
0,3 %... il a fallu à peine quelques voix, ce mardi après-midi, à Clermont-Ferrand, au 53e congrès de la CGT pour que le rapport d'activité, autrement dit, le bilan de Philippe Martinez, soit rejeté. Un camouflet pour le secrétaire général sortant, une première aussi dans l'histoire du syndicat, et une illustration des fractures qui traversent cette organisation centenaire.
Mais, surtout, ce score complique la tâche de Marie Buisson qui, se réclamant de son bilan, souhaite prendre la suite de celui que beaucoup nomment « le moustachu ». Philippe Martinez n'a pas réussi à fédérer ses troupes autour de son action : les plus durs lui opposent une gestion interne de la centrale beaucoup trop centralisée et solitaire, mais aussi son alliance avec la CFDT dans ce conflit contre la réforme des retraites, ses rapprochements avec Greenpeace, etc. Comment, dans ces conditions, sa dauphine pourrait-elle s'installer ?
Une CGT divisée comme jamais
Le successeur de Philippe Martinez doit être choisi ce vendredi. Le suspens reste entier tant les votes promettent d'être serrés : Marie Buisson, issue de la fédération de l'Éducation, poussée par Philippe Martinez, l'emportera-t-elle ?
En face, Céline Verzeletti, issue des services publics, réputée moins conciliante dans les conflits sociaux, et qui s'est dite disponible mardi pour prendre la tête « d'une CGT beaucoup plus offensive », voit ses chances augmenter... Si elle appartenait au bureau sortant, elle veut incarner une rupture avec l'ancienne direction, et a pour elle de bénéficier du soutien de grosses fédérations, comme celles des transports ou de l'énergie.
À moins qu'Olivier Mateu, secrétaire de l'Union départementale de la CGT des Bouches-du-Rhône, vu comme un dur de dur, ne s'impose finalement ?
Une direction bicéphale?
Ce mercredi matin, ce dernier, favorable à un blocage complet du pays pour faire pression sur le gouvernement, proposait à Céline Verzeletti de faire alliance avec lui, pour installer une direction bicéphale.
Quel que soit le gagnant, face à ces candidats, la CGT risque de toute façon de sortir très fracturée de ce congrès. Philippe Martinez, lui-même, le reconnaît dans une interview accordée ce mercredi à l'AEF : « Un congrès divisé n'est jamais bon pour l'image de la CGT, cela m'inquiète parce qu'aujourd'hui, la cote de popularité de la CGT est haute. »
Interrogations sur la ligne à venir
Surtout, quelle position va-t-elle tenir désormais ? Face à l'intersyndicale, notamment ? Une CGT menée par un secrétaire général plus dur va-t-elle accepter de se rendre à l'invitation d'Élisabeth Borne en début de semaine prochaine ?
Laurent Berger de la CFDT a déjà exprimé son intention de s'y rendre, mais quid de la CGT ?
D'autant plus si Élisabeth Borne semble ne pas vouloir évoquer la question des retraites. « Philippe Martinez m'a dit qu'il irait... mais c'était avant qu'il ne soit mis en minorité... Pas sûr, en revanche, qu'Olivier Mateu ou Céline Verzeletti acceptent le rendez-vous de Matignon si l'un d'eux est élu », confie ce mercredi un dirigeant syndical.
Une ligne plus radicale pourrait aider le gouvernement. À court terme...
Mais, l'arrivée d'un secrétaire général plus radical que Philippe Martinez à la tête de la CGT peut, dans un premier temps, aider le gouvernement, surtout si elle (ou il) rejette l'invitation de Matignon - la politique de la chaise vide pouvant ne pas être appréciée par l'opinion publique.
Avec une CFDT qui répète à l'envi qu'il faut en passer par la médiation et le dialogue avec l'exécutif pour sortir du blocage, cette fin de non-recevoir fera, sans doute, voler en éclats l'intersyndicale.
En tout cas, elle marquera un premier coup de canif dans cette union qui porte la mobilisation. « Cela pourrait permettre de décrocher la CFDT... enfin ! », veut croire un conseiller ministériel, qui espère trouver ainsi une (petite) voie de sortie honorable.
Si, à court terme, cela peut aider le gouvernement, en revanche, à plus long terme, c'est une autre histoire. Car la CGT promet de se radicaliser, ce qui risque d'entraîner des violences et des blocages plus conséquents.
Vers une CGT politisée
Une perspective qui passe par une politisation de l'organisation. « La distance que Philippe Martinez a réussi à garder avec le politique, notamment avec La France Insoumise (LFI) ou le PCF, ce sera terminé, ce sera "Retour vers le futur"... Et dire que la CGT a eu tant de mal à couper le cordon avec le PCF, il y a 20 ans », soupire un fin connaisseur de la centrale.
En effet, tous les candidats au poste de numéro un de la centrale de Montreuil se révèlent proches de partis politiques de l'extrême gauche. Et n'ont a priori aucune réticence à mener des luttes en commun avec les élus, là où Philippe Martinez marquait une frontière très nette - comme en témoignent ses relations avec Jean-Luc Mélenchon, connues pour être glaciales.
Marie Buisson est passée par la LCR, devenue ensuite le NPA. Céline Verzeletti, elle, n'est pas une militante active du PCF, mais elle a souvent appelé à manifester avec Jean-Luc Mélenchon (LFI). Idem pour Olivier Mateu, qui n'a aucun problème à défiler à Marseille avec le leader de La France Insoumise.
Alors que le gouvernement peine à trouver une majorité, la mise en place d'un axe plus construit entre la CGT et La France Insoumise, ou le PCF, ne serait pas une bonne nouvelle.
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