
Les deux hommes n'ont pas l'habitude de se parler. Mais mardi dernier, l'appel téléphonique entre Éric Ciotti, patron des Républicains, et Emmanuel Macron a duré près d'une heure. « C'était très courtois sur la forme, et ferme sur le fond », tient à souligner un soutien d'Éric Ciotti chez les LR. Parmi les sujets évoqués : l'immigration, l'Ukraine, les finances publiques.
Pour Ciotti, qui est le seul responsable de parti à avoir eu ce privilège présidentiel en cette rentrée politique, cet appel n'est pas une surprise. Car les premières prises de contact entre les deux hommes ont en fait démarré une semaine auparavant, précisément à partir du jeudi 17 août, selon une source. Officiellement, le président de la République a décroché son téléphone pour préparer son « initiative politique d'ampleur » de rentrée qui va passer la semaine prochaine par la réunion autour de lui de la plupart des forces politiques représentées au Parlement à La-Celle-Saint-Cloud (Yvelines).
Amadouer les Républicains
Mais si le président tenait tant à établir le contact avec le patron des Républicains, c'est qu'il sait, faute de disposer d'une majorité absolue à l'Assemblée, qu'il va devoir de nouveau amadouer les députés LR pour que son gouvernement puisse faire passer dans les prochaines semaines le budget et le futur projet de loi sur l'immigration.
« Macron est au pied du mur cet hiver pour son budget, estime un conseiller politique. Il est menacé d'une motion de censure déposée par les députés LR. Il y a peut-être une trêve hivernale, mais si ce scénario se réalise, le gouvernement sera à la rue ».
Pour éviter une telle impasse, le président a sorti le grand jeu. Dans son entretien publié dans Le Point cette semaine, le chef de l'État multiplie les signaux à l'égard des Républicains, et se positionne sur l'immigration : « La situation que nous connaissons n'est pas tenable et nous devons réduire significativement l'immigration, à commencer par l'immigration illégale», a-t-il affirmé, tout en jugeant que la France n'est pas « submergé[e] par l'immigration». En réalité, dès la semaine dernière, lors d'une commémoration à Bormes-les-Mimosas, Emmanuel Macron avait tenu un discours de fermeté, insistant sur la nécessité de l'ordre contre « le chaos » et « la désunion », et en rappelant que la jeunesse avait des « devoirs ». Les droits, les devoirs... « Du Ciotti dans le texte », commente une figure de LR.
Motion de censure
Pour autant, la menace d'une motion de censure déposée par les Républicains à l'automne est-elle sérieuse ? Comme lors du débat sur les retraites, Éric Ciotti aimerait réussir à tenir un positionnement « constructif » vis-à-vis du gouvernement, histoire de ne pas faire fuir les anciens électeurs LR partis depuis longtemps chez Renaissance. Le patron des Républicains pense notamment aux prochaines élections européennes. Problème : à l'Assemblée, de plus en plus de députés LR sont tentés par une motion de censure contre le gouvernement, au-delà même des rangs des « frondeurs » réunis autour d'Aurélien Pradié qui s'étaient opposés au projet de loi sur les retraites.
De fait, en cette rentrée politique, l'ambiance chez les LR n'est pas au beau fixe. Lors du rassemblement prévu ce dimanche à Levens (Alpes-Maritimes), une réunion de l'équipe dirigeante est prévue qui devrait clarifier la situation... ou pas. « Ciotti ne se sent plus. Il espère que Macron le nommera ministre », balance un cadre. Selon mes informations, Nicolas Sarkozy a d'ailleurs conseillé au président Macron de laisser miroiter à Ciotti un poste de ministre lors d'un éventuel nouveau remaniement. Dans son dernier livre, l'ancien président ne tarit pas d'éloges à son égard : « Les Républicains ont un vivier de talents, à l'image de leur président Éric Ciotti, qui n'a pas manqué de courage et d'énergie ces derniers temps. Chaque fois qu'il a pris des risques, cela lui a permis de faire découvrir des qualités qui ne lui avait pas été initialement prêtées. Il est la bonne surprise de ces dernières années ».
Ciotti vise la mairie de Nice
Reste que l'objectif numéro un d'Éric Ciotti est de ravir la mairie de Nice à son grand rival Christian Estrosi qui est passé depuis longtemps dans les rangs de la macronie (il est le numéro deux d'Horizons, le mouvement de la formation d'Édouard Philippe). Résultat, au regard de ces enjeux locaux, les attentions de plus en plus visibles du président de la République à l'égard d'Éric Ciotti rendent particulièrement nerveux l'actuel maire de Nice. Et ce dernier a raison d'être inquiet : selon plusieurs sources dans l'entourage présidentiel, Emmanuel Macron est de plus en plus agacé par le maire de Nice car il trouve qu'« il en fait trop ». Christian Estrosi paye peut-être son engagement public auprès d'Emmanuel Macron à contre-temps. Le maire de Nice a en effet attendu 2020 et le gouvernement Castex pour afficher son soutien officiel. Or, dès 2017, Christian Estrosi avait été aperçu au QG de campagne du candidat Macron et avait aidé ce dernier à assurer la réussite de son meeting de Marseille en pleine polémique avec la communauté des Pieds-noirs. Une aide précieuse mais, semble-t-il, pas encore suffisante...
Dans ce contexte, Emmanuel Macron est loin « d'acheter » les rêves de Nicolas Sarkozy d'une alliance entre LR et Renaissance. À l'inverse, entre les Républicains et la macronie, les raisons de la volte-face du président sur la nomination (avortée) de Catherine Vautrin à Matignon tel que La Tribune l'avait dévoilé ont laissé des traces.
Comme le refus de nommer Gérald Darmanin à Matignon en juillet dernier. « Sarkozy pensait pourtant qu'il le nommerait, mais Macron a toujours fait ce qu'il voulait, lui, et a horreur de se faire imposer des choses. Résultat, comme à son habitude, le président veut enjamber le vote plutôt que proposer un « deal politique », estime, amer, un cadre de LR. « Et ça sera tout bénef pour lui, car il y a de fortes chances qu'on se fasse ratatiner aux élections européennes, et après les JO vont arriver, et l'union nationale avec... » Pour arriver à ce dessein, Emmanuel Macron dispose encore de nombreuses « armes » : à travers la menace de dissolution, il peut tenter d'amadouer les députés LR au sujet de leurs éventuels adversaires Renaissance.
Marc Endeweld