Jérôme Guedj : « Mélenchon a fait du sujet palestinien un débat identitaire »

ENTRETIEN - Étudiant, puis professeur à Sciences-Po, le député socialiste de l'Essonne regrette « la paresse » de la gauche dans sa manière d’aborder la question palestinienne.
Jérôme Guedj, député socialiste de l'Essonne.
Jérôme Guedj, député socialiste de l'Essonne. (Crédits : © LTD / JACQUES WITT/SIPA)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Le blocage de Sciences-Po par certains étudiants et leurs revendications propalestiniennes vous paraissent-ils légitimes ?

JÉRÔME GUEDJ - Par principe, exprimer sa solidarité à Gaza ne me pose absolument aucun problème. Le faire dans le débat, dans la recherche d'une discussion apaisée, correspond à l'esprit de l'université en général et de Sciences-Po en particulier. Mais la logique du blocage de l'institution et le fait d'y adjoindre des revendications telles que le boycott de la société civile israélienne, qui s'est mobilisée contre Netanyahou l'année dernière et appelle pour partie aujourd'hui à son renversement, semblent selon moi participer à ce mouvement de délégitimation de l'État d'Israël dans son ensemble. Et là, pour moi, c'est clairement une ligne rouge. On peut condamner le gouvernement israélien, on peut être un adversaire farouche de Netanyahou, on ne bascule pas dans un boycott, a fortiori de la société civile, des intellectuels, des universitaires israéliens qui, dans cette période, sont plutôt des alliés avec lesquels il faut renforcer les relations et qu'il ne faut pas isoler.

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Jean-Luc Mélenchon a dit sa fierté aux étudiants de Sciences-Po. Qu'en pensez-vous ?

Il fait de ce sujet un débat identitaire dans la période électorale dans laquelle nous sommes. Ce qui est indéniable, c'est que la gauche dans son ensemble n'a plus traité de la question palestinienne depuis des années. Parce qu'elle a perdu ses interlocuteurs politiques du fait de la droitisation de la société israélienne et qu'elle n'a plus d'interlocuteurs institutionnels élus au Parlement. Le parti Meretz [laïque et socialiste] a disparu, le Parti travailliste a complètement explosé. La gauche française n'a pas su nouer avec la société civile israélienne les passerelles qu'elle aurait dû construire. Et elle ne l'a pas fait non plus avec les Palestiniens, avec un Fatah moribond et un Hamas évidemment infréquentable. La génération actuelle de responsables politiques à gauche a perdu toute connaissance fine et un peu complexe de la situation israélo-palestinienne. Et par paresse, le conflit est regardé comme un élément au service d'un discours du moment. La France insoumise et une partie de la gauche considèrent qu'il y a une gauche décoloniale, matrice aujourd'hui de l'engagement à gauche. Ils plaquent à tort sur la situation israélienne leur grille de lecture, celle de la figure de l'opprimé, du colonisé et de sa place dans la société. Il y a là une sorte d'opportunisme national. Si la démarche de Jean-Luc Mélenchon était sincère, elle serait rassembleuse.

La gauche française n'a plus traité de la question palestinienne depuis des années

La Nupes a implosé au lendemain du 7 octobre. La question palestinienne rend-elle ces deux gauches irréconciliables ?

Le 7 octobre a été une pierre de plus à leur édifice de conflictualisation sur tout et tout le temps. Cela a été un point de bascule. Aujourd'hui, Jean-Luc Mélenchon, à vouloir définir une pureté chimique de ce qui peut être dit ou non, est dans une sorte de « campisme ». Les Insoumis sont uniquement dans leur entre-soi, avec des gens pétris de certitudes et dégoulinants d'outrances. Peut-on dire dans une même phrase qu'on condamne l'attaque terroriste du Hamas, qu'on demande la libération des otages, qu'on réclame un cessez-le-feu pour protéger les civils palestiniens, qu'on demande la fin de la colonisation, la condamnation absolue de la politique de Netanyahou, qu'on est pour la solution politique à deux États ? C'est la ligne qu'on défend avec Raphaël Glucksmann et le PS depuis le début. Nous sommes fidèles à la position historique de la gauche, du discours de Mitterrand à la Knesset en 1982.

Pourquoi le débat politique sur le conflit au Proche-Orient est-il si binaire ?

On vient chercher des poux de part et d'autre. Je me fais huer quand je vais à un rassemblement de libération des otages avec Meyer Habib [député LR] qui galvanise la foule. Et puis de l'autre côté, Jean-Luc Mélenchon me désigne parce qu'on a exprimé un désaccord. Aujourd'hui, dans le débat politique global à droite et à gauche, toute parole non alignée sur ce « campisme », c'est soit celle d'un sioniste génocidaire, soit celle d'un antisémite insurrectionnel. Il n'y a plus d'espace pour se dire quoi que ce soit. Or, entre Meyer Habib et Jean-Luc Mélenchon, il y a un chemin, c'est celui de l'universalisme républicain et du courage de la nuance. Pour parvenir à une solution, on ne peut pas être binaire. Ce n'est pas soit raser Gaza, soit délégitimer Israël, ce poison que tentent d'instiller les Insoumis.

Commentaires 4
à écrit le 01/05/2024 à 15:44
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LFI en première ligne sur la défense des Palestiniens, pourquoi ce sujet est-il actuellement leur préoccupation n° 1? Tout simplement parce que Mélenchon estime que à la présidentielle 2022, les 600 000 voix qui lui ont manqué pour atteindre le seco...

à écrit le 29/04/2024 à 18:22
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Puisque sur le nombre il doit bien en exister un ou deux qui pourraient relever un peu le niveau, il serait souhaitable de donner la parole à un(e) étudiant(e), même si l’on a du mal à le trouver, disant qu’il se soucie du sort du peuple palestinien ...

à écrit le 28/04/2024 à 9:33
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Ben oui vu que les médias ont fait de Mélenchon l'épouvantail de LFI, Mélenchon qui se prête incroyablement bien au jeu d'ailleurs. Nos dirigeants et leurs opposants sont nuls.

à écrit le 28/04/2024 à 9:13
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Comment être une "Opposition" si l'on ne prend pas parti ? Mais l'Opposition la plus absolue, c'est celle qui s'oppose aux traités européen qui manipule le tout ! ;-)

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