Agriculture : après le Brexit et la fin de la PAC, les agriculteurs britanniques inquiets pour leur survie

Il n’y a pas que l’Allemagne, les Pays-Bas et la France : la colère des agriculteurs gronde également outre-Manche. Si les autorités britanniques affirment vouloir profiter du Brexit pour rediriger l’aide à l’agriculture vers les petites exploitations et la transition écologique, tout en maintenant les aides à un même niveau, nombre d’agriculteurs ne s’y retrouvent pas.
Guy Singh-Watson, fondateur de Riverford Organic, manifestait récemment pour défendre les intérêts des agriculteurs britanniques.
Guy Singh-Watson, fondateur de Riverford Organic, manifestait récemment pour défendre les intérêts des agriculteurs britanniques. (Crédits : Riverford Organic)

« J'ai toujours su que le Brexit allait être une catastrophe pour l'agriculture britannique. J'étais pessimiste dès le départ, mais rétrospectivement, je me rends compte que je ne l'étais pas assez », assène Liz Webster. Propriétaire avec son mari d'un élevage de vaches dans le Wiltshire, elle a créé en 2020 l'association Save British Food pour défendre les intérêts des agriculteurs après la sortie de l'Union européenne (UE), et donc de la Politique Agricole Commune (PAC), par le Royaume-Uni.

À l'image de Liz Webster, nombre d'agriculteurs britanniques sont inquiets pour leur avenir. Fin janvier, certains ont manifesté avec des épouvantails devant le Parlement britannique pour alerter sur leur situation critique et protester notamment contre les prix d'achat trop bas des grandes chaînes de supermarché locales, qui les mènent à la ruine. « L'agriculture britannique est à genoux, les moyens de subsistance de nos agriculteurs réduits à peau de chagrin. Nos 49 épouvantails plantés devant le parlement représentent les 49% d'agriculteurs sur le point de quitter l'industrie », déclarait alors Guy Singh-Watson, fondateur de Riverford Organic, une ferme qui livre des boîtes de fruits et légumes bios.

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Vers une « gestion environnementale des terres »

Tant que le Royaume-Uni faisait partie de l'Union, ses agriculteurs bénéficiaient de la PAC. En 2019, par exemple, le royaume avait reçu 4,7 milliards de livres sterling de la part de celle-ci. L'aide au revenu, allouée au moyen de paiements directs aux agriculteurs, était en moyenne de 2,4 milliards de livres par an.

Pour préparer l'après-Brexit, le gouvernement de Boris Johnson a passé l'Agriculture Act 2020. Celui-ci prévoit de garantir le même budget que celui dont bénéficiait le secteur agricole britannique sous la PAC, en abandonnant cependant progressivement les paiements directs au profit de plusieurs programmes rassemblés sous la bannière « Environmental Land management » (gestion environnementale des terres). Parmi ceux-ci, citons notamment les « sustainable farming incentives » (SFI), des « incitations à l'agriculture durable » visant à aider les agriculteurs à améliorer l'empreinte écologique de leur ferme, sa productivité, ou encore le bien-être animal.

L'idée étant donc d'améliorer l'efficacité de l'agriculture britannique et de faciliter sa conversion écologique, mais aussi de soutenir davantage les petites exploitations, selon le gouvernement.

« Avec le système des paiements directs, les 10% des agriculteurs possédant le plus de terrain recevaient 50% du budget. Notre nouveau plan soutient spécifiquement les petites exploitations, par exemple à travers le dispositif SFI Management Payment, qui allouera 20 livres par hectare par an pour 50 hectares maximum, soit un paiement maximal de 1.000 livres sterling par an », affirme un porte-parole du département de l'Environnement, de l'Alimentation et des Affaires rurales (Defra) à La Tribune.

Ainsi, toujours selon ce porte-parole, « tout l'argent économisé grâce à l'abandon progressif des paiements directs est réinvesti dans le secteur agricole, et nous avons tenu notre engagement d'investir 2,4 milliards de livres par an dans le secteur. »

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Tracasseries administratives

Mais les agriculteurs comme Liz Webster n'ont pas la sensation de s'y retrouver. « À l'heure actuelle, nous touchons deux fois moins de subventions qu'avant », affirme l'agricultrice. Son cas ne semble pas isolé. En février 2023, le quotidien britannique The Guardian rapportait que, tandis que les paiements directs avaient été réduits de 22% en 2022, l'argent alloué aux SFI équivalait à 0,44 % seulement des 2,4 milliards de livres promises par le gouvernement britannique pour l'agriculture.

« Nombre d'agriculteurs ont du mal à combler l'écart », commente pour La Tribune une porte-parole de la National Farmers' Union (NFU), le plus grand syndicat d'agriculteurs du pays, représentant 46.000 exploitations. En cause, notamment, des délais dans la mise en place du plan par le gouvernement et donc dans les paiements versés aux agriculteurs.

Ces derniers peuvent en outre désormais demander des aides en fonction de différents critères. Il est, par exemple, possible de toucher 1.920 livres par hectare si l'on produit des fruits bios, 115 livres par hectare si l'on éloigne ses troupeaux des points d'eau durant l'automne et l'hiver, ou encore 489 livres par hectare si l'on se contente d'appliquer une faible quantité d'engrais. Une granularité qui a ses avantages, mais qui entraîne aussi une fragmentation des aides et donc des tracasseries administratives susceptibles de dissuader certains agriculteurs de prendre la peine de demander toutes les offres auxquelles ils ont le droit. Sur les 82.000 exploitations éligibles aux SFI, seulement 10.000 avaient ainsi monté un dossier mi-février.

