L’Afrique, berceau de la basse technologie

S’il y a un terme que l’on a davantage l’habitude d’associer aux pays du Nord qu’à ceux du Sud, c’est bien l’innovation. Mais dans un monde où progrès ne rime plus forcément avec « high-tech », et où les moyens techniques et financiers sont de moins en moins considérés comme des ingrédients sine qua non de la recette, un nouveau paradigme pourrait bien émerger. Et si la ressource la plus essentielle du développement devenait l’inventivité ? Et puisque la nécessité en est mère, le regard de ceux qui rêvent d’un monde plus résilient, plus durable et moins énergivore se tourne vers des territoires qui ont fait du système D leur spécialité. Au premier rang desquels, l’Afrique. (Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
(Crédits : Istock)

En 2019 sortait sur Netflix un film inspiré d'un roman autobiographique et d'une histoire vraie. Celle d'un adolescent malawite de 14 ans qui, en 2001, est parvenu à construire, dans son petit village du district de Kasungu, une éolienne capable d'alimenter quelques-uns des appareils électriques du foyer familial. Seuls moyens à la disposition du jeune William Kamkwamba : un vieux manuel de sciences, du bois d'eucalyptus et des pièces détachées de vélo.

Très médiatisés à la fin des années 2000, les faits dont s'inspire Le garçon qui dompta le vent ont fait le tour du monde. Mais ont-ils vraiment le caractère exceptionnel qu'on leur prête ? En Afrique subsaharienne, où le secteur informel est une composante essentielle de l'économie (entre 25 et 65 % du PIB, selon le FMI), les Africains sont nombreux à faire preuve d'inventivité pour résoudre leurs problèmes quotidiens sans avoir recours aux facilités industrielles. Et ce, même s'il leur faut fabriquer eux-mêmes, avec les moyens du bord, toutes sortes d'appareils électriques, mécaniques ou même électroniques...

Des fablabs pas comme les autres

Accentuée d'abord par l'essor d'Internet, cette tendance africaine au Do it Yourself connaît depuis quelques années un nouvel élan. Portée par l'émergence, ou plutôt la réémergence d'une vieille notion, celle de « bien commun », ou plus simplement de « commun », un phénomène est en pleine expansion sur le continent : la multiplication d'ateliers de production numérique ouverts et collaboratifs. Ces « fablabs », concept né aux États-Unis à la fin des années 1990, sont loin d'avoir essaimé uniquement en Afrique, mais ils connaissent là-bas un destin bien particulier.

Si aux États-Unis et en Europe, ces « makerspaces » ont tendance à s'orienter vers les technologies de pointe, ceux qui se sont installés sous ces latitudes ont une tout autre spécialité : la low-tech. Une différence qui s'explique, sans surprise, par des sources de financement très limitées... Rares sont les fablabs africains qui, comme systématiquement leurs homologues du Nord, sont équipés d'imprimantes et de scanners 3D ou encore de découpeuses laser et vinyle. L'attirail mis à disposition des aspirants concepteurs et fabricants se résume souvent au strict minimum, à savoir ordinateurs, imprimantes simples et petit outillage.

Loin d'avoir découragé ceux qui gèrent ces lieux, cette précarité financière et matérielle les a conduits à innover et à faire jouer leurs réseaux. Le maître mot ? Recyclage. Acheter du neuf n'est pas envisageable, alors on récupère, à droite, à gauche, auprès de partenaires spécifiques, du matériel de seconde main. Tel est le cas, par exemple, du Babylab, en Côte d'Ivoire, qui a mis en place une filière de récupération des déchets informatiques en lien avec des entreprises françaises installées en Afrique (comme la Société Générale). Ou encore du Blolab (Bénin), qui reçoit son matériel d'organismes internationaux (UNICEF, PNUD) et d'hôtels locaux[1].

Le « low high-tech »

Et cette ingéniosité ne se limite pas à l'approvisionnement. Dès 2013, le Woelab, au Togo, l'un des fablabs pionniers du continent, défrayait la chronique en fabriquant, à partir de déchets électroniques, la toute première imprimante 3D « made in Africa ». Baptisée W.Afate, la machine est restée dans les esprits comme l'un des symboles forts du pouvoir des « makerspaces » africains. Plaçant le Togo, petit pays niché entre le Ghana, le Bénin et le Nigeria, sur la carte mondiale de l'innovation.

Si l'exemple du Woelab a largement contribué à l'expansion des fablabs, notamment en Afrique de l'Ouest, cette dernière n'a pas non plus échappé à l'attention de ceux qui, en Europe et dans d'autres pays du Nord, s'intéressent de plus en plus sérieusement aux solutions technologiques alternatives. Et notamment à cette nouvelle génération d'ingénieurs qui remet en question les schémas habituels de l'économie industrielle et mondialisée en cherchant ailleurs des options plus sobres, plus résilientes, plus vertueuses et, surtout, susceptibles de repenser nos usages.

