Quand le Financial Times conseille à la France d'adopter une VIème République

POLITISCOPE. Mais où est donc passé le "jeune" Macron qui voulait réformer les institutions ? Le monde entier regarde la "verticalité" de la pratique du pouvoir en France comme une anomalie. La preuve dans la Bible de l'establishment britannique...
Marc Endeweld

La semaine dernière, la bible des marchés, le vénérable Financial Times, a mis les pieds dans le plat en appelant en « une » à un « changement radical des institutions » en France, et en titrant sur le projet d'une « Sixième République ». Dans la forme, le journaliste du FT s'en donne à coeur joie : dans une longue analyse agrémentée d'éléments d'enquête, il présente à ses lecteurs un tableau particulièrement caustique de la situation politique française, tant au niveau de l'organisation du pays que dans sa gestion actuelle par Emmanuel Macron. En évoquant d'abord les manifestants qui brûlent ces derniers jours des poubelles dans les rues parisiennes : « Ils savaient qu'ils s'inscriraient ainsi dans une tradition parisienne "glamour" qui va de 1789 à 1968, en passant par 1944 », ironise le quotidien libéral. « La colère des Français transcende les retraites et l'autoritarisme de Macron. Il s'agit d'une rage généralisée et durable contre l'État, et son incarnation, le Président », constate le FT avant de s'inquiéter que les Français puissent voter « populiste en 2027 » (avec Marine Le Pen) après les Américains, les Britanniques, et les Italiens.

La prescription du docteur Financial Times pour le malade France est sans appel : « La France ne peut continuer ainsi. Il est temps de mettre fin à la Vème République, avec son Président tout puissant - ce qui se rapproche le plus d'un dictateur élu dans le monde développé - et d'inaugurer une VIème République moins autocratique ». Et d'ajouter un brin provocateur : « Emmanuel Macron pourrait bien être la personne qu'il faut pour assurer un tel changement ». Provocateur quand toutes les enquêtes d'opinion depuis quelques semaines montrent un très fort ressentiment monter dans la population française à l'encontre du président de la République. « Emmanuel Macron rappelle à chaque Français son patron : un Monsieur Je-sais-tout cultivé qui méprise son personnel », cingle d'ailleurs le FT.

Dans ces conditions, comment ce dirigeant, devenu en quelques années un énième président mal aimé après avoir été présenté par l'ensemble des gens qui comptent à Paris comme un petit prodige, pourrait trouver suffisamment de ressources pour impulser une véritable révolution du système institutionnel français ? Ces derniers mois, le président a pourtant consulté à tour de bras, notamment auprès des responsables politiques, pour réfléchir aux réformes institutionnelles qu'il a promises lors de la dernière campagne présidentielle.

Difficulté supplémentaire, c'est tout le système institutionnel et administratif qui se retrouve aujourd'hui en crise, et pas uniquement la fonction présidentielle, comme le dissèque avec froideur le Financial Times : « Les technocrates de la République ont progressivement étendu leur pouvoir aux villages les plus isolés du pays. Presque tout ce qui bouge dans le plus vaste pays d'Europe occidentale est administré depuis quelques kilomètres carrés parisiens. Les différentes vagues de décentralisation lancées depuis 1982 n'ont jamais abouti (...) L'aura des technocrates s'est également ternie, d'autant plus qu'ils se sont fondus dans une caste qui s'auto-perpétue. La composition de la classe dirigeante actuelle laisse une place disproportionnée aux fils de la haute bourgeoisie blanche, lettrée, qui passent ensemble de l'école maternelle parisienne de la Rive gauche à l'école préparatoire de la Rive gauche, où ils ont bachoté pour les examens des grandes écoles, avant d'acquérir leur propre appartement sur la Rive gauche (...) Les technocrates français passent leur vie professionnelle dans quelques arrondissements à l'intérieur du périphérique, qui entoure tel un fossé la cour parisienne. Ils traitent le reste de la France presque comme une colonie, habitée par des paysans malodorants qui n'ont pas réussi à assimiler la culture parisienne qu'on leur a enseignée à l'école et qui votent à l'extrême droite ou à l'extrême gauche ».

