LA TRIBUNE - Pour quelle raison l'Arabie saoudite a-t-elle décidé de ne pas augmenter la production de sa compagnie pétrolière à 13 millions de barils par jour, comme envisagé en 2021 ?
OLIVIER GANTOIS - Pour répondre à cette question, il faut rappeler que l'Arabie saoudite est l'un des rares pays pétroliers dont la capacité de production est supérieure à sa production réelle. Derrière cette décision, il y a deux causes : l'Arabie saoudite ne souhaite pas investir dans une capacité qui, finalement, ne sera pas utilisée. Il y a, par ailleurs, un doute sur un besoin de production supplémentaire pour satisfaire la demande de pétrole au niveau mondial.
Pour rappel, cette année, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a prévu une augmentation de la demande globale de 102 à 103 millions de barils par jour (mbj). Malgré cela, subsiste une crainte de l'ensemble des marchés financiers, mais aussi de l'Opep (dont fait partie l'Arabie saoudite), sur la croissance économique chinoise en berne. Ce qui pourrait faire que la demande n'atteigne pas ces 103 mbj, fin 2024.
Et ce, malgré une vraie stabilité sur les cours de pétrole, ce qui est plutôt rassurant en fait. Ceux-ci n'augmentent pas d'ailleurs, oscillant entre 75 et 85 dollars le baril depuis 14 mois. Les événements géopolitiques, comme la guerre en Ukraine qui se prolonge, ou le conflit au Proche-Orient entre Israël et le Hamas, n'ont pas fait augmenter les prix. Pourquoi ? Parce que les marchés ont surtout peur que la demande baisse.
Un autre facteur qui a joué dans cette décision est la prise en compte, par l'Arabie saoudite, de l'évolution des enjeux de transition énergétique. L'AIE situe en 2028 le moment où la demande va commencer à régresser, après avoir atteint 108 millions de barils par jour. L'Arabie saoudite a donc compris qu'à l'avenir une partie de ses barils devra rester sous terre. Par conséquent, elle s'ajuste. Et d'ailleurs, je pense que la COP28 a, globalement, montré que les grands pays producteurs de pétrole étaient dans une démarche d'adaptation.
Quelles seront les répercussions de cette décision sur le marché du pétrole actuel ?
A court terme, cette décision aura pour conséquence d'atténuer la crainte des producteurs de pétrole brut qu'il y ait un surplus de production, et donc, un effondrement des cours pétroliers. C'est vraiment important de comprendre cela. Donc, concrètement, le prix du baril va maintenir sa stabilité.
Après, lorsqu'on regarde à moyen terme, il faut rappeler qu'à l'avenir cette décision n'empêchera pas l'Arabie saoudite d'augmenter sa production. Ce sera nécessaire vu que la demande va continuer de s'accroître. Actuellement, les Etats-Unis sont à 17 millions de barils par jour, ce qui est considérable. Si, par exemple, leur production baissait à 12 mbj, l'Arabie saoudite réagirait sûrement, en augmentant sa production. En fin de compte, le facteur numéro 1 est l'équilibre entre l'offre et la demande, et le facteur numéro 2 est l'inquiétude des marchés. Et ce, quand bien même l'offre et la demande sont équilibrées.
L'allongement du temps de transport, consécutif aux attaques des Houthis en mer Rouge, a-t-il déjà des conséquences sur le marché du pétrole ?
Non il n'y en pas eu, et il n'y en a pas. Cela aurait pu être le cas au début de la crise, mais la fenêtre est passée. Les entreprises pétrolières se sont adaptées et ont absorbé le surcoût de transport, grâce à un prix du baril relativement haut, à environ 82 dollars en ce mardi.
Vu que les productions pétrolières sont rentables, cet allongement de parcours n'est pas une contrainte financière. Et puis les pétroliers ont déjà vécu des épisodes compliqués où le canal de Suez s'est retrouvé indisponible. Ils ont une capacité de réorganisation efficace.