« Sans les projets locaux, nous n'arriverons pas à atteindre nos objectifs climatiques » (Yves Schenfeigel, ministère de la Transition énergétique)

GRAND ENTRETIEN. Nommé le 18 octobre en Conseil des ministres, le nouveau délégué interministériel à l'accompagnement des territoires en transition énergétique revient, en exclusivité pour La Tribune, sur la feuille de route que lui a assignée la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. Alors que le congrès des maires vient de s'ouvrir à Paris pour trois jours, Yves Schenfeigel l'assure : les élus locaux seront accompagnés au plus près du terrain pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables.
Yves Schenfeigel a été nommé, le 18 octobre en Conseil des ministres, délégué interministériel à l'accompagnement des territoires en transition énergétique.
Yves Schenfeigel a été nommé, le 18 octobre en Conseil des ministres, délégué interministériel à l'accompagnement des territoires en transition énergétique. (Crédits : Ministère de la Transition énergétique)

LA TRIBUNE : Vous n'avez jamais été élu local, ni même passé par l'ENA, et pourtant vous avez été nommé, en Conseil des ministres le 18 octobre, délégué interministériel à l'accompagnement des territoires en transition énergétique ? Concrètement, dix ans après la création de ce poste, quelle est votre feuille de route ?

YVES SCHENFEIGEL : Mon parcours est bien volontiers éclectique et atypique. Je n'ai pas fait l'ENA, comme vous le rappelez, mais j'y ai été stagiaire. Ma carrière a en effet démarré à la Direction générale de l'Armement au ministère des Armées comme officier, gestionnaire dans plusieurs centres d'essais d'armement terrestre. Ce n'est qu'en 2000 que je deviens administrateur civil. Suite à quoi j'entre au ministère de l'Agriculture où je travaille sur la question des pesticides. Avant de prendre la direction de cabinet du préfet de Vendée, puis de revenir au ministère de l'Agriculture comme sous-directeur chargé des lycées agricoles. Je pars ensuite pour le ministère de l'Ecologie où je deviens sous-directeur des autoroutes concédées après la privatisation. Quatre ans s'écoulent et je décide de prendre des postes en administration territoriale : d'abord à la direction départementale des territoires de Seine-et-Marne, puis à celle de Haute-Garonne. Pendant ces six dernières années, le petit-fils de Bretons et de Polonais que je suis a ainsi travaillé sur, pêle-mêle, la planification territoriale, la rénovation urbaine, les questions d'eau et d'agriculture, avec des partenaires variés, des élus à Airbus et la SNCF. J'aime à dire que mon parcours m'a rendu polyglotte : je parle « administration centrale » et « dernier kilomètre de l'action publique », la langue des chefs d'entreprise, le dialogue avec les syndicats, le langage bruxellois de par mon passage à l'Agriculture et je sais parler « élu local ». Ça me permet de comprendre l'ensemble de ces interlocuteurs, de négocier, de fédérer, de créer les consensus.

Justement, alors que le congrès des maires vient de s'ouvrir à Paris pour trois jours, en quoi consiste précisément votre travail auprès des acteurs politiques de terrain ?

Selon le décret paru au Journal officiel, mes missions consistent à animer et à accompagner la mise en œuvre des stratégies de reconversion des bassins de vie et d'emploi de Fessenheim et des sites concernés par la mise à l'arrêt de centrales de production d'électricité à partir de charbon. Par exemple, je dois piloter les travaux interservices en lien avec les exploitants concernés pour tenir la promesse du président de la République de décarboner les centrales à charbon de Cordemais et de Saint-Avold. Autrement dit, sous l'autorité de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher qui a écrit ma lettre d'objectif, ce qui facilite et légitime ma fonction, je travaille sur tous ces thèmes qui nécessitent de travailler avec plusieurs administrations ou ministères. Cela oblige à composer avec des jeux d'acteurs politiques, publics et privés très différents avant de les faire converger pour apporter des solutions concrètes. Le passionné de rugby que je suis vous dirait que je joue alternativement 2, 9 et 10 c'est-à-dire de talonneur, demi de mêlée et demi d'ouverture.

Où en êtes-vous à Fessenheim ? Cela fait près de dix ans déjà que la ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie Ségolène Royal a nommé Francis Rol-Tanguy comme délégué interministériel à la fermeture du site.

Je reprends son bâton de marche pour accompagner le territoire sur les impacts économiques et sociaux de la fermeture, avec un constat, celui que les projets économiques sur ce territoire sont devenu des réalités, en témoigne l'implantation de Liebherr qui va y créer 300 emplois. Mon sujet majeur étant d'accompagner leur réalisation concrète jusqu'au bout. En réalité, la mission devant moi porte sur les quatre centrales à charbon qui devront être décarbonées en 2027. La centrale du Havre est ainsi en cours de démantèlement, tandis que celle de Gardanne est certes passée à la biomasse, nécessite la conduite d'un dialogue social sur le reclassement des salariés. Pour Cordemais qui, comme Saint-Avold, a rouvert du fait de la crise énergétique, nous envisageons de substituer le charbon par des granulés produits à partir de bois déjà traités. Cette bascule comprend un volet économique et financier qui mobilise autour du porteur de projet, l'Etat et les collectivités, et une composante sociale avec EDF. En France, nous avons plus de 20% d'énergies renouvelables dans notre consommation d'énergie, et nous avons besoin sur ces sites, de poursuivre la production d'énergie... désormais décarbonée.

Parmi vos tâches, vous devez accompagner l'élaboration et la mise en œuvre de démarches territoriales de transition énergétique en lien avec les préfets concernés afin d'apporter un appui méthodologique. Comment répondez-vous aux maires ruraux qui se sentent « orphelins de l'Etat » ?

La loi portant accélération des énergies renouvelables a donné aux communes la date du 31 décembre 2023 pour définir leurs zones d'accélération, mais je tiens à rassurer les maires qui nous lisent : cette date doit être prise avec souplesse, sans pour autant se démobiliser. Dans ce cadre, je travaille aux côtés d'Agnès Pannier-Runacher pour aider les territoires à s'organiser, à s'outiller, tout en m'employant à les rassurer. Nous ne pourrons pas faire la transition énergétique sans les territoires.

Lire aussiAccélération des énergies renouvelables : ces maires qui se sentent « orphelins de l'Etat »

L'Etat porte des projets majeurs de production d'énergie mais sans les projets locaux, nous n'arriverons pas à atteindre nos objectifs climatiques. A titre d'illustration, sur un projet éolien, un élu local peut être à la fois sensible à l'impact sur les finances locales et démuni face aux oppositions locales. Mon rôle consiste alors à aider les édiles à « résoudre l'équation », sur ce sujet qui est un sujet d'aménagement du territoire.

Comment va-t-on concilier développement des énergies renouvelables et politique de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols ?

Les installations d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques au sol ne rentrent pas en compte dans l'artificialisation des sols. Sans parler de toutes les opportunités liées aux friches industrielles aux toitures et aux parkings.

Le président (LR) de l'association des maires de France, David Lisnard, cite toujours le contre-exemple de panneaux photovoltaïques qu'il n'a pas pu installer sur des poubelles municipales cannoises... Ne faudrait-il pas assouplir la réglementation?

Les maires ont à leur main une base cartographique réalisée par l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) qui expose les contraintes paysagères, les monuments classés et les zones naturelles, en calque de la disponibilité du foncier. Ils disposent également d'un guide à l'usage des élus locaux, et de nombreux webinaires locaux et nationaux ont été proposés, par les services de l'Etat comme par les associations d'élus. Sans oublier les incitations financières qu'ils ne se sont pas encore appropriées. Personnellement, je vais m'attacher à travailler la question des modes de concertation locale, condition clé de la réussite d'un projet.

Pourquoi ? Ça ne fonctionne pas aussi vite que vous l'espériez ?

