Israël : à Eilat, les rescapés soignent leurs plaies

Près d’un tiers des otages israéliens détenus à Gaza ont été enlevés dans le kibboutz Nir Oz.
Au lendemain de l’attaque du 7 octobre, les victimes du Hamas se sont réfugiées dans la célèbre station balnéaire.
Au lendemain de l’attaque du 7 octobre, les victimes du Hamas se sont réfugiées dans la célèbre station balnéaire. (Crédits : © ARIS MESSINIS/AFP)

Le jour se lève sur la baie d'Eilat, paradis des plongeurs et havre de paix, dans le sud d'Israël. Sur la route menant de l'aéroport Ramon, implanté dans le désert du Néguev, à la cité balnéaire, on distingue les systèmes antimissiles Arrow 3 déployés par l'armée israélienne. Pour la première fois, ils ont intercepté des tirs en provenance des rebelles houthistes du Yémen, rappelant que le pays est en guerre. À l'entrée de la ville, on voit des drapeaux blanc et bleu accrochés aux fenêtres d'un complexe hôtelier ainsi que des panneaux « Merci Eilat » manifestant la solidarité avec les rescapés de Sderot, l'une des localités du sud d'Israël les plus touchées par les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre.

Depuis six semaines, la célèbre station touristique de la mer Rouge est devenue le plus grand camp de réfugiés des 250 000 « déplacés internes » (dont 120 000 évacués par leurs propres moyens) que compte le pays. En l'espace de quarante-huit heures, la population d'Eilat, 50 000 d'habitants, a plus que doublé. Un hôtel héberge notamment 160 évacués de Nir Oz, l'un des kibboutz frontaliers de la bande de Gaza les plus touchés par les massacres : 38 personnes assassinées et 75 autres kidnappées. « Ils sont arrivés sans rien, pieds nus, en pyjama, après avoir perdu des proches et vu leur maison brûler, témoigne Yotam Polizer, directeur d'IsraAid, une ONG israélienne qui opère pour la première fois sur le sol national. Combien de temps va-t-on rester ici, ont-ils demandé ? »

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Intervenue en 2014 pour aider les victimes yézidies du groupe État islamique, en 2021 pour évacuer 205 femmes d'Afghanistan après la prise de pouvoir des talibans, en Ukraine, ou encore lors du tremblement de terre au Maroc en septembre, l'ONG a l'expérience des situations d'urgence, associant terrorisme et déplacements de population. « D'un point de vue purement humanitaire, nous n'avons jamais rien connu de pareil, affirme Yotam Polizer. Le traumatisme des survivants des atrocités du 7 octobre est immense. Il faut le traiter au plus vite, sinon il ressurgira plus tard, comme cela s'est produit pour les rescapés de la Shoah ou les vétérans de la guerre du Kippour.»

Dans le patio central de l'hôtel Yam Suf, où sont accueillis les évacués de Nir Oz, des espaces de parole, un stand de prise en charge psychologique et une crèche improvisée bordent la piscine, étrangement calme. Dans la salle de réunion, tapissée de fleurs et de bougies, s'affichent les portraits des disparus du Kibboutz, dont celui de Kfir Bibas, le plus jeune des quelque 240 otages israéliens, âgé de 10 mois. « Nous avons essayé d'organiser des activités pour distraire les familles », confie Irit Lahav en faisant visiter les lieux.

Agent de voyages, Irit est la fille des cofondateurs de Nir Oz, un kibboutz de 427 âmes créé en 1955, implanté à 2 kilomètres de la bande de Gaza. Comme ses « frères et sœurs » du village collectif, elle revit sans cesse son « samedi soir ». « Avec ma fille de 22 ans, nous nous sommes barricadées dans notre abri antimissile pendant près de onze heures avant d'être secourues par l'armée, témoigne-t-elle. À partir de 6 h 45, les terroristes ont tiré nonstop. Ils ont incendié nos voitures pour éviter que l'on puisse s'échapper, assassiné des familles entières et leurs animaux de compagnie, et tout raflé sur leur passage : chaussures, vélos, téléphones, cartes de crédit, passeports, avant de réduire en cendres la moitié de nos habitations. »