Mais au-delà de ces « technocrates », le Financial Times pointe avant tout les insuffisances institutionnelles de la France : « Il serait possible de décrire le fonctionnement de la République sans mentionner le Parlement, qui n'a pratiquement aucune importance. La France dispose aujourd'hui de trois pouvoirs : la présidence, le pouvoir judiciaire et la rue. Si le Président décide de quelque chose, seule la rue peut l'en empêcher - en bloquant le pays par des manifestations et par des grèves  ».

Ce diagnostic fait écho étrangement aux leçons politiques que le jeune Emmanuel Macron tiraient il y a une quinzaine d'années de ces discussions avec Michel Rocard ou son mentor Henry Hermand. Arrive-t-il au président Macron de se retourner sur son passé, comme pour mieux retrouver la fougue de ses débuts en politique ? S'il se relit, il pourrait avoir des surprises. En 2011, ce lettré écrivait ainsi un article dans la revue Esprit, au titre étrange - « Les labyrinthes du politique. Que peut-on attendre pour 2012 et après ? » - mais au contenu étonnamment annonciateur : « On ne peut ni ne doit attendre d'un homme et 2012 n'apportera pas plus qu'auparavant le démiurge. Loin du pouvoir charismatique et de la crispation césarisme de la rencontre entre un homme et son peuple, ce sont les éléments de reconstruction de la responsabilité et de l'action politique qui pourraient être utilement rebâtis ». Cette analyse pourrait passer aujourd'hui pour une autocritique de son propre rapport au pouvoir depuis 2017.

Dans ce texte, le jeune Macron s'attaque à l'hyper-présidentialisme français, conséquence notamment de la mise en place du quinquennat dans la Vème République : « Rien n'est fait pour que, dans une démocratie mûre et une société aux problématiques de plus en plus complexes, les débats puissent prendre place et se décliner selon une temporalité et des modalités adaptées. Le temps politique vit dans la préparation de ce spasme présidentiel autour duquel tout se contracte et lors duquel tous les problèmes doivent trouver une réponse. » Quand il n'était pas encore président, ni même ministre, Macron voulait donc « débattre », dans la perspective du long terme. Mais, dans le même temps, dans ce texte datant de 2011, le futur président justifiait une parenthèse démocratique sur certaines questions « structurelles », comme les questions budgétaires, et la dépossession des populations par le cadre supranational européen. Cela dénotait un rapport assez problématique à la souveraineté populaire. Il exprimait à cette occasion une pure posture technocratique sans aucun complexe : « Car le traitement des problèmes longs implique parfois une forme de "'réduction" des pouvoirs politiques, c'est-à-dire l'instauration de mécanismes supra politiques qui garantissent à travers le temps une application constante, une protection contre les aléas politiques ».

Et Emmanuel Macron de déplorer par la suite le fonctionnement du système « politico médiatique » : « la réponse à l'urgence implique donc une forme d'action politico médiatique dont l'efficacité est réduite. Les lois prises sont ainsi trop souvent inappliquées par défaut de décrets d'application, leur efficacité quasi jamais mesurée, et elles créent une instabilité et une complexité néfastes pour le citoyen. » Le futur ministre et président prend alors l'exemple de la politique du logement : « Ainsi l'urgence chaque année répétée lorsque l'hiver arrive du mal logement conduit souvent à des mesures peu efficaces ou symboliques (le droit opposable au logement) alors que les problèmes véritables (la rareté de l'offre, l'émiettement des compétences, le malthusianisme des communes, etc.) ne sont que partiellement traités. Myopie de l'urgence et du temps court qui conduit la politique à "réagir" plutôt que construire une action articulée. »

Et de reconnaître qu'« agir politiquement n'a aujourd'hui plus le même sens qu'il y a trente ans. Cela implique de coordonner des compétences diverses, des acteurs épars, de naviguer entre des communautés multiples (les citoyens, les associations, les savants, les entreprises, etc.), souvent sous la pression médiatique qui impose une quasi transparence, en temps réel, de la décision. » Emmanuel Macron se montre donc critique du poids des médias et de l'urgence qu'ils impriment au politique, mais il ne semble pas non plus très optimiste quant à l'action de l'Etat en tant que telle, avec les évolutions institutionnelles qui ont amené un pays historiquement centralisé comme la France à devoir composer avec de nouvelles réalités : « La décentralisation, le démembrement de l'État central qui a multiplié les autorités administratives indépendantes, la place normative croissante des Communautés européennes entre autres ont progressivement conduit à l'éclatement de la responsabilité et de l'action politique. »

