Les travailleurs risquent de payer les conséquences de la crise au prix fort. Dans son dernier rapport, l'Organisation internationale du travail (OIT) dresse un panorama alarmant de la situation des travailleurs dans le monde. Au premier semestre 2020, les salaires ont reculé ou ralenti dans les deux tiers des pays étudiés. Dans le dernier tiers des pays, les salaires moyens ont augmenté mais de manière "artificielle". La grande majorité des suppressions de postes concerne avant tout les salariés en bas de l'échelle. Ce qui a pu contribuer à faire grimper les chiffres de la moyenne.
Même si les annonces relatives au vaccin laissent entrevoir une sortie de crise sanitaire dans les prochains mois, la recrudescence du virus à l'automne risque de faire des ravages sur le marché du travail déjà affaibli par un printemps cataclysmique. Si la demande ne repart pas rapidement et que les carnets de commandes des entreprises se remplissent difficilement, l'économie mondiale risque de rentrer dans une spirale récessive dangereuse dans les mois à venir.
Des effets différenciés selon le type d'emploi
Les répercussions de la pandémie peuvent diverger en fonction de la composition des emplois occupés dans chaque pays. C'est ce que les économistes appellent "les effets de composition", précisent les auteurs de l'épais rapport de plus de 200 pages. Au Brésil, au Canada, aux États-Unis, en France ou en Italie, le salaire moyen a connu une progression en apparence "en raison des suppressions d'emplois qui ont frappé essentiellement celles et ceux qui se situent au bas de l'échelle salariale". "Quand la plupart de ceux qui ont perdu leur emploi sont des travailleurs à bas salaires, cela entraîne automatiquement une hausse du salaires moyen pour les travailleurs en poste" et peut biaiser in fine l'analyse.
À l'opposé, la pression sur les salaires était bien plus forte en Corée du Sud, au Japon ou au Royaume-Uni ou en Espagne. Une partie de cette baisse peut s'expliquer par la mise en œuvre de dispositifs tels que le chômage partiel qui a permis de limiter les pertes d'emplois mais a particulièrement touché les travailleurs à bas salaire qui n'ont pas pu se rendre sur leur lieu de travail, contrairement aux cadres par exemple. Dans quelques pays, la prise en charge par l'État ou les organismes de protection sociale sont loin de compenser les pertes de revenus accumulés depuis le début de la crise pour ceux qui ont dû subir le chômage partiel.
Des inégalités salariales exacerbées
La crise a amplifié les inégalités salariales. En effet, la baisse du volume d'heures travaillées pendant les périodes de confinement affecte particulièrement les travailleurs peu qualifiés. Dans quelques pays européens étudiés par l'institution basée à Genève, la moitié des travailleurs les moins bien rémunérés auraient perdu environ 17,3% de leur salaire sans les subventions salariales, ce qui est bien supérieur à la baisse d'environ 6,5% enregistrée par l'ensemble des travailleurs. Ainsi, la part de la masse salariale, qui prend en compte les différentes cotisations, a diminué pour les catégories de salariés situés en bas de l'échelle, passant de 27% à 23% alors que celle destinée à la moitié supérieure sur l'échelle de distribution a augmenté, passant de 73% à 76%.
Le chômage partiel a joué un rôle d'amortisseur mais ne compense pas tout
Contrairement à la grande crise de 2008, beaucoup de pays en Europe ont développé l'activité partielle au cours de cette crise. Les gouvernements sur le Vieux Continent ont ainsi évité des destructions d'emplois en masse, au moins durant les premières semaines de la crise. Aux États-Unis, les entreprises n'ont pas hésité à licencier par million faisant grimper le taux de chômage à des sommets inédits depuis la Seconde guerre mondiale. Ainsi, les auteurs du rapport de l'OIT estiment que sur un échantillon de 10 pays européens où les données étaient disponibles, les subventions salariales et aides publiques ont permis de compenser 40% des pertes en termes de masse salariale totale y compris celles provoquées par la chute du nombre d'heures travaillées. Ce qui signifie que les travailleurs ont pu continuer à acquérir des droits (chômage, formation, retraite) même s'ils ont été réduits.
Tous ces dispositifs ont également permis de "modérer" les répercussions de la crise sur les inégalités de revenus. En effet, les principaux bénéficiaires sont en moyenne ceux qui ont le plus souffert de la crise. Malgré ce constat, beaucoup de travailleurs déjà vulnérables avant la crise sont déjà plongés dans de nombreuses difficultés pour retrouver un emploi dans des secteurs qui ont l'habitude d'employer des saisonniers, des intérimaires ou des contrats courts.