Le blé français face au défi du blé russe et ukrainien

Les volumes et la bonne qualité du blé français pourraient lui garantir d'importantes exportations en 2023-2024. Mais la présence massive du blé russe sur les marchés internationaux, et la concurrence ukrainienne en Europe, défient sa compétitivité.
Giulietta Gamberini
Malgré une production qui selon le ministère américain de l'agriculture (USDA) devrait s'établir à 85 millions de tonnes, un niveau un peu inférieur à celui de l'année dernière, les exportations russes devraient atteindre des niveaux records, autour de 49-50 millions de tonnes, conviennent les analystes.
Malgré une production qui selon le ministère américain de l'agriculture (USDA) devrait s'établir à 85 millions de tonnes, un niveau un peu inférieur à celui de l'année dernière, les exportations russes devraient atteindre des niveaux records, autour de 49-50 millions de tonnes, conviennent les analystes. (Crédits : IMAGO/Steinach via Reuters Connect)

Malgré les craintes, les quantités, comme la qualité, sont là. Selon le bilan prévisionnel présenté le mercredi 13 septembre par FranceAgriMer, tout au long de la campagne 2023-2024, la production et les exportations de blé tendre français devraient dépasser celles de la campagne précédente. Et selon les résultats définitifs des enquêtes de qualité réalisées par le même établissement public avec l'institut technique agricole Arvalis, également publiées le 13 septembre, « les différents critères de qualité appréciés par les acheteurs sont bons », analyse Marc Zribi, chef de l'unité grains et sucre de FranceAgriMer. Au total, 60% de la collecte devrait être commercialisée dans les catégories « premium » et « supérieure ».

« Cela devrait satisfaire la diversité des débouchés du blé tendre français », estime Adeline Streiff, ingénieure au pôle Qualité technologique et sanitaire des céréales d'Arvalis.

Ces volumes et cette qualité représentent « un atout sérieux pour continuer d'être présent à l'export », acquiesce Marc Zribi. « Et on a également un avantage de compétitivité logistique sur les destinations de proximité : les pays du Maghreb et l'Afrique subsaharienne par exemple », se réjouit l'expert.

La Russie inonde les marchés

La compétition internationale promet toutefois d'être rude les prochains mois. « La géopolitique a toujours joué un rôle majeur, mais là, elle va avoir un impact extrêmement important », estime Benoît Piètrement, président du conseil spécialisé « grandes cultures » de FranceAgriMer, qui pointe ainsi « de grandes incertitudes ». Les prévisions des exportations françaises de FranceAgriMer ont d'ailleurs dû être revues à la baisse en septembre par rapport à juillet. En cause, la compétitivité du blé russe et ukrainien, explique l'établissement public.

Principal exportateur mondial, la Russie inonde en effet les marchés de son blé tendre. Malgré une production qui, selon le ministère américain de l'agriculture (USDA), devrait s'établir à 85 millions de tonnes, un niveau un peