Plus de 150 % d'augmentation en seulement quatre ans ! C'est la croissance du nombre d'alertes en matière de sécurité économique sur les entreprises françaises entre 2020 et 2023 traitées par le Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), un organisme du ministère de l'Économie et créé en 2016. En 2020, le SISSE avait traité 353 alertes, il est cette année sur une trajectoire d'environ 900 alertes (contre 694 en 2022, soit un rythme d'environ de soixante nouvelles alertes par mois ou deux par jour). Sur les huit premiers mois de l'année, 621 alertes avaient déjà été traitées par les équipes du SISSE. La hausse sur un an serait de près de 30 % si la trajectoire se vérifie. Cette croissance des alertes traitées par le SISSE confirme également tout l'intérêt pour la France de protéger les actifs stratégiques de l'économie française face aux menaces étrangères.
Dirigé par Joffrey Célestin-Urbain, le SISSE, qui est rattaché à la Direction général des entreprises (DGE), est vraiment monté en puissance à partir de 2020 avec le choc brutal créé par le Covid-19 suivi très vite de la prise de conscience par les pouvoirs publics de l'intérêt capital de renforcer la souveraineté économique de la France dans un contexte de mondialisation de l'économie mais aussi de guerre économique et technologique. La guerre entre la Russie et l'Ukraine, a révélé certaines vulnérabilités béantes de la France sur ses approvisionnements de matières premières, voire en matière d'énergie. Depuis 2020, le SISSE a réussi à trouver sa raison d'être mais aussi sa complémentarité avec l'hémisphère sud de Bercy, responsable de la politique d'attractivité de la France en matière d'investissements étrangers.
Gros consommateur de renseignements
Pourquoi une telle croissance des alertes ? Deux raisons : le SISSE est beaucoup plus performant qu'à ses débuts et les actifs français intéressent beaucoup plus fortement la concurrence étrangère en raison des tensions géopolitiques. Ainsi, le SISSE, une petite équipe musclée (environ une soixantaine de personnes), s'appuie considérablement sur les services de renseignement, dont notamment la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) et la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), qui ont des listes d'entreprises, y compris de startup, à surveiller. Les services aident également le SISSE à faire du criblage sur les investisseurs étrangers.
Le SISSE a également su monter un réseau de veille performant dans toute la France, qui n'existait pas auparavant. S'il n'est pas un service de renseignements, il consomme en revanche énormément de renseignements. Résultat, il arrive aujourd'hui au SISSE des dizaines de signalements venant de toutes ses sources. Soit deux à trois fois plus que par le passé. Au SISSE de faire le tri pour détecter dans ces renseignements dont certains vont déclencher ces fameuses alertes. La gestion de certaines de ces alertes peut s'étirer jusqu'à six mois. Très clairement, le SISSE est aujourd'hui moins myope qu'auparavant.
Par ailleurs, le SISSE constate également une intensification de la menace liée à la situation géo-économique mondiale. Il ressent très clairement une lutte pour l'hégémonie technologique de certains pays qui masquent leur intérêt via des fonds d'investissement. « La Chine constitue assurément une menace : elle cumule plusieurs critères d'alerte et a une stratégie de puissance et de leadership à laquelle l'ensemble du fonctionnement de l'économie chinoise - entreprises, mais aussi citoyens - est subordonné », avait expliqué en mars dernier le chef du SISSE. Ce qui se traduit par beaucoup plus de menaces sur les startup et les laboratoires de recherche.
En termes de typologie, 45 % des menaces identifiées par le SISSE sont à finalité capitalistique : rachat, OPA, prise de contrôle rampante. Il surveille également les fonds activistes qui, sans prendre le contrôle d'une société, en influencent la destinée et la déstabilisent avec seulement 3% du capital. Depuis quatre ans, le SISSE a pris une ampleur à la mesure des enjeux de sécurité économique, qui planent sur la France.