En réalité, on sent déjà poindre à travers ces regrets une posture de repli autoritaire. Il était pourtant encore loin le temps de son accession à l'Élysée. « Dès lors, que faire ? », se demandait simplement le futur ministre, reprenant le questionnement léniniste. Il y a douze ans, c'est bien à une réforme en profondeur des institutions qu'en appelait le jeune Macron. Dès 2011, il veut restaurer le pouvoir du Parlement, souhaitant que ce dernier, minoritaire sous la Vème République, devienne plus fort et plus représentatif. « L'action politique contemporaine requiert une délibération permanente [...] qui permette d'infléchir la décision, de l'orienter, de l'adapter au réel », théorise celui qui n'est alors qu'un simple conseiller informel de François Hollande. Tout est déjà écrit, et Emmanuel Macron semble particulièrement chagriné que la France ait mis à l'écart de l'action politique le parlementarisme : « l'action politique est continue et le débat participe de l'action. C'est la double vertu du parlementarisme et de la démocratie sociale que notre République a encore trop souvent tendance à négliger ». L'article ne dit pas pourquoi, une fois arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a fait tout le contraire. Peut-être tout simplement parce que la Constitution de la Vème République le permet.

Marc Endeweld.

Marc Endeweld
Commentaires 12
à écrit le 01/04/2023 à 20:21
Signaler
Le diagnostic est correct. La solution n'est pas claire. Sans doute un président moins puissant. Il faudrait aussi un regime plus contraignant sur la dépense publique qui rende illégal des dépenses qui ne sont pas des investissements quand on est en ...

à écrit le 01/04/2023 à 17:35
Signaler
On supprime le 49-3 et l'article 16 de la constitution. On rend le vote obligatoire, et on exige au moins 45% de votes positifs pour être élu. Juste pour rire.

le 01/04/2023 à 23:52
Signaler
@Icailleurs: D'accord pour la suppression des dispositions en question.... à condition que nos parlementaires s'engagent à faire leur travail de réflexion et de proposition au lieu de le laisser au gouvernement. Pas d'accord pour le vote obligatoire:...

à écrit le 01/04/2023 à 16:55
Signaler
A que voilà bien encore un mauvais coup de la "perfide Albion ". Est ce que nous nous permettons de porter un jugement sur leur monarchie décadente et les membres de la famille royale au comportement exemplaire en tout point !!!

à écrit le 01/04/2023 à 11:38
Signaler
Hummm 1 er Avril non ?

à écrit le 01/04/2023 à 11:23
Signaler
C'était bien la peine de faire brexit à cause de l'immigration après avoir choisi un premier ministre issu de l'immigration sans oublier le premier ministre islamiste écossais issu lui aussi de l'immigration. Incapables de changer leurs lois social...

à écrit le 01/04/2023 à 10:43
Signaler
La VI ème République c'est Melanchon, le.retour à la IV ème République, au régime des Partis donc à une ingouvernabilite permanente.

à écrit le 01/04/2023 à 9:58
Signaler
L'abus de pouvoir, l'ego, se croire d'une intelligence au-dessus de tous arrogance, notre Président ne pense pas France mais Jupiter fait que notre constitution n'est pas faite pour ce type d'homme qui a plutôt un penchant pour l'autocratie ou la mon...

le 01/04/2023 à 12:38
Signaler
Comparaison intéressante; il est évident qu'en France, les opoosants sont mis en prison... (au mieux). Vous pouvez nous donner l'avis de Mélenchon sur le sujet ?

le 02/04/2023 à 3:03
Signaler
Il y a un certain nombre de politiques qui ont ete elimines proprement. L'epoque gaullienne est riche, suit celle de Pompidou le fumeur de Gitanes, puis le joueur d'accordeon, la liste est longue. Bref, on donne des conseils mais on evite de voir la...

à écrit le 01/04/2023 à 9:32
Signaler
Mais nous y sommes puisque notre politique est fixée à Washington, l'adaptation est faite par Bruxelles et notre président applique une feuille de route. Méditons sur l'absence des contre-pouvoirs de notre Président et un autre détail significatif le...

à écrit le 01/04/2023 à 9:08
Signaler
Comme on dit vulgairement, une "Constitution" pourri par sa tête ! ;-)

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.