Un réservoir d'idées

En France, le Low-Tech Lab, structure pionnière en matière de « basses technologies », a très tôt compris l'immense potentiel africain quand il s'agit de ces solutions simples, peu onéreuses, accessibles à tous et faisant appel à des moyens courants et localement accessibles. En 2016, alors qu'il se lance dans un programme de recherche au long cours, un voyage de plusieurs années autour du monde à la recherche des solutions low-tech les plus prometteuses du globe, Corentin de Chatelperron n'oublie pas de faire halte sur ces terres de la « débrouillardise ».

Sans surprise, les côtes africaines sont même la première étape du périple que cet ingénieur et son équipage de découvreurs entament à bord du Nomade des Mers, sorte de catamaran-laboratoire. À Agadir, où ils jettent l'ancre en mars 2016, la chasse aux trésors est fructueuse. Mehdi Berrada, ingénieur local, accepte de partager avec eux un prototype de dessalinisateur qu'il a lui-même mis au point. Un système qui ne nécessite aucune pièce mécanique et qui permet de transformer l'eau de mer, ressource abondante, en une ressource qui l'est beaucoup moins, l'eau douce. Et les trouvailles s'enchaînent. À Dakar, en avril, c'est au tour d'Abdoulaye, jeune réparateur de télévision malien fréquentant un fablab local, de leur montrer comment fabriquer deux éoliennes DIY à base de matériaux de récupération. Puis plus au sud, à Toubacouta, non loin de la frontière gambienne, un groupe de femmes leur apprend à fabriquer un combustible alternatif au bois, sorte de bio-charbon à base de déchets agricoles et de paille de brousse.

Carnet de voyage « low-tech »

Les escales du Nomade des mers en l'Afrique sont loin d'être une initiative isolée. En Afrique de l'Est cette fois, les ingénieurs français Inès Pasqueron et Rémi Leroy sont, eux aussi, partis, en 2020, à la rencontre d'individus à l'origine de techniques durables s'apparentant à la « basse technologie ». Le but n'était pas cette fois de tester ces technologies à bord d'un bateau à visée autonome, mais de rapporter de ce voyage « inspirationnel » un ouvrage illustré à visée scientifique et baptisé Africalowtech.

Là encore, la pêche est bonne. D'Arusha, en Tanzanie, le duo d'explorateurs rapporte, par exemple, l'histoire d'un atelier pas comme les autres, mi-laboratoire collaboratif, mi-école pour inventeurs. À coups de crayon, et de touches d'aquarelles, Rémy immortalise sur le papier, non seulement les diverses machines minimalistes qui y sont mises au point (épandeur naturel, machine de fabrique de savon manuelle, fauteuil roulant adapté aux routes africaines...), mais aussi, et peut-être surtout, l'esprit d'entre-aide et d'initiative qui y règne. Rebelotte au Kenya, auprès d'un tanneur de peaux de poissons, puis du capitaine d'un bateau multicolore fabriqué à partir de plastique recyclé. Puis encore à Zanzibar, à la rencontre de femmes qui ont fait de la culture des algues leur métier.

Une inversion du courant ?

À ces démarches individuelles, émanant pour la plupart d'ingénieurs ou de groupements d'ingénieurs persuadés qu'une alternative à l'économie de marché est possible, s'ajoutent aussi quelques initiatives à plus grande échelle. En 2007, l'institut Véolia a ainsi lancé une revue baptisée FACTS Reports dont le but est de « promouvoir la diffusion des bonnes pratiques mises en œuvre sur le terrain [...] dans les pays développés et en développement ». Des pratiques parfois informelles, et dont la dissémination n'a pas vocation à se faire exclusivement à sens unique, mais bien dans les deux sens.

En 2021, dans un numéro dédié aux perspectives africaines en termes de services essentiels, FACTS Reports détaillait, par exemple, la liste des innovations les plus prometteuses du continent sur le thème de l'eau, des déchets et de l'énergie. L'année suivante, dans une publication consacrée cette fois aux défis sociaux et économiques liés à la transformation écologique, la revue s'intéressait aussi à l'intérêt d'une ville qui serait entièrement low-tech. Un contexte urbain qui encouragerait ses habitants « à agir, à systématiquement favoriser l'autonomie, la simplicité, la facilité de réparation, et l'accessibilité au plus grand nombre ». Des principes, on l'a vu, sur lesquels nombre d'initiatives africaines ont beaucoup à nous apprendre...

[1] Stéphanie Leyronas, Isabelle Liotard et Gwenaëlle Prié, Des communs informationnels aux communs éducationnels : les fablabs en Afrique francophone, 2018.

..................................................................................................................................

ACTUELLEMENT EN KIOSQUE ET DISPONIBLE SUR NOTRE BOUTIQUE EN LIGNE

T15

Commentaire 1
à écrit le 23/07/2023 à 13:49
Signaler
Bonjour, l'être humain est inventifs, mais , nous avons découverte la roue, ils y a bien longtemps, et actuellement nous sommes passé a autre chose .... Si l'humanité est née ils y a bien longtemps sur se continent, elle a par sa curiosité conquis l...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.