Accord sur les importations de céréales ukrainiennes : malgré les garanties de l'UE, la colère des agriculteurs ne faiblit pas

Les Vingt-Sept se sont accordés sur la reconduction de la levée des droits de douane pour les produits ukrainiens en Europe. Néanmoins, pour tenter de calmer la colère des agriculteurs qui dénoncent une concurrence « déloyale », l'accord prévoit des « mécanismes de sauvegarde » pour certaines denrées. Problème, le blé, que Kiev importe massivement en Europe, n'y figure pas.
Coline Vazquez
Même en guerre, l'Ukraine conserve d'immenses capacités de production qu'elle exporte majoritairement en Europe.
Même en guerre, l'Ukraine conserve d'immenses capacités de production qu'elle exporte majoritairement en Europe. (Crédits : Reuters)

« La solidarité oui, la naïveté non », s'est agacée, mercredi sur X (ex-Twitter), Agnès Pannier-Runacher. La ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire réagissait à l'accord européen sur les importations agricoles ukrainiennes trouvé dans la nuit de mardi à mercredi. Ce dernier prévoit en effet de reconduire l'exemption de droits de douane sur les importations agricoles en provenance d'Ukraine, en vigueur depuis le début de la guerre, en février 2022.

Pour rappel, il existe au sein de l'Union européenne des quotas, notamment sur le blé tendre et l'orge. Autrement dit, seule une partie des marchandises étrangères entrant dans l'UE bénéficient de droits de douane très faibles, ou en en étant exemptées.

« Une fois cette quantité atteinte, des droits de douane rédhibitoires s'appliquent de sorte à freiner les importations », explique Sébastien Poncelet, directeur du développement au sein du cabinet Argus Media (Agritel). Or, ils ont été levés au lendemain du déclenchement du conflit en Ukraine

Objectif de l'UE, soutenir l'économie ukrainienne. Sauf qu'une telle décision se répercute sur les agriculteurs européens. Ces derniers accusent, en effet, l'afflux de produits ukrainiens de plomber les prix locaux, et de relever d'une concurrence « déloyale », faute de satisfaire à certaines normes (taille des élevages, produits phytosanitaires...).

Hausse des importations de céréales ukrainiennes

En outre, même en guerre, l'Ukraine conserve d'immenses capacités de production. Ainsi, selon les chiffres du cabinet Argus Media (Agritel), pour la campagne 2023-2024, la production ukrainienne était estimée à 23,4 millions de tonnes de blé, contre 21,5 millions de tonnes pour la précédente et 33 millions de tonnes avant la guerre. Et, sur ces 23,4 millions de tonnes produites, le cabinet estimait que le pays pourrait en exporter 17 millions.

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Or, cette production ukrainienne se dirige tout droit vers l'Europe. Pour pallier les risques inhérents au transport de marchandises par la mer Noire, l'Ukraine a en effet développé le transport terrestre. Au lieu d'être majoritairement acheminées par bateaux depuis les ports d'Odessa et de sa région, c'est désormais par camions que les céréales transitent en traversant l'UE.

Résultat, sur les trois précédentes campagnes avant le conflit, l'UE rentrait en moyenne 2,2 millions de tonnes de blé tendre de l'étranger, selon les chiffres de la Commission européenne. Un chiffre qui est passé à 9,27 millions de tonnes sur 2022/2023. Quant à 2023/2024, début février, les importations s'élevaient à 5,77 millions de tonnes. Les importations de blé tendre dans l'UE ont ainsi été multipliées par quatre. Et, d'après les statistiques de la Commission européenne, sur ces volumes, 68% viennent d'Ukraine (3,9 millions sur les 5,77 millions de tonnes venues de l'étranger), énumère Sébastien Poncelet.

« On a multiplié au moins par quatre les importations de blé tendre dans l'UE. Et, d'après les statistiques, sur ces volumes, 68% viennent d'Ukraine (3,9 millions sur les 5,77 millions de tonnes venues de l'étranger) », précise-t-il.