« Ne me prenez pas, je suis trop jeune »

Cette tragédie lui a fait perdre ses idéaux. « En tant qu'activiste pour la paix, j'avais l'habitude de conduire des habitants de Gaza depuis le poste-frontière d'Erez jusqu'aux hôpitaux israéliens, indique-telle. Mais depuis le massacre de grands-parents, de femmes et d'enfants, ce n'est plus seulement le Hamas ou le Djihad islamique que j'accuse, mais aussi nos voisins dont j'ai compris qu'ils étaient aussi impliqués. »

Cette nuit-là, Renana Gome Yaakov était partie dormir chez une amie avec sa fille. Elle avait laissé ses deux garçons Yagil (12 ans) et Or (16 ans) dans leur maison de Nir Oz. Lorsque les terroristes du Hamas ont attaqué au petit matin, elle raconte que ses fils l'ont appelée, lui parlant en chuchotant dans la pièce sécurisée où ils se cachaient. Elle répète la dernière phrase entendue de son cadet, Yagil : « Ne me prenez pas, je suis trop jeune. »

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Le Hamas a confirmé à Renana Gome Yaakov que ses fils étaient captifs, comme 73 autres membres de Nir Oz. Pour raconter son cauchemar, elle montre un court-métrage d'animation de 80 secondes intitulé Désastre. Il a été créé à sa demande par Yoni Goodman, le directeur de l'animation du célèbre film Valse avec Bachir, nommé aux Oscars en 2009, réalisé par Ari Folman. Elle refuse de commenter une vidéo du Djihad islamique, divulguée le 9 novembre, montrant Yagil, amaigri, les yeux creusés, mais vivant. « Nous pensions que Nir Oz était un coin de paradis, soufflet-elle. En moins de deux heures, il s'est transformé en enfer. Personne ne pourra retourner y vivre avec des enfants. »

Un tel retour n'est de toute façon pas envisageable. Les évacués devraient séjourner pendant huit mois dans un nouveau quartier de Kiryat Gat, une ville du Sud, avant d'être hébergés pendant deux ans dans un kibboutz voisin. Cette semaine, leurs enfants ont pu reprendre le chemin de l'école grâce à l'ouverture d'un établissement primaire à Eilat, avec l'aide d'IsraAid, pour accueillir les 600 écoliers des communautés frontalières de la bande de Gaza. Les classes se tiendront sur un ancien camping, dans de grandes tentes blanches climatisées, avec certains de leurs professeurs, ceux qui ont survécu ou qui ne sont pas mobilisés par la guerre. « Le projet a été monté avec les collectivités locales plus qu'avec le ministère de l'Éducation », glisse Yotam Polizer. Ici comme ailleurs, la société civile comble les trous, et essaie de redonner de l'espoir.

L'enquête sur les viols du 7 octobre ne fait que commencer

Les crimes de masse commis le 7 octobre ont aussi comporté des violences sexuelles - mutilations de parties génitales, viols, tortures - ciblant les Israéliennes de tous âges, dont les dépouilles ont été exhibées « en butin de guerre » par le Hamas. « Nous disposons de témoins pour plusieurs cas d'abus sexuels, sans compter les preuves vidéo, les témoignages de terroristes et les photographies des corps des victimes », a déclaré cette semaine David Katz, de la division des enquêtes criminelles. Souvent, les preuves matérielles (échantillons de sperme, ADN) n'ont pas été recueillies, la priorité ayant été donnée à l'identification de près de 1 200 corps des victimes civiles, récupérés dans une zone de guerre active et dans un état parfois « trop endommagé ». « De nombreuses preuves ont été perdues », déplore Yifat BitTon, avocate du Collège académique Achva. Toutefois, les médecins légistes de la morgue installée sur la base militaire de Shura ont documenté visuellement les abus. Devant cette situation inédite en Israël, 130 professionnels israéliens ont participé cette semaine à un webinaire avec Vesna Nikolic-Ristanovic, fondatrice de l'Association de victimologie de Serbie, pour savoir comment ce pays avait traité les cas de viols à une grande échelle. N.H.

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