Procès Dupond-Moretti : « La dérive d’une certaine magistrature » (Charles Consigny, avocat)

Éric Dupond-Moretti a été traduit devant la Cour de Justice de la République cette semaine. Le ministre et la juridiction font controverse. Deux avocats, Charles Consigny et Jean-Pierre Mignard, exposent leurs points de vue divergents.
Charles Consigny - Avocat
Charles Consigny - Avocat (Crédits : Photo by Jerome Domine/ABC/Andia.fr)

Quelques magistrats radicalisés n'ont jamais accepté d'avoir Éric Dupond-Moretti pour ministre. Parce que c'était lui : trop remuant, trop clivant, trop dur avec eux quand il était avocat. Il était un des rares qui savaient renverser la vapeur judiciaire. Il disait : « Défendre, c'est risquer, oser, fracasser au besoin. » Certains magistrats n'aiment pas le fracas. Ils voudraient que les individus mis en cause par la justice pénale se laissent gentiment broyer. Que personne n'élève la voix. Que les peines de trente ans de prison soient prononcées dans l'urbanité, et que surtout les avocats ne plaident pas trop longtemps en fin de journée. « EDM » n'était pas de ceux-là. Parce que celui qui est assis sur le banc des accusés risque sa peau, pas de gants. Risquer, oser, fracasser. Peut-on reprocher à un avocat de trop défendre ?

Aux termes de l'arrêt de renvoi devant la Cour de justice de la République (CJR), il était reproché au garde des Sceaux un délit de prise illégale d'intérêts pour avoir ordonné comme ministre deux enquêtes administratives contre des juges avec lesquels il aurait été en conflit comme avocat. Lui réplique qu'il n'a fait que suivre ce qui avait été enclenché par sa prédécesseur et ce que lui recommandaient ses services. La cour dira ce qu'il en est. Mais à l'issue de ce retentissant procès, dont on se demande s'il n'était pas un peu démesuré, il est difficile de ne pas s'interroger, comme l'ont fait Jacqueline Laffont et Rémi Lorrain en défense, sur les mobiles de ceux qui ont lancé et conduit cette procédure. A minima, il s'agissait d'une réaction épidermique et d'un moyen de défense contre la mise en cause de procureurs du parquet national financier (PNF) ; mais aussi d'engager un rapport de force avec le ministre, voire de saper sa légitimité et son action, voire encore de le faire « tomber ».

Comment ne pas voir malice dans cet agenda judiciaire calqué sur le politique ?

Le calendrier parle de lui-même : les attaques du procureur Molins, qui conduira l'accusation pendant l'instruction, et des syndicats de magistrats sont venues jalonner tous les moments politiques importants du ministre Dupond-Moretti. Chaque fois qu'il présentait un budget, un projet, participait à une rentrée solennelle ou traversait les affres du remaniement, Molins et les syndicats dégainaient tribunes et communiqués pour annoncer contre leur ministre dépôt de plainte, ouverture d'instruction, réquisitoire. Comment ne pas voir malice dans cet agenda judiciaire calqué sur le politique ?

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Dupond-Moretti est loin de n'avoir que des qualités. Au nom de la solidarité gouvernementale, il s'est montré peu critique d'un pouvoir volontiers liberticide. Il a rayé la cour d'assises d'un trait de plume, n'a pas hésité à graver dans la loi l'autorisation pour les pouvoirs publics d'activer à distance les téléphones portables pour en faire des mouchards dignes des pires heures de la RDA - mesure qui vient d'être censurée par le Conseil constitutionnel. Mais ça n'est pas ce que lui reprochent les juges qui ont tout fait pour avoir sa tête. Cette affaire révèle un problème institutionnel : une partie de la magistrature en « guerre », selon ses propres termes, avec le pouvoir politique, et qui ne supporte pas de rendre des comptes. Il était piquant d'entendre des procureurs du PNF se plaindre d'avoir vu leurs noms « jetés en pâture » dans la presse, leur présomption d'innocence bafouée, leur travail perturbé par le poids psychologique de l'enquête les visant... N'est-ce pas ce qu'ils font aux autres tous les jours, et autrement plus violemment ?

Que Dupond-Moretti soit jugé coupable ou innocent des faits qui lui sont reprochés, son procès devant la CJR a révélé la dérive d'une certaine magistrature qui semble fonctionner en vase clos, pense ne jamais devoir souffrir la moindre question sur ses pratiques ou ses décisions et n'hésite pas à instrumentaliser l'arme judiciaire pour se défendre quand elle se sent mise en cause. Rien qui soit soutenable dans un État de droit où chaque pouvoir doit rendre compte de ce qu'il fait au nom du peuple français.

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