De quoi concurrencer la production des Etats membres.

Des mécanismes de sauvegarde

Pour tenter de calmer la colère agricole - notamment en Pologne, où des cultivateurs bloquent des passages frontaliers avec l'Ukraine et l'Allemagne - l'UE a donc décidé, en même temps que la reconduction de cette exemption des droits de douane, de l'assortir de « mécanismes de sauvegarde » ciblant des produits « particulièrement sensibles ».

Le texte « prévoit un frein d'urgence pour la volaille, les œufs et le sucre », ainsi que « l'avoine, le maïs, les gruaux [préparation de grains dégermés, ndlr] et le miel », précise le Parlement européen. Concrètement, les importations dédouanées de ces produits seront de facto plafonnées aux niveaux moyens importés par l'UE en 2022 et 2023. Au-delà de ces niveaux, des droits de douane seront donc automatiquement réimposés.

Pas de quoi satisfaire les exploitants européens. Loin de là. Les organisations agricoles critiquent, d'une part, le fait que ce plafonnement corresponde aux volumes très élevés des deux dernières années à l'origine de la crise.

D'autre part, si certaines céréales font partie de la liste, ce n'est pas le cas du blé ni de l'orge. Les eurodéputés avaient pourtant voté massivement jeudi dernier pour réclamer d'étendre ce plafonnement aux céréales dont l'avoine, le maïs et également le blé et l'orge. Ils n'ont donc que partiellement été entendus et l'accord a finalement été conclu dans la nuit de mardi à mercredi entre les Etats membres et le Parlement européen.

Un manque à gagner pour la France

Ces mesures, censées protéger les agriculteurs européens, sont aussi jugées insuffisantes par la France. « Pour nous, l'accord n'est pas encore comme celui que nous souhaitions. [...] Il y a un certain nombre d'avancées, mais elles ne sont pas suffisantes », a ainsi regretté mercredi le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, assurant que « le travail va se poursuivre (car) on n'est pas au final ». La France souhaite notamment « inclure plus de céréalesil y a un sujet sur le blé en particulier », a-t-il ajouté au micro de Franceinfo.

« On a besoin de solidarité, mais pas au prix d'une déstabilisation parce que ça se retournerait contre les Ukrainiens. Il faut trouver ce point d'équilibre, nécessaire, et en même temps la nécessité que les marchés soient stabilisés au niveau européen », a-t-il résumé.

Et pour cause, la France, premier producteur de blé dans l'Union Européenne, tablait sur une production de plus de 35 millions de tonnes rien que pour le blé tendre en 2023, soit deux tonnes de plus qu'en 2022 et un chiffre supérieur à la moyenne des cinq dernières années. De plus, elle était, l'an passé, le premier pays exportateur de céréales au sein de l'UE, avec 14,6 millions de tonnes exportées (soit 30 % du total européen).

« Or, une part importante est, justement, vendue à nos voisins européens notamment du Nord (Pays-Bas, Belgique) mais aussi à l'Italie ou encore l'Espagne, pointe Sébastien Poncelet. Mais ces clients du blé français se tournent davantage vers le blé ukrainien, moins cher ».

« Ce dernier bénéficie, en effet, de coûts de production beaucoup moins élevés que ceux d'Europe du fait d'une main d'œuvre moins coûteuse, de structures beaucoup plus grandes et de normes très différentes de celles imposées dans l'UE », explique-t-il.

Sans compter que les agriculteurs français, comme tous ceux du continent européen, font désormais face à des coûts de production bien plus élevés qu'il y a trois ans, notamment pour les engrais et l'énergie. Et ce, du fait du conflit avec la Russie.

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Un surplus de production à exporter pour l'Europe

Et les producteurs européens sont d'autant plus en difficulté économique que l'afflux de céréales ukrainiennes tire les prix à la baisse, qui passent ainsi sous leurs coûts de production, note encore Sébastien Poncelet. Or, l'UE a terminé sa précédente campagne avec des stocks particulièrement élevés qu'elle va donc devoir écouler.

« Si quatre fois plus de blé ukrainien entre dans l'UE, celle-ci doit encore davantage exporter. Or, les Européens produisent davantage qu'ils ne consomment. Ce qui implique de se frotter encore plus qu'avant à la concurrence internationale, notamment celle du blé russe vendu à un tarif très compétitif, exposant les agriculteurs à un système de prix au moins disant », rappelle-t-il.

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Néanmoins, si l'Ukraine dispose d'autant de capacités d'exportation, c'est qu'elle doit écouler le stock de céréales accumulé lors des six premiers mois après le début du conflit quand il lui était impossible d'acheminer ses denrées vers l'étranger. « Mais à force d'exporter son blé en Europe, l'excédent dont l'Ukraine dispose va diminuer », indique le directeur du développement chez Agritel.

Lors d'ultimes négociations, les eurodéputés ont, en outre, « obtenu de la Commission l'engagement ferme d'agir en cas d'augmentation des importations ukrainiennes de blé », a précisé le Parlement. Et Bruxelles sera tenu d'agir « plus rapidement, dans un délai de 14 jours au lieu de 21 jours (comme prévu initialement) » pour relever les droits de douane « si les seuils de déclenchement des mécanismes de sauvegarde sont atteints ». Parallèlement, l'UE s'efforce de muscler ses « couloirs de solidarité » pour acheminer les produits ukrainiens vers leurs marchés habituels en Afrique et au Moyen-Orient, et éviter qu'ils ne restent bloqués en Europe.

« L'accord renforce l'engagement continu de l'UE aux côtés de l'Ukraine » et, dans le même temps, « renforce les mesures de sauvegarde qui atténueraient la pression sur les agriculteurs de l'UE s'ils étaient submergés par une augmentation soudaine des importations », a estimé l'eurodéputée lettonne Sandra Kalniete (PPE, droite), rapporteure du texte.

Mais pour Christiane Lambert, dirigeante du Copa-Cogeca, l'organisation des syndicats agricoles majoritaires européens, « sans changement de l'année de référence et sans inclusion directe du blé, (l'accord) ne répond pas aux préoccupations des producteurs et reste donc inacceptable ». Il doit désormais être entériné formellement par les Vingt-Sept comme par les eurodéputés, en commissions puis en séance plénière fin avril, avant l'entrée en vigueur le 6 juin.

Coline Vazquez
Commentaires 7
à écrit le 23/03/2024 à 17:08
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voilà ce qui en est des promesses de Attal. Son maitre lui a dit de rentrer à la niche. J'espère que les agriculteurs sauront pour qui voter cette fois. Les traites de LR? lollll allez un petit effort vers la droite.

à écrit le 22/03/2024 à 11:17
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Je n'achète que de la farine issue de l'agriculture biologique écrasée sur meule de pierre. Plus chère, mais que sont 0, 60 euros sur 30kg par an?

le 22/03/2024 à 18:04
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Roulée sous les aisselles ?

à écrit le 22/03/2024 à 9:44
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la politique libérale s opposerait elle au nationalisme économique ! ( Mercosur ! ) une catastrophe pour nos agriculteurs. le choix des députés doit s afficher

à écrit le 22/03/2024 à 8:27
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On nous avait dit que le blé Ukrainien était pour l'Afrique!?

à écrit le 22/03/2024 à 8:19
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Pas d'intermédiaires pas de problèmes.

à écrit le 22/03/2024 à 8:19
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Les " gros " céréaliers français ( adhérents à la F.N.S.E.A. ) ne sont vraiment pas solidaires de leurs fragiles collègues ukrainiens des fonds de pension américains et des banques d' investissements ( par exemple le Crédit Agricole ) ... Ce man...

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