Comment la loi immigration a fracturé le gouvernement

Aux lézardes chez les députés s’est ajouté un mouvement de contestation de ministres issus de l’aile gauche de la majorité. Un remaniement début 2024 est en vue.
Ludovic Vigogne
Jeudi, lors du bureau exécutif de Renaissance, des participants ont déploré les états d’âme de certains ministres sur la loi immigration.
Jeudi, lors du bureau exécutif de Renaissance, des participants ont déploré les états d’âme de certains ministres sur la loi immigration. (Crédits : © Eliot Blondet/ABACAPRESS.COM)

Dans la loi sur l'immigration adoptée cette semaine figure la réintroduction de la double peine. C'est exactement ce qu'elle aura été aussi pour la Macronie. D'un côté, celle-ci est apparue comme la grande perdante pour avoir trop concédé à des Républicains qui, dépourvus désormais de culture de gouvernement, se sont comportés comme des maîtres chanteurs. De l'autre, elle s'est spectaculairement fracturée sur la place publique. À l'Assemblée, où 27 députés de la majorité ont voté contre le texte et 32 autres se sont abstenus, ces lézardes étaient prévisibles : le sujet migratoire y a toujours été épidermique. Les conséquences au sein même du gouvernement auront en revanche davantage surpris.

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Une boucle WhatsApp baptisée « Valeurs »

C'est mardi matin que la fronde a commencé. La tournure des débats entre Élisabeth Borne, qui a repris le dossier en main, et Les Républicains sur la durée du délai de carence qui doit être fixée pour un étranger avant qu'il puisse accéder à l'APL (aide personnalisée au logement) heurte des ministres qui viennent de la gauche. Clément Beaune, le ministre délégué aux Transports, échange avec Aurélien Rousseau, le titulaire du portefeuille de la Santé, qui lui-même discute avec Patrice Vergriete, chargé du Logement... En milieu de journée, le premier décide donc de créer une boucle WhatsApp. Baptisée « Valeurs », elle compte quatre autres membres du gouvernement Borne en plus d'Aurélien Rousseau, de Patrice Vergriete et de lui-même : Sylvie Retailleau (Enseignement supérieur), Agnès Pannier-Runacher (Transition énergétique), Rima Abdul Malak (Culture), et Roland Lescure (Industrie). Clément Beaune leur propose de se retrouver à son ministère en fin de journée pour débattre de la situation.

Entre-temps, tout a pris une autre dimension. Marine Le Pen a annoncé que les 88 députés RN voteraient en faveur du texte issu de la commission mixte paritaire. Dans les médias, tout s'est emballé. Les états d'âme de certains ministres sont désormais sur la place publique. Parmi les sept de la boucle « Valeurs », trois envisagent de démissionner : Aurélien Rousseau, Patrice Vergriete et Sylvie Retailleau. Les autres ne posent pas le problème en ces termes-là. Le soir venu, ils sont finalement quatre à se réunir : Clément Beaune, Roland Lescure, Patrice Vergriete et Sylvie Retailleau. Cela dure une heure. Agnès Pannier-Runacher passe une trentaine de minutes. Rima Abdul Malak préfère, elle, se tenir à l'écart. Quant à Aurélien Rousseau, il reste dans son ministère. Son choix est d'ores et déjà arrêté : l'ancien directeur de cabinet d'Élisabeth Borne à Matignon va quitter la Santé, 153 jours seulement après y avoir été nommé. Il ne se voit pas mettre en place la réforme de l'aide médicale de l'État (AME) promise pour janvier par la Première ministre aux Républicains. Il profite de sa soirée pour faire ses cartons et ses adieux à son cabinet.

Depuis le week-end, Clément Beaune est en lien avec Élisabeth Borne, à qui il ne cache pas son malaise. Il l'a également prévenu de la réunion de ce soir. La cheffe du gouvernement propose d'y passer ; ce sont plutôt des proches qui y participent. Au final, c'est matériellement trop compliqué. Ce sont donc les quatre ministres, qui se rendent à Matignon. Franche, la discussion se conclut bien : la Première ministre explique être elle aussi très gênée par certains dispositifs du texte et souhaiter les voir censurés par le Conseil constitutionnel. Mais leurs états d'âme ne plairont pas beaucoup à Emmanuel Macron. « Ceux qui doutent et qui n'ont jamais vraiment mené de combat n'ont pas de leçons à donner », cinglera-t-il le lendemain lors du Conseil des ministres. Le soir, dans C à vous, sur France 5, il remerciera à plusieurs reprises les députés de sa majorité ayant voté la loi.

