Procès Dupond-Moretti : « Le ministre a bénéficié de tous les droits de recours » (Jean-Pierre Mignard, Lysias partners)

Éric Dupond-Moretti a été traduit devant la Cour de Justice de la République cette semaine. Le ministre et la juridiction font controverse. Deux avocats, Charles Consigny et Jean-Pierre Mignard, exposent leurs points de vue divergents.
Jean-Pierre Mignard - Avocat associé chez Lysias partners
Jean-Pierre Mignard - Avocat associé chez Lysias partners (Crédits : Photo by JOEL SAGET / AFP)

Le mieux est l'ennemi du bien. La Cour de justice de la République n'a pas encore rendu sa décision dans l'affaire qui oppose M. Dupond-Moretti au ministère public qu'elle est sommée de disparaître. Tel le monstre, la polémique rebondit, et une forme de lassitude avec. Que lui reprochet-on ? D'abord d'être une juridiction d'exception, statut prétendument infâme partagé avec les tribunaux de commerce, la juridiction des mineurs, le conseil des prud'hommes, celui des baux ruraux et bien d'autres.

On lui reproche d'être un privilège offert aux membres de l'exécutif dispensés de figurer sur le rôle de la correctionnelle. Lorsqu'ils ne sont pas pris dans l'exercice de leurs fonctions, ils comparaissent, en rafale parfois. Ainsi dans la même semaine, un ancien président de la République et un autre ancien ministre de la Justice étaient prévenus devant deux autres juridictions du même tribunal judiciaire de Paris.

M. Dupond-Moretti a-t-il bénéficié d'égards dus à ses fonctions ou pâti d'une procédure expéditive ? Ni l'un ni l'autre. Les plaintes de conflit d'intérêts déposées par l'Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature ont été investiguées avec soin, soumises à une commission des requêtes puis transmises au procureur de la Cour de cassation, lequel a enfin saisi les organes d'instruction de la CJR. Ce fut long et le ministre a bénéficié de tous les droits de recours par la suite, qu'il ne s'est pas privé d'utiliser. Il n'y a rien qui ne soit équitable dans ce procès-là.

A-t-il bénéficié d'égards dus à ses fonctions ou pâti d'une procédure expéditive ? Ni l'un ni l'autre.

L'objectif de toute cette procédure spécifique à la CJR est de ne pas exposer des membres de l'exécutif à des plaintes qui tomberaient comme à Gravelotte. Le but est légitime sauf à accepter l'idée que les ministres ou le président en fonction puissent être soumis à une lapidation incessante.

Le problème surgit après. Il n'y a aucune raison que des parlementaires, honorables personnes, constituent la formation de jugement des membres de l'exécutif. Le serment ne leur épargne pas la suspicion du défaut d'indépendance et d'impartialité : partiaux les opposants, partiaux les partisans. En vertu de la théorie des apparences, ils ne seront jamais considérés comme libres, y compris si cela paraîtra injuste à certains. En fait, la CJR n'est ni une justice de classe ni une justice sublime, elle est une justice de caste. Perçue comme telle, ce qui suffit pour la confondre ; le mal est fait et il est irréparable.

Les parlementaires ne doivent plus siéger. Cinq conseillers à la cour suffisent pour former la juridiction de jugement. L'appel doit être prévu pour satisfaire au principe du double degré de juridiction. Le statut de victime et de partie civile doit être reconnu et motivé par la CJR à ceux qui en justifient. La cour renverra, devant une instance civile, statuer sur les dommages.

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Ainsi transforme-t-on en profondeur l'édifice de la CJR sans nier les objectifs premiers de protéger les fonctions sans étouffer les affaires.

Reste le dernier prévenu à la date d'aujourd'hui. Le ministre de la Justice s'est défendu, et s'il avait des griefs contre la CJR, ni lui ni l'exécutif dans son entier n'ont agi dans le sens de sa réforme. Sa venue Place Vendôme s'est accompagnée des ruades habituelles aux jeunes taureaux dans l'arène, or la détestation de la magistrature n'est pas la qualité la plus recherchée d'un garde des Sceaux et il s'est pris les cornes dans les barrières. Mettre en cause quatre magistrats à l'occasion de l'accomplissement d'actes juridictionnels, c'était faire bien peu de cas de l'indépendance de la magistrature. Les deux conseils supérieurs de celle-ci, parquet et siège, ont refoulé les procédures disciplinaires. Une débâcle.

Mettre un terme à cette triste séquence consistera à reformer voire rebâtir la CJR, afin qu'elle soit encore plus légitime. Car elle est bien utile.

Commentaire 1
à écrit le 19/11/2023 à 10:19
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condamné il devrait démissionner.

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