En attendant l'embargo européen sur le pétrole russe en rétorsion contre la guerre menée par Moscou en Ukraine, celui appliqué sur le charbon - qui ne rentrera en vigueur qu'à partir du mois d'août - pousse les producteurs russes à trouver d'autres débouchés à leurs exportations, notamment en Asie, région qui concentre l'essentiel du commerce international du charbon.
"L'Inde cherche à se procurer du charbon d'origine russe, car elle veut profiter d'importants rabais par rapport aux prix des charbons d'origine australienne et sud-africaine de qualité égale, d'autant que les stocks sont en baisse dans les centrales électriques nationales", indiquent dans une note Suyash Pande et Pritish Raj, analystes chez S&P Global.
A peine plus de 1% de ses importations
Déjà, selon les données fournies par Kpler, une société de data intelligence spécialisée dans les marchés des matières premières, les importations de charbon russe ont atteint 1,04 million de tonnes en mars, leur plus haut niveau depuis janvier 2020.
En 2021, elles s'élevaient à 1,76 million de tonnes, soit à peine plus de 1% des 173,32 millions de tonnes de charbon achetées sur le marché international. L'Inde ne figurait même pas dans la liste des principaux clients du charbon russe, dominée par l'Union européenne (31%), la Chine (17%), la Corée du Sud (12%) et le Japon (10%).
Mais cela pourrait changer. Comme pour le pétrole, l'Inde est tentée par la décote de la houille russe, malgré les menaces des Etats-Unis à son encontre.
"L'Inde a acheté une cargaison de charbon thermique russe à 160-165 dollars la tonne pour une livraison en avril, avec un coût du fret de 35-36 dollars la tonne, c'est 60 à 65 dollars de moins que le charbon australien à qualité égale", indiquent les analystes de S&P Global, rappelant qu'à la fin de l'année dernière, le charbon russe proposait déjà son charbon à 10 dollars de moins que la tonne venant d'Australie.
Cette attractivité compte d'autant plus que les cours ont flambé. L'embargo européen mais aussi japonais sur la Russie, troisième exportateur mondial (18%), est venu se greffer sur la décision de l'Indonésie, premier exportateur mondial (41%), de réduire depuis janvier ses exportations pour fournir son marché local, ce qui a mis la pression de la demande mondiale sur l'Australie (20%), l'Afrique du Sud (8%) et la Colombie (5%).
Des cours en hausse de 117% depuis janvier
Selon la référence fournie par Trading Economics qui agrège les données australiennes et américaines, le prix du charbon thermique a progressé de 117% depuis le début de l'année, pour évoluer ce mardi autour 328 dollars la tonne, après avoir atteint 435 dollars le 9 mars.
Avec le charbon russe, New Delhi peut à la fois réduire le coût de sa facture énergétique qui contribue à l'inflation qui a atteint en mars 6,95% sur un an, et fournir ses centrales électriques dont les stocks s'élevaient à 23,17 millions de tonnes à la mi-avril, soit à peine l'équivalent de 8 jours de consommation. Une situation tendue qui laisse présager des pénuries d'électricité dans de nombreux Etats du pays. Tout comme la Chine, l'Inde entend d'ailleurs relancer la production locale pour moins dépendre des importations. Le pays est en effet le deuxième importateur mondial de charbon, avec une part de 15% en 2021, derrière la Chine (23%) et devant le Japon (14%), selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Ainsi, en Chine, la production locale a bondi de 15 % en glissement annuel pour atteindre 396 millions de tonnes en mars. Pékin a par ailleurs confirmé l'ajout de 300 millions de tonnes supplémentaires de capacité d'extraction de charbon cette année.
Pour sa part, l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA) prévoit une hausse de 4% par rapport à 2021 des exportations de charbon des Etats-Unis qui devraient atteindre les 89 millions de tonnes. L'agence explique cette tendance par les cours qui vont rester élevés et, bien sûr, par les perturbations des approvisionnements en provenance de Russie.
Ce retour en grâce de l'utilisation du charbon, qui a commencé à la fin de l'année dernière par la crise énergétique et la flambée des prix du gaz naturel en Europe et en Asie, va à l'encontre de la volonté des pays de réduire son emploi pour lutter contre le réchauffement climatique, comme l'a réaffirmé la COP26 à Glasgow. Pour sa part, l'Inde s'est engagée à éliminer ses importations de charbon d'ici 2030.
"Le total de l'électricité générée au charbon a augmenté de 9 % en 2021 pour atteindre un niveau record, faisant plus que rebondir après une chute de 4 % en 2020 quand la Covid a frappé", constate le Global Energy Monitor, dans son rapport annuel publié ce mardi.
L'Inde représente 14% des projets mondiaux dans le charbon
Ainsi, "seulement 180 gigawatts (GW) des capacités de production au charbon dans l'OCDE, soit un peu plus du tiers du total dans l'OCDE, sont planifiés pour une fermeture d'ici à 2030 en accord avec les engagements de l'accord de Paris", note cette étude, qui a mobilisé plusieurs associations. Hors OCDE, "moins de 10 % des capacités sont planifiées pour une fermeture avant 2050, 2050 étant l'année où l'on devrait totalement éliminer le charbon pour tenir un scénario de limitation du changement de température à 1,5 degré Celsius", déplore le Global Energy Monitor.
Aujourd'hui plus de 2.400 centrales à charbon sont opérationnelles dans 79 pays d'une capacité totale de production de quelque 2.100 GW. Celle-ci devrait augmenter de 457 GW en raison de nouveaux projets de centrales à charbon. Le cabinet d'études basé à San Francisco dénombre que "34 pays ont encore des projets actifs" même si c'est "en baisse par rapport à 41 pays en janvier 2021".
Surtout, ces projets sont concentrés en Asie. En 2021, plus de la moitié (56%) des 45 GW unités de production mises en service l'étaient en Chine (25,2 GW), 14% en Inde, et 11% en Indonésie, au Vietnam et au Cambodge.
En Inde, plus précisément, "malgré les signes d'abandon progressif du charbon, il reste plus de 23,8 GW de capacité planifiée, dont plus de la moitié (12,6 GW ou 52 %) est autorisée; 31,3 GW sont en construction et peu de centrales, voire aucune, n'ont de date ferme de mise hors service", constate le Global Energy Monitor. Une perspective qui devrait faire du pays l'un des principaux clients du charbon russe.
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ZOOM- L'Inde a acheté deux fois plus de pétrole russe depuis la guerre en Ukraine
L'Inde a acheté près de deux fois plus de pétrole russe depuis l'invasion de l'Ukraine le 24 février que sur l'ensemble de l'année 2021 en profitant de son prix attractif et de la réticence de certaines puissances à commercer avec Moscou. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les raffineries indiennes ont commandé pour au moins 40 millions de barils russes, un chiffre plus de deux fois supérieur aux 16 millions de barils importés en 2021, montrent les calculs de Reuters. L'Inde, troisième consommateur de brut au monde, importe 85% de ses besoins pétroliers qui s'élèvent à cinq millions de barils par jour. Ses raffineurs profitent de la baisse des prix du pétrole russe quand dans le même temps ceux du Brent ou de certains producteurs comme l'Arabie saoudite ont augmenté, ont indiqué des sources. Défendant les importations russes, le ministre indien du Pétrole, Hardeep Singh Puri, a déclaré vendredi qu'elles ne représentaient qu'une fraction infime des besoins totaux du pays. Washington a déclaré qu'elle ne s'opposait pas à ce que New Delhi achète du pétrole russe à des prix inférieurs à ceux du marché, mais a mis en garde contre une forte augmentation des importations qui pourrait compromettre l'effet des sanctions contre Moscou. Les analystes ont indiqué que les importations de pétrole russe par l'Inde pourraient diminuer dans la mesure où l'application effective des sanctions occidentales à partir de mi-mai et fin juin pourrait affecter la logistique.