Il faut du temps à un élu qu'il soit maire ou président d'intercommunalité, pour présenter, partager et faire accepter sa vision des énergies renouvelables sur son territoire. Il lui faut aussi du temps, lorsqu'il découvre le sujet, pour s'y acculturer, même s'il faut saluer l'action conduite par les services et opérateurs de l'Etat, comme par les services des collectivités. Les référents EnR dans les préfectures, comme ceux de l'Agence de la transition écologique (Ademe) ou de l'Agence nationale de la Cohésion des territoires (ANCT), peuvent en témoigner. Je m'acculture moi-même au sujet : je me suis d'ailleurs préparé plusieurs pense-bêtes avant de prendre mon poste, le premier étant que l'énergie, ce n'est pas que l'électricité... même si l'électricité est l'énergie décarbonée par excellence.

Le second, c'est la multiplicité des modèles ; collectivement, nous avons tous un tropisme lié à la production d'énergie qui a donné de très belles installations, alors que nous avons désormais des modèles locaux qui partent du besoin et de la consommation d'énergie, pour aller sur la production.

Concrètement, comment les édiles peuvent-ils s'y retrouver entre l'ANCT, l'Agence de la transition écologique (Ademe), l'Agence nationale pour l'habitat (ANAH), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et la Banque des territoires (BDT), l'entité du groupe Caisse des Dépôts ?

L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) conduit des programmes avec des moyens et travaille en convention, en contrat ou en partenariat avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'ANAH, l'Ademe, l'ANRU et la BDT. Tout cela apporte aux élus locaux de la ressource, des financements et de l'ingénierie, et pas simplement de l'analyse et des données sur leur territoire.

Dans la continuité de la mobilisation par la ministre de l'Ademe et du Cerema sur le sujet des zones d'accélération, je vais rechercher le concours de la « tête de réseau ingénierie » qu'est l'ANCT pour que la transition énergétique fasse plus explicitement partie de son offre.

Le gouvernement vous a enfin confié la mission de suivre et de piloter le projet Cigeo, de stockage géologique des déchets nucléaires, comment avancez-vous sur le sujet?

Ce projet à Bure est porté par le préfet de la Meuse : il s'agit aujourd'hui d'aider les collectivités locales à trouver des aménités positives, en mettant en œuvre un projet de territoire ambitieux. C'est vraiment emblématique de l'action de la délégation à l'accompagnement des territoires en transition énergétique. Et c'est peu dire que l'énergie est un domaine nouveau pour moi avec un substrat technique extraordinairement complexe... mais un enjeu d'aménagement du territoire qui est en continuité avec mon parcours. C'est un défi enthousiasmant...

Commentaires 6
à écrit le 21/11/2023 à 17:23
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Sauf qu'on a rien atteint du tout et 2% de nos objectifs en2030 d'après la science , DEMISSION

à écrit le 21/11/2023 à 16:32
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"Suite à quoi j'entre au ministère de l'Agriculture où je travaille sur la question des pesticides." Un avis sur la Commission européenne qui a autorisé le jeudi 16 novembre 2023, l’utilisation pour dix années supplémentaires du glyphosate interdi...

à écrit le 21/11/2023 à 13:13
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quand l'etat socialiste ultratolerant accompagne les gens, on sait ou ca mene!!!!!!! l'etat a accompagne le concorde, il a accompagne edf, il a accompagne heuliez ' futur leader mondial de la voiture electrique, selon segolene, il vous accompagne pou...

à écrit le 21/11/2023 à 7:46
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Il a un parcours suffisant varié (de terrain, en plusieurs endroits, dans des postes divers, en clair l´inverse de Macron), pour bien comprendre la difficulté de sa tâche : lui, tout seul, devrait coordonner les activités d´un pays de 67 millions d´h...

à écrit le 21/11/2023 à 7:18
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"Je n'ai pas fait l'ENA, comme vous le rappelez, mais j'y ai été stagiaire." Ce serait mieux d'assumer ne pas faire l'ENA, c'est pas grave hein il n'y a aucune honte bien au contraire. D'ailleurs je pense que la question posée ne se voulait certainem...

à écrit le 21/11/2023 à 6:24
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Le titre est trop long. Voici le vrai titre : "Nous n'arriverons pas à atteindre nos objectifs climatiques"

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