
Le 17 août, à l'issue des cérémonies de commémoration du débarquement en Provence, Emmanuel et Brigitte Macron ont invité à dîner à Brégançon François de Canson, le maire de La Londe-les-Maures, François Arizzi, celui de Bormes-les-Mimosas, Christian Estrosi, le maire de Nice, Hubert Falco, qui, depuis le printemps et sa condamnation par la justice, n'est plus celui de Toulon, et Renaud Muselier, le président de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Tous sont accompagnés de leurs épouses. Un ministre est également présent à table : Sébastien Lecornu, chargé des Armées, particulièrement apprécié par le couple présidentiel. Un dernier homme la complète : l'ancien conseiller politique du chef de l'État Thierry Solère, dont c'est l'anniversaire.
Tous ont une particularité : ils viennent de la droite. Emmanuel Macron doit même à certains des présents une fière chandelle. Lors des élections régionales de juin 2021, le trio Muselier-Falco-Estrosi a fait exploser LR pour rejoindre son écurie. Un an avant la présidentielle, cela n'a pas été sans conséquences. C'est donc de bons connaisseurs que le chef de l'État interroge. Que pensent-ils d'Éric Ciotti, le député des Alpes-Maritimes devenu depuis huit mois le président des Républicains ? « Il y a deux LR, lui fait remarquer Renaud Muselier. Tu as dealé avec Larcher sur les retraites, ça a marché. Tu as dealé avec Ciotti sur les retraites, ça n'a pas marché. »
Place à part
Si le locataire de l'Élysée questionne ainsi ses convives sur ce Niçois-là, c'est qu'en cette fin de pause estivale il peaufine le coup politique qu'il prépare. Le 2 août, dans Le Figaro Magazine, il avait promis pour la rentrée une « initiative politique d'ampleur ». Le chef de l'État s'apprête à la dévoiler dans quelques jours, dans Le Point : il va « proposer à toutes les forces politiques représentées dans nos assemblées d'essayer d'agir ensemble ». Dans ce processus qui prendra pour nom « les rencontres de Saint-Denis », Éric Ciotti a vocation à avoir une place à part. Depuis le début du quinquennat, la Macronie ne dispose que d'une majorité relative ; Les Républicains sont ses premiers interlocuteurs. Dans les mois qui viennent, cela sera encore plus vrai. Sur le projet de loi sur l'immigration, les discussions s'annoncent ardues car ils mettent la barre très haut. De la même façon, aucune réforme institutionnelle ne se fera sans leur appui.
Colère froide
Avec eux, le locataire de l'Élysée n'a jamais cherché à passer le moindre contrat de gouvernement. Il n'est pas dans sa nature de se lier les mains. Après les législatives de juin 2022, s'il a reçu Christian Jacob, à la tête du parti de droite encore pour quelques jours, il a juste retenu sa recommandation de ne nommer aucun nouveau LR au gouvernement - qu'il s'apprête à retoucher -, afin de ne pas braquer les 62 députés élus sous cette étiquette.
Par la suite, la réforme des retraites l'a conforté dans son intuition initiale. Emmanuel Macron a considéré que, s'il a dû avoir recours au 49.3, si coûteux pour lui dans l'opinion, c'est à cause des LR qui lui ont fait défaut à l'Assemblée en se déjugeant par rapport à leur position passée sur le sujet. Lors des émeutes de juin, il a également noté les positions radicales d'Éric Ciotti. « Il est reparti dans la pampa de l'opposition », dit-il alors à ses collaborateurs.
Le 22 août, avec celui-ci, le chef de l'État met pourtant les formes. Il l'appelle durant une heure pour l'inviter personnellement aux rencontres de Saint-Denis, qui auront lieu une semaine plus tard. Le locataire de l'Élysée a noté que si, au sein des LR, certains agitent la menace d'une motion de censure, ce n'est pas le cas de leur patron. Le député des Alpes-Maritimes juge qu'en 2027 son camp devra récupérer une partie de son électorat parti chez Emmanuel Macron, et que dans ces conditions il ne faut pas se montrer trop fermé. Le président sait aussi ce que Nicolas Sarkozy répète à Éric Ciotti, qu'il aime bien, dès qu'il le voit : il faut qu'il passe un deal avec son successeur ; c'est l'intérêt de tous ; cela permettrait à Emmanuel Macron de gagner en stabilité afin de réformer et aux Républicains d'avoir deux ou trois ministres qui deviendraient des leaders. Le 28 juin, l'ex-chef de l'État a ainsi reçu Laurent Wauquiez rue de Miromesnil. « Je ne cesse de dire à Macron qu'il devait s'entendre avec la droite et que si tu étais à Beauvau, ce ne serait que béné- fice pour lui », a assuré Nicolas Sarkozy au président d'Auvergne-Rhône-Alpes.
Trois mois plus tard, le ton du locataire de l'Élysée est devenu moins amène envers Éric Ciotti. « Faute politique majeure » : c'est ainsi que le premier a qualifié mercredi le choix du second de ne pas participer à la deuxième édition des rencontres de Saint-Denis, programmée quarante-huit heures plus tard. La colère d'Emmanuel Macron est froide. Elle l'est d'autant plus qu'il avait donné des garanties au député des Alpes-Maritimes en inscrivant à l'ordre du jour l'élargissement du champ du référendum aux questions migratoires, comme le réclament depuis des mois Les Républicains. Le chef de l'État a immédiatement compris que ce faux bond, qu'il n'a pas vu venir, portait à terme un coup probablement fatal à son initiative. Sur le plan humain, par ricochet, il en aura aussi tiré une conséquence : au sein de LR, Gérard Larcher, le président du Sénat, demeure son seul interlocuteur.
Aile dure
Initialement, Éric Ciotti ne pensait pas laisser sa chaise vide. Le 7 novembre, il dîne avec une dizaine de députés LR. Il leur explique que même si l'exercice le laisse sceptique, par respect républicain il ira à Saint-Denis. Depuis qu'il a pris les rênes des Républicains, il a toujours été très attaché à ce que celui-ci demeure perçu comme un parti de gouvernement. Une semaine plus tard, il a changé d'avis. « Je crains que ces nouvelles rencontres ne soient qu'une séquence supplémentaire de cette communication permanente dont les Français sont désormais lassés et dont nous refusons d'être des alibis », argue-t-il. D'une absence à l'autre... Il justifie également la sienne par celle du chef de l'État à la marche contre l'antisémitisme organisée par Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale, et Gérard Larcher.
En réalité, c'est autre chose qui s'est joué. En cet automne, le projet de loi sur l'immigration porté par Gérald Darmanin détermine tout chez Les Républicains. « Éric Ciotti se demande s'il ne devra pas, à l'issue de son examen, voter pour, rapporte un proche du patron de LR. Il a voulu montrer que, si cela devait être le cas, il n'était pas pour autant macroniste. » Sa décision de ne pas aller à Saint-Denis est un gage donné à l'aile dure de son camp. C'est un moyen de prévenir les éventuelles attaques de Marine Le Pen et Jordan Bardella. C'est un signal envoyé à l'opinion avant des élections européennes qui s'annoncent décisives pour son parti : LR se situe bien dans l'opposition.
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