Le Covid puis la guerre en Ukraine ont jeté une lumière crue sur les besoins en matière de souveraineté de la France, devenu un axe prioritaire de la stratégie industrielle du pays. « Cet objectif de souveraineté économique est un tournant majeur » en vue de « produire en France et en Europe les éléments les plus critiques dont on a besoin », résume Thomas Courbe, directeur général de la Direction Générale des Entreprises au ministère de l'Économie et des Finances, à l'occasion de la 10ème édition du Paris Air Forum qui s'est déroulé ce vendredi.
Le concept de souveraineté s'est imposé dans des secteurs critiques comme la santé durant la pandémie, qui a fait ressortir des lacunes en France. Mais aussi dans l'électronique ou les matériaux critiques, ou plus largement la transition écologique, avec la décision de faire de la France un exportateur net de batteries de véhicules électriques.
IA, le nouveau monde
Enfin, l'Intelligence artificielle, désormais au cœur du débat public avec l'arrivée de Chat GPT, figure également parmi les secteurs où elle a été désignée comme une priorité. Emmanuel Macron a annoncé une enveloppe de 500 millions d'euros pour développer l'IA lors de sa visite mi-juin au salon Vivatech de Paris, le plus grand en Europe dédié à la tech.
Consubstantielle de la défense et l'aéronautique, elle a pris une dimension plus aiguë depuis la guerre en Ukraine, qui « a changé les logiciels », estime le sénateur Christian Cambon, président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat. « On est obligé de s'adapter à un nouveau monde, à de nouveaux concepts ». Ainsi, la loi de programmation militaire (LPM) en cours d'examen au Sénat doit « non seulement nous préparer tout de suite mais faire en sorte qu'en 2030 on ne soit pas trop exposé à des menaces de pays qui précédemment étaient des pays amis », prévient-il.
Sécuriser les approvisionnements et les technologies
Pour un groupe comme Safran, la souveraineté doit être présente dans la chaîne d'approvisionnement et les technologies, relève Olivier Andriès, directeur général du motoriste et équipementier aéronautique. « Parce que si pour la disponibilité d'un matériau, vous devez demander l'autorisation à telle ou telle capitale, vous n'êtes plus autonome ». Et aussi « parce que pour être à l'état de l'art dans le domaine de l'aéronautique, vous devez investir énormément dans les technologies ».
Il cite le rachat récent par Airbus et Safran, alliés au fonds français Tikehau Capital, d'Aubert & Duval, fournisseur stratégique de matériaux et pièces critiques pour l'aéronautique et la défense. Outre sécuriser une alternative au titane russe, qui fournissait 50% de la filière européenne avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, sa compétence dans le domaine des superalliages rend Aubert & Duval indispensable à la maîtrise des parties chaudes des moteurs d'avions de combat de demain, alors que la France est engagée dans le développement du SCAF, le Système de combat aérien futur.
« Aubert & Duval est le seul élaborateur de matériaux en dehors des Etats-Unis », souligne Olivier Andriès. « Si cette société était rentrée dans une difficulté, ça aurait eu un impact sur notre niveau d'autonomie dans le domaine de l'aviation de combat », souligne Olivier Andriès.
Exportations, problématiques de souveraineté
Mais la souveraineté n'est pas perçue de la même façon à Paris ou dans les autres capitales européennes, notamment pour ce qui concerne l'export. En France, les matériels de défense peuvent être exportés vers des pays partenaires pas forcément membres de l'OTAN. « Une autorisation d'exporter uniquement dans des pays de l'OTAN par exemple, qui était un des points importants de la coalition allemande, est un sujet difficile parce que ça mettrait en danger le modèle français », explique le patron de Safran.
L'autre sujet concerne les programmes en coopération, qui devraient être régis selon le « principe du meilleur athlète », estime Olivier Andriès. En ce qui concerne l'avion de combat, « aujourd'hui le meilleur athlète en Europe, il s'appelle Dassault. Dans le domaine des moteurs d'avions de combat, c'est Safran. C'est quelque chose qui n'est pas toujours reconnu a priori par nos partenaires européens qui ont l'ambition à travers ces programmes de remonter en compétence », regrette Olivier Andriès. « Il y a sans doute un écart dans l'acceptation politique de la souveraineté européenne dans le domaine de la défense et dans les autres domaines », tempère Thomas Courbe. Pour lui, « une dernière condition, qui va être majeure et être un combat stratégique des prochaines années, ce sont les compétences ».
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