus modestes

D'après les auteurs du programme du Rassemblement national, "cette mesure pérenne permettra de rendre immédiatement du pouvoir d'achat aux ménages, des plus modestes et aux classes moyennes". Or, ce dispositif sans distinction profiterait à l'ensemble des Français, "à ceux qui n'ont aucun problème de pouvoir d'achat et à ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois ou à se passer de la voiture. Elle ne ferait aucune différence entre la voiture de sport de loisir et la berline familiale, entre le couple vivant et travaillant en centre-ville et le ménage résidant à la campagne" ajoute Terra Nova.

La proposition de Marine Le Pen pourrait non seulement manquer sa cible et pourrait favoriser surtout les plus aisés. En effet, de nombreux travaux récents ont montré que le poids des dépenses en énergie et en particulier celles concernant les carburants est beaucoup plus élevé dans le budget des ménages modestes que dans celui des plus riches.

La suppression de la TVA sur les prix alimentaires : des gains faibles au vu de leur coût

L'inflation est loin de concerner uniquement les énergies fossiles. Avec la guerre en Ukraine, les prix de l'alimentaire ont grimpé en flèche ces dernières semaines, faisant craindre des pénuries partout sur la planète. Face à ce péril, Marine Le Pen propose  une suppression de la TVA sur les produits alimentaires de première nécessité. Là encore, cette mesure risquerait d'entraîner un bras de fer avec les instances de la communauté européenne sauf si Marine Le Pen engageait la France sur la voie du Frexit. Ce qu'elle a exclu contrairement à 2017. Dans son programme, elle cite une centaine de produits sans apporter plus de précision. Cette proposition a une nouvelle fois fait tiquer les économistes. Dans une note du cabinet Astéres, l'économiste Sylvain Bersinger a évalué les effets de la suppression de la TVA sur une sélection de certains produits (pain et produits à base de céréales, lait, fromage et œufs, huiles et graisses, fruits et légumes).

Sa conclusion est sans appel. "Les gains attendus d'une telle mesure sont faibles au vu de leur coût." En effet, les gains d'une baisse ou d'une suppression de la TVA ne se répercutent pas forcément sur les ménages. Dans sa note, le statisticien rappelle l'exemple de la baisse de la TVA dans la restauration mise en oeuvre sous le quinquennat Sarkozy en 2009 en citant des travaux de l'institut des politiques publiques (IPP). "Des expériences historiques montrent qu'une petite part des baisses de TVA se répercute sur les prix, la plus grande part étant captée par les entreprises ou leurs salariés", indique-t-il. Au final, il estime que 10 % de cette baisse bénéficiera effectivement aux consommateurs, soit un gain de pouvoir d'achat de 13 euros chaque année, soit 0,03 % par ménage. De son côté, l'économiste d'Ostrum Asset Management, Philippe Waechter, interrogé récemment par La Tribune est également sceptique. "Les baisses de taux de TVA ne fonctionnent pas. La proposition de Marine Le Pen sur la baisse de TVA ne sert à rien. Dans la restauration, la baisse de la TVA a été absorbée par les restaurateurs" rappelle-t-il.

Lire aussi 4 mnTVA alimentaire à 0%: l'idée "anti-inflation" de Marine Le Pen aiderait peu les ménages les plus précaires

Une hausse de 10% des salaires jusqu'à trois SMIC sans chiffrage

Marine Le Pen a également mis l'accent sur la hausse de salaires de 10% pour les salariés jusqu'à trois SMIC lors de la présentation du chiffrage de son programme. Sur ce point, le document mis en ligne n'apporte aucune précision budgétaire sur cette mesure. Outre le coût exorbitant à attendre pour les finances publiques, cette mesure ne risque pas de profiter aux salariés payés autour du salaire minimum.

En effet, les différents dispositifs d'allégements de cotisations patronales mis en oeuvre depuis des années (CICE, transformation du CICE en baisse pérenne de cotisation) visent déjà les salaires en deça de 2,5 SMIC. En prenant en compte les mesures déjà existantes, la proposition de Marine Le Pen profiterait surtout aux ménages ayant moins de difficultés de pouvoir d'achat. En outre, Marine Le Pen n'évoque aucun coup de pouce gouvernemental pour les salariés au SMIC tout comme Emmanuel Macron. Enfin, cette prime exonérée de cotisation met à mal les finances de la sécurité sociale. Ce qui in fine conduirait l'Etat à reprendre la main via l'impôt sur le financement de la protection sociale au détriment des partenaires sociaux.

Une exonération de l'impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans très contestable

Sur le plan fiscal, Marine Le Pen veut mettre en place une exonération d'impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans. "Au moment de l'entrée dans la vie active, les jeunes bénéficieront immédiatement de cette mesure, qui leur permettra d'améliorer leur niveau de vie et de constituer une épargne leur ouvrant la possibilité, par exemple, d'accéder plus rapidement à la propriété", explique son équipe à l'origine du programme. L'ancienne députée européenne veut mettre en place cette exonération pour "limiter la fuite des cerveaux dont souffre notre pays depuis 20 ans".  S'agissant de la faisabilité d'une telle promesse, l'institut Montaigne exprime de sérieux doutes. "En proposant d'exonérer d'impôt sur le revenu l'ensemble des contribuables de moins de 30 ans, indifféremment de leur statut et de leurs ressources, cette mesure tend à créer une différence de traitement injustifiée vis-à-vis du reste de la population active", explique le groupe de réflexion. Cette exonération pourrait constituer une rupture d'égalité devant la constitution française.

La candidate veut également exonérer d'impôt sur les sociétés tous les moins de 30 ans qui créent ou détiennent une entreprise. Toujours dans son étude , l'institut Montaigne juge que "cette mesure semble inapplicable pour deux raisons : son éventuelle inconstitutionnalité et sa possible requalification en aide d'État." Outre ces risques juridiques, cette exonération serait loin de profiter aux plus précaires et aux plus modestes pourtant au coeur son électorat. Une partie importante des moins de 30 ans ne paie pas d'impôt sur le revenu. Comme le rappelle Terra Nova, "le revenu moyen des 18-25 ans (7.490 euros par an) est tellement bas que, dans leur immense majorité, ils n'y sont pas assujettis. Quant aux 26-30 ans, leur revenu moyen reste faible (16.220 euros par an) et les expose à une pression fiscale elle-même très faible dans la majorité des cas."

Des aides sociales réservées aux Français

Enfin, Marine Le Pen est très loin d'avoir abandonné ses thèmes de prédilection nationalistes chers à l'extrême droite même si elle tente de donner une coloration plus sociale à sa campagne. Parmi les mesures discriminantes figurent en premier lieu l'accès aux aides sociales uniquement pour les Français et l'accès aux prestations de solidarité pour les personnes ayant travaillé au moins cinq ans sur le territoire. Elle veut également assurer "la priorité nationale d'accès au logement social et à l'emploi". Le chiffrage du RN propose enfin d'économiser 16 milliards d'euros sur l'immigration. Or une telle mesure d'économie aurait des conséquences particulièrement néfastes sur le pouvoir d'achat et la consommation en France. L'ensemble de ces mesures conduirait à appauvrir une partie de la population et des personnes vivant sur le territoire français.

Lire aussi 5 mnLe programme économique de Marine Le Pen appauvrira durablement la France, prévient le prix Nobel Jean Tirole

Grégoire Normand
Commentaires 17
à écrit le 22/04/2022 à 19:21
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Aurions-nous eu une telle propagande électorale en faveur de Macron dans les médias si Mélenchon était parvenu au 2ème tour ?

à écrit le 22/04/2022 à 7:11
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Bonjour, S'est vrais Mr Macron a donné 100 euros au français, mais ils nous a pris de l'autre mains plus de 600 euros d'augmentation de taxe sur l'alimentation sur cette année... Voilà une réalité a ne pas oublier.

à écrit le 21/04/2022 à 15:46
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C'est bien connu, avec Macron les français roulent sur l'or.

le 21/04/2022 à 21:38
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Non, mais ceux qui votent pour lui surement ,mais non, c'est vrai c'est pour sauver la république en danger,j'ai eu peur ,j"ai cru que c'était lié au pognon ce choix .

à écrit le 21/04/2022 à 11:38
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On a un pouvoir d' achat quand l' Etat fonctionne et que l' économie produit. Or macron c' est plus 650 milliards de dettes en 5 ans!... F Asselineau "Entendre Macron dire qu'il faut des moyens pour la santé alors qu'il a coupé tou...

à écrit le 21/04/2022 à 10:23
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Encore un qui veut une bonne place.

à écrit le 21/04/2022 à 9:49
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Cela fait 40 ans que les tenants du pouvoir nous promettent un avenir radieux avec comme épouvantail l’extrême droite, ce pouvoir à ligoter le peuple par le gouvernement des juges et des règles européennes, même le référendum qui est le plus direct d...

à écrit le 21/04/2022 à 9:45
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Débat totalement hors sol de deux candidats adeptes de l'économie administrée: Les vrais sujets sur le recentrage de l'état sur ses seules missions régaliennes, la fin de la gabegie de la dépense publique, la baisse du nombre de fonctionnaires nation...

à écrit le 20/04/2022 à 19:34
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Bonjour, Qui peut croire Mr Macron... A par la retraite a 64 ans ... Personnellement, je ne le crois plus... Ils peux aller se promener....

le 20/04/2022 à 20:59
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A défaut de respecter la France, essayez au moins d'en respecter la langue...

à écrit le 20/04/2022 à 16:02
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Macron ne nous a pas trompé lui : L'Europe devait nous protéger de la pauvreté, de la guerre et des crises. Il m'a même rendu 100€ de pouvoir d'achat. Est-ce que Le Pen aura les compétences pour endetter la france en donnant du pouvoir d'achat aux fr...

à écrit le 20/04/2022 à 14:07
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où est le chiffrage de ses mesures...?...elle croit gérer un pays comme son porte-monnaie ..à des solutions simplistes ...Grande gueule mais petit faiseux comme on dit par chez nous... elle est parfaite sur les marchés...mais nulle pour tout le rest...

le 20/04/2022 à 19:08
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Elle a des solutions simplistes car elle se met au niveau de son électorat. On paye la nullité de l'enseignement en Math et Economie durant les denières décennies...

le 21/04/2022 à 9:50
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Chez Macron le chiffrage sera réalisé chez Mac Kinsey et le "seringuage" préconisé par lui! Nous sommes d' accord ?

à écrit le 20/04/2022 à 12:21
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Elle aime bien Poutine, elle arrive masquée, elle ment. Le FN/RN c'est une nouvelle plaie d'Égypte...avec Melanchon premier ministre 😂👎

à écrit le 20/04/2022 à 11:32
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Je suis de très nombreux médias français. Dans l'entre deux tours, je ne lis que des articles à charge contre le RN mais rien de négatif sur le bilan du président sortant alors que la matière ne manque pas. Sans être partisans, se pourrait il que des...

le 21/04/2022 à 13:56
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@Stephan : Tout à fait d'accord. Une très large partie des médias sont absolument aux ordres, car dirigés par de puissantes fortunes (c'est lié à leur baisse de revenus à cause d'internet : ils ont dû se faire racheter par des plus riches). Il reste ...

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