Ceux qui doutent et qui n'ont jamais vraiment mené de combat n'ont pas de leçons à donner

Emmanuel Macron

Fin de la séquence ? Pas forcément. Celle-ci a été trop structurante pour avoir encore livré toutes ses conséquences. Si Le Figaro a révélé que Sylvie Retailleau, choquée par l'idée de caution demandée aux étudiants étrangers, avait présenté sa démission mercredi au président et à la Première ministre, qui l'avaient refusée, qu'en sera-t-il de Patrice Vergriete ? Jeudi, face à un proche qui l'interrogeait sur son avenir, il est resté mutique. Dunkerque, la ville dont il est élu, est très à gauche. Un remaniement semble, lui, désormais encore plus inéluctable pour le début de l'année.

Quelle sera l'ampleur du changement ?

Mercredi, pour pallier la démission d'Aurélien Rousseau, l'Élysée a nommé « par intérim » celle qui était à ses côtés ministre déléguée, Agnès Firmin-Le Bodo. « Quand une ministre est nommée par intérim, cela veut dire que les conclusions du président sur un réaménagement gouvernemental sont imminentes », précise un proche du chef de l'État, alors que Mediapart a révélé qu'Agnès Firmin-Le Bodo était visée par une enquête pour avoir reçu des cadeaux de l'industrie pharmaceutique sans les avoir déclarés. Quelle sera l'ampleur du changement ? Pour beaucoup dans la majorité, les secousses de cette semaine ont un peu plus affaibli Élisabeth Borne. « Les défaillances majeures viennent de ses soutiens : les ministres soi-disant de gauche et, à l'Assemblée, Sacha Houlié », note un membre du gouvernement. Le communiqué des Jeunes avec Macron, appelant à « ne pas soutenir un texte politique qui contrevient aux valeurs et aux orientations de [leur] famille politique », ne l'aura également pas aidé : elle s'est toujours sentie proche de ce mouvement.

Est-ce pourquoi Élisabeth Borne, jeudi, lors du bureau exécutif de Renaissance, a jugé l'attitude de certains ministres « scandaleuse vis-à-vis de députés » qui, pour certains d'entre eux, faisaient l'effort de voter la loi malgré nombre de désaccords avec elle ? « On n'a pas besoin de ministres englués dans le doute, s'agace un membre du gouvernement. Les Français attendent de la fermeté. Si ça les dérange, qu'ils partent. C'est en n'agissant pas qu'on fait monter le RN. Ce n'est pas en légiférant, mais en se drapant dans une bonne conscience de germanopratin qu'il récolte la mise. Expulser des délinquants étrangers relève du bon sens. » Il relève que d'autres de ses collègues également étiquetés à gauche, comme Olivier Dussopt, Éric Dupond-Moretti ou Olivier Véran, ne se sont pas associés au mouvement. De son côté, Clément Beaune confie à La Tribune Dimanche : « Qu'il y ait des échanges politiques et des interrogations sur un tel sujet me semble sain et normal. Je n'ai aucune leçon à recevoir de ceux qui en 2016 étaient bien loin d'Emmanuel Macron. Moi, je suis à ses côtés depuis dix ans. »

Ludovic Vigogne
Commentaires 5
à écrit le 24/12/2023 à 13:55
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Le gouvernement est à l'image de la majorité. Composite et sans boussole, sans colonne vertébrale à laquelle se référer. La présidence est très faible. Le gouvernement suit le mouvement. De plus, l'échéance institutionnelle majeure exacerbe les indiv...

le 25/12/2023 à 13:28
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une autre bataille doit etre gagne.. celle contre la drogue et commencer par stopper la consommation chez les elus avec saisi des biens et annulation des mandats et remboursements des mandats et frais de representations

à écrit le 24/12/2023 à 9:38
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Quand le pécunier mène le bal devant les convictions, on ne s'étonne pas du résultat et, cette tromperie est payé par les français qui veulent toujours y croire !

à écrit le 24/12/2023 à 8:54
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Comment elle peut truster l'actualité avec le monde qui s'effondre en ce moment ? Tandis que le Titanic coule l'orchestre continue de jouer.

à écrit le 24/12/2023 à 6:52
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L'immigration, c'est comme la Covid-19, c'est devenu une religion chez certains. Leur croyance dans le Dieu immigration et dans le Dieu Covid-19 est sans borne, si on leur dit que leurs Dieux n'existent pas, ils piquent une crise existentielle

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