
Révolution de palais, coup d'Etat fomenté par une puissance étrangère, fin de règne de la dynastie Bongo qui gouverne depuis 1967... Il était difficile de connaître les véritables intentions de la dizaine d'officiers supérieurs de l'armée gabonaise qui ont pris le pouvoir dans la nuit de mercredi à Libreville, la capitale du Gabon.
« Aujourd'hui, le pays traverse une grave crise institutionnelle, politique, économique et sociale », ont déclaré à la télévision les putschistes, estimant que les élections présidentielle et législatives du 26 août avaient manqué de transparence et de crédibilité. « Au nom du peuple gabonais, et garant de la protection des institutions, nous avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place », ont-ils indiqué, en annonçant la fermeture de toutes les frontières jusqu'à nouvel ordre et la dissolution de toutes les institutions de l'État, dont le Sénat, l'Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle. Le leader des putschistes pourrait être Brice Oligui Nguema, le chef de la garde républicaine et garde prétorienne d'Ali Bongo, dont les soldats scandaient « Oligui président ».
Doutes sur la transparence du scrutin
Le coup d'Etat est intervenu quelques instants à peine après l'annonce par le président Ali Bongo de sa réélection pour une troisième mandat, avec 64,27% des voix contre 30,77% pour son principal adversaire, Albert Ondo Ossa. Le scrutin présidentiel et législatif s'est déroulé dans un climat tendu, marqué par des allégations de fraude. L'absence d'observateurs internationaux, la suspension de certaines chaînes de télévision étrangères et la décision des autorités de couper l'accès à internet et d'imposer un couvre-feu nocturne dans tout le pays après le scrutin ont suscité des inquiétudes quant à la transparence du processus électoral.
Dans la capitale Libreville, des centaines de personnes sont descendues dans les rues pour célébrer l'éviction apparente de Bongo. Les putschistes ont placé en résidence surveillée Ali Bongo, 64 ans, affaibli depuis son AVC en 2019. Ils ont aussi annoncé l'arrestation de son fils et d'autres personnes accusées de corruption et de trahison.
S'il se confirme, ce coup d'Etat dans une ancienne colonie française, réputée alliée des pays occidentaux, risque d'affaiblir encore un peu plus la place de la France en Afrique. Des juntes militaires ont déjà pris le pouvoir depuis 2020 au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et, le mois dernier, au Niger.
Paris, qui a condamné « le coup d'Etat militaire », par la voix d'Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, fait face à une vague de sentiment anti-français dans la région du Sahel. Au Mali et au Burkina Faso, la France a retiré ses troupes qui étaient stationnées sur place tandis que les putschistes au Niger ont révoqué les accords militaires avec Paris.
Absence de groupes islamistes violents
Au Gabon, l'ancienne puissance coloniale dispose d'un contingent de 350 soldats, selon le ministère des Armées. Le pays est considéré comme un allié des pays occidentaux. Malgré la tenue régulière d'élections, il est classé comme « non libre » par l'institut Freedom House.
Toutefois, contrairement au Niger et aux autres pays de la région du Sahel, le Gabon n'est pas le théâtre de la violence exercée par les groupes islamistes qui ont fait perdre la confiance de la population dans les gouvernements élus jugés impuissants à assurer leur sécurité.
Grâce à ses ressources naturelles — pétrole, manganèse, bois, or, diamants... —, le pays dont la population de 2,3 millions d'habitants est concentrée en milieu urbain dispose d'une rente conséquente. Membre de l'Opep, le Gabon profite de la demande de pétrole dont il a produit 210.000 barils par jour en juillet, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). « En 2020, le secteur pétrolier a représenté 38,5 % du PIB et 70,5 % des exportations malgré les efforts engagés pour diversifier l'économie », indique la Banque centrale. C'est également un producteur majeur de manganèse, un minéral dont la demande est en hausse car entrant dans la composition des batteries pour véhicules électriques. En 2022, il a extrait 4,6 millions de tonnes, ce qui le classe comme deuxième producteur mondial derrière l'Afrique du sud et devant l'Australie, selon l'USGS.
Un impact faible à l'échelle internationale
« L'impact du coup d'Etat sera faible sur les marchés internationaux car la production de matières premières du pays est trop faible, mais cela peut avoir de sérieuses conséquences pour les entreprises présentes, notamment Eramet qui exploite du manganèse », souligne un spécialiste de la région.
« L'incapacité d'Ali Bongo à mener des réformes économiques a pu peser dans la décision des putschistes », explique-t-il. La manne des matières premières est inégalement répartie au sein de la population dont la moitié à moins de 20 ans et un tiers vit dans la pauvreté. « Pour relancer l'économie gabonaise, il faut en changer le modèle », préconisait fin juillet dans un entretien à la Tribune l'économiste Mays Mouissi, auteur d'un rapport « 105 promesses, 13 réalisations - Le bilan du second septennat d'Ali Bongo Ondimba (2016-2023) ». L'économiste pointait notamment l'échec du président déchu à tenir ses promesses lors des sept ans de son deuxième mandat, qui s'est soldé par un taux de croissance annuel du PIB d'à peine 2 à 3%, un taux de chômage passé de 28% à 32%, et celui de la pauvreté qui s'est aggravé de 30% à 34%.
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