Eric Dupond-Moretti, ministre en exercice, jugé pour conflits d'intérêts : une première en France

Pour la première fois, un garde des Sceaux en exercice, Eric Dupond-Moretti, sera assis pendant dix jours sur le banc des prévenus d'un tribunal. Il encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 500.000 euros d'amende pour prise illégale d'intérêts, ainsi qu'une peine d'inéligibilité et d'interdiction d'exercer une fonction publique.
Le ministre de la Justice, Eric Dumond-Moretti.
Le ministre de la Justice, Eric Dumond-Moretti. (Crédits : SARAH MEYSSONNIER)

Peut-on être ministre de la Justice et en même temps être jugé pendant 10 jours pour prise illégale d'intérêts devant un tribunal ? Visiblement oui : c'est le choix effectué par Emmanuel Macron et sa Première ministre Elisabeth Borne concernant leur garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. A partir de lundi, le ministre en exercice sera assis pendant dix jours sur le banc des prévenus du tribunal de la Cour de justice de la République (CJR), la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l'exercice de leur fonctions.

Eric Dupond-Moretti est effectivement accusé d'avoir abusé de ses fonctions de ministre pour régler des comptes liés à son passé d'avocat. Maintenu dans ses fonctions malgré sa mise en examen, le ministre pourra continuer tout au long de son procès, prévu du 6 novembre à 14h au 16 novembre, à exercer ses fonctions à la faveur de « mesures pratiques et classiques d'organisation du travail gouvernemental », a fait savoir à l'AFP une source gouvernementale. « Il faudra qu'il ait le temps nécessaire pour se défendre », a justifié vendredi la Première ministre Elisabeth Borne, ajoutant que « l'organisation est en place pour que le ministère continue à tourner ».

« Prise illégale d'intérêts »

Concrètement, Eric Dupond-Moretti est accusé d'avoir abusé de ses fonctions de ministre pour régler des comptes liés à son passé d'avocat. S'il est reconnu coupable de « prise illégale d'intérêts », il encourt cinq ans d'emprisonnement et 500.000 euros d'amende, et une peine complémentaire d'inéligibilité et d'interdiction d'exercer une fonction publique.

M. Dupond-Moretti est "serein", a fait valoir son entourage. L'ancien ténor du barreau se dit « innocent » et répète n'avoir fait que suivre « les recommandations » de son ministère en lançant des enquêtes administratives contre quatre magistrats avec qui il avait eu des différends quand il était avocat. Pendant l'enquête, celui qui a toujours entretenu des relations rugueuses voire hostiles avec les magistrats a dénoncé une instruction « biaisée » visant à « salir la réputation d'un ancien avocat » et nourrir son procès en « illégitimité à occuper les fonctions de garde des Sceaux ».

Ce dossier inédit débute fin juin 2020, en marge de l'affaire de corruption dite "Paul Bismuth" visant l'ancien président Nicolas Sarkozy. Le Point révèle alors que des magistrats du Parquet national financier (PNF) ont fait éplucher les factures téléphoniques détaillées (fadettes) de plusieurs avocats, dont Eric Dupond-Moretti, pour débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé M. Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute.

Eric Dupond-Moretti, ami très proche de Me Herzog, dénonce une « enquête barbouzarde ». « On a basculé dans la République des juges », s'insurge celui qui est alors l'un des avocats les plus médiatiques du pays, avant de porter plainte. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, demande alors une « inspection de fonctionnement » sur l'enquête du PNF.

Quelques jours plus tard, coup de théâtre: à la surprise générale, Eric Dupond-Moretti raccroche la robe pour prendre sa succession place Vendôme. Malgré des alertes sur le risque de conflits d'intérêt, il refuse de suspendre l'inspection. A la réception du rapport, il ordonne une enquête administrative contre deux des magistrats chargés de l'enquête et la cheffe du PNF de l'époque, Eliane Houlette, pour déterminer s'il y a eu des fautes individuelles.

« Vengeance »

Il ouvre également, dans une autre affaire, une enquête contre un quatrième magistrat, Edouard Levrault, ex-juge détaché à Monaco dont il avait dénoncé en tant qu'avocat les méthodes de « cow-boy » et contre lequel il avait porté plainte au nom d'un client pour violation du secret de l'instruction.

Le ministre « qui savait mieux que quiconque les conflits d'intérêts qu'il pouvait avoir avec les magistrats concernés » aurait dû s'abstenir d'être « décideur », a conclu l'enquête. « J'ai fait ce que n'importe quel garde des Sceaux aurait fait à ma place », s'est défendu le ministre, qui a réfuté toute idée de vengeance et qualifié d'« humiliation » la perquisition ordonnée à son ministère en juillet 2021.

Les quatre magistrats visés ont été blanchis fin 2022 par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), leur organe disciplinaire, qui a estimé que le garde des Sceaux s'était « trouvé dans une situation objective de conflit d'intérêts ».

Une vingtaine de témoins se succèderont à la barre au procès. Outre les quatre magistrats visés, des syndicalistes à l'origine des plaintes qui ont déclenché la procédure contre le ministre, sont appelés à témoigner. De même que l'ex-procureur général près la Cour de cassation François Molins, qui selon la défense avait donné un avis informel mais favorable au déclenchement de l'enquête administrative, et l'ancienne ministre de la Justice Nicole Belloubet.

Régulièrement critiquée pour la clémence de ces jugements, la CJR est une juridiction mi-juridique mi-politique, composée de trois magistrats de la Cour de cassation et de douze parlementaires de tous bords, y compris du RN et de LFI.

Ténor du barreau aux relations houleuses avec les magistrats

Avant sa nomination surprise en juillet 2020, Eric Dupond-Moretti était sans doute l'avocat le plus connu de France, redoutable plaideur aux quelque 140 acquittements qui lui ont valu le surnom d'« Acquittator ».

Habitué des plateaux télé et des planches de théâtre, où il a joué seul en scène, il s'est illustré en défendant Patrick Balkany, Jérôme Cahuzac, Abdelkader Merah, le frère de l'auteur des attentats de Toulouse en 2012, et la boulangère du scandale judiciaire d'Outreau, qui l'a fait connaître.

Né à Maubeuge d'un père métallurgiste décédé lorsqu'il avait 4 ans et d'une mère immigrée italienne et femme de ménage qu'il vénère, celui qui était arrivé dernier à l'école du barreau de Lille mais premier au concours d'éloquence a gardé de ses années d'assises son parler « à hauteur d'homme ».

Eric Dupond-Moretti avait la réputation de faire peur aux juges. « Je ne terrorise que les imbéciles », nuançait celui qui ne cachait pas son aversion pour certains magistrats, dénonçant leur « corporatisme ». « Il avait une défense très agressive vis-à-vis des magistrats » et une « capacité à hystériser les procès », a décrit pendant l'enquête de la CJR l'ex-procureure générale de la cour d'appel de Paris, Catherine Champrenault.

Le syndicat majoritaire au sein de la magistrature a qualifié sa nomination place Vendôme de « déclaration de guerre ». Ses relations sont restées orageuses - les syndicats sont à l'origine de la plainte qui lui vaut aujourd'hui procès. C'est un « taureau furieux », estime même une source syndicale.

Depuis son arrivée au ministère, plusieurs magistrats ont assisté à des échanges glacials, tendus, et parfois cru qu'il allait en « venir aux mains ».

(Avec AFP).

Commentaires 12
à écrit le 05/11/2023 à 21:37
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Faut le faire!. Un garde des sceaux traîné devant les tribunaux. Ce sera bientôt le tour de MACRON superman.............

à écrit le 05/11/2023 à 0:02
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L'institution judiciaire n'a pas brillé dans l'affaire des fameuses écoutes de l'affaire Sarkozy, comme de bien d'autres. Notre démocratie est un tantinet déséquilibrée où le président joue au super premier ministre, où le parlement est éclipsé par l...

à écrit le 04/11/2023 à 21:28
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Un individu parfaitement antipathique qui n'aurait jamais put etre ministre dans une démocratie digne de ce nom !

à écrit le 04/11/2023 à 19:40
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Un gage de crédit pour l'oligarchie.

à écrit le 04/11/2023 à 17:13
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cela confirme l'affaire Fillon ou le conseil constitutionnel a reconnu les pressions faites sur les magistrast .Il faut une justice independante MAIS elle doit etre en mesure de rendre des comptes au peuple peut etre par un vote ?

à écrit le 04/11/2023 à 17:10
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Nul doute qu'à la fin que les juges vont humilier et traiter dans la boue Eric Dupont Moretti. Mais je ne comprends pas où est le préjudice pour ces 3 juges ? Etre contrôlé, faire l'objet d'un contrôle administratif ou hiérarchique ce n'est pas su...

le 04/11/2023 à 19:54
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"Dans toute carrière professionnelle on fait l'objet de contrôles de sa hiérarchie" Effectivement : L’assureur militant Maif a été condamné pour l’utilisation d’un logiciel de surveillance interne sur l’une de leurs ex-employées, sans l’en inform...

à écrit le 04/11/2023 à 16:22
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c'est super la mcKronie, un monde a part, moi si je suis assigne au tribunal je n'ai plus de travail

à écrit le 04/11/2023 à 11:51
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🤣Hier, pourtant sur un autre sujet, mon développement (raisonnement) partait dans une direction dont voici un extrait qui tombe (à nouveau) à pic: [...devons-nous simplement chercher une explication au sein de la "Public Choice Theory" de l'économist...

à écrit le 04/11/2023 à 10:20
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Après SARKOZY et toutes ses casseroles avocat aussi, maintenant un Garde des Sceaux Ministre de la Justice justiciaible comme les autres, c'est encore, une fois de plus, un encouragement des Français à se désintéresser de la "politique" tellement ceu...

à écrit le 04/11/2023 à 10:19
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On sait a l'avance l'issue de cette comedie a la courteline. Acquitte. En micronnie tout doit rester dans les apparences, en meme temps. Triste democrature.

à écrit le 04/11/2023 à 10:15
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Et bien sûr, il n'y aura eu aucune "influence" et se retrouvera renforcé dans la McKronie ! Cela sera bien pire après ! ,-)

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