À l'heure où les paiements directs doivent encore baisser de 50% en 2024, les agriculteurs britanniques ont de quoi être inquiets, d'autant qu'ils font également face à une explosion de leurs frais suite au Covid et à la guerre en Ukraine. Face à ces inquiétudes, le Defra a promis de nouvelles mesures pour 2024, dont un processus de paiement accéléré et des procédures administratives simplifiées, ainsi que 50 nouveaux critères d'éligibilité pour toucher des subventions, parmi lesquels l'agroforesterie et l'usage de robots pour couper les mauvaises herbes.

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Écologie ou productivisme, faut-il choisir ?

Tout en saluant ces mises à jour, David Exwood, vice-président de la NFU, appelle dans un communiqué à « un meilleur équilibre entre politiques soutenant la productivité de l'agriculture et la protection de l'environnement ». Certaines aides font en effet grincer des dents, dans la mesure où elles incluent des mesures environnementales qui ne sont pas directement liées à la production agricole, voire vont à l'encontre de celle-ci. Le Countryside Stewardship and Landscape Recovery accorde par exemple des subventions pour la restauration des forêts. D'autres programmes versent des fonds pour les projets qui visent à transformer des fermes en réserves naturelles.

« Dans certains cas, recevoir des subventions implique d'arrêter de produire ! » s'agace Liz Wheeler, pour qui l'on aurait toutefois tort d'opposer l'écologie et l'intérêt des agriculteurs. « Le problème n'est pas la volonté d'atteindre la neutralité carbone, contrairement à ce qu'affirment certains influenceurs d'extrême-droite qui veulent récupérer le mouvement, mais le Brexit et le cafouillage du gouvernement suite à celui-ci. »

Concurrence déloyale

La mise en place de traités de libre-échange avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, signés à la suite du Brexit, est en outre selon elle totalement incohérente avec le message écologique du gouvernement.

« L'agriculture britannique est peu intensive et soumise à des règles environnementales très strictes. Or, les éleveurs locaux sont désormais en concurrence avec la viande australienne issue d'élevages intensifs géants, nourrie au grain et aux antibiotiques, autant de pratiques interdites au Royaume-Uni. Où est la préservation de l'environnement et du bien-être animal là-dedans ? »

En plus de subir cette concurrence d'Outre-mer, les agriculteurs britanniques pâtissent également d'un accès complexifié au marché européen depuis le Brexit. En 2018, le secteur agroalimentaire britannique exportait pour 22 millions de livres de marchandises vers l'UE. Selon le Defra, 75% de la production du Pays de Galles et 65% de celle de l'Angleterre étaient ainsi envoyées sur le Vieux Continent. Dans certains secteurs, la dépendance est encore plus grande : entre 90% et 95% de la viande de mouton britannique est dédiée au marché européen !

Or, les éleveurs sont par exemple désormais contraints de montrer un certificat sanitaire signé par un vétérinaire pour vendre sur le marché européen. Une mesure qui a, à elle seule, renchéri le coût des exportations vers l'Europe de 60 millions de livres par an. « Les coûts pour exporter vers l'Europe sont devenus trop élevés pour les petites exploitations : seuls les plus gros peuvent se le permettre », déplore Liz Webster.

Contacté sur ce point, un porte-parole du Defra affirme qu'en 2023, « 42 barrières dans l'agroalimentaire ont été levées, pour un marché estimé à 340 millions de livres par an. Citons notamment l'exportation de volaille vers la Tunisie, de porc et de truites vers la Chine, ainsi que de nourriture pour animaux vers la Corée du Sud. »

Commentaires 6
à écrit le 11/03/2024 à 10:24
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Le moment est peut-être venu de mettre fin aux massacres d'animaux innocents, même si la perspective de manger un steak sous forme de pilule ne m'enchante guère, celle d'agriculteurs transformés en chimistes non plus, mais, au moins, ces derniers pou...

à écrit le 11/03/2024 à 9:35
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he oui, les pecheurs et agriculteurs qui ont ecoute les sirenes decouvrent la vraie realite vraie et juste, comme on dit......

à écrit le 11/03/2024 à 8:03
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Mince le Brexit ne remplit pas ses objectifs promis ? Leur aurait on menti ? Finalement il avait pour objectif l intérêt que de quelques intérêts neo- conservateurs au détriment de la majorité dupée comme d’hab…

le 11/03/2024 à 8:55
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Infâme messe européiste, j'espère que vous êtes payés pour ça, seule justification acceptable. Et la peur d'aller au goulag quand même hein, on sait jamais avec eux, on ne sait pas où ils en sont là haut... ^^

le 11/03/2024 à 19:27
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"Leur aurait on menti ?" peut-être voire sans doute. Boris avait dit aux agriculteurs, une fois le Brexit voté, qu'ils auront pareil qu'avec la PAC mais seulement pendant 2 ans, ensuite, fini, zéro. Avec des accords commerciaux dont la viande avec de...

à écrit le 11/03/2024 à 7:28
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L'agro-industrie composée de milliardaires veut des esclaves, je discute souvent avec des agriculteurs qui dressent un bilan solide avec moult histoires désastreuses à raconter, de ce système. Les gens apprennent. 180000 euros par mois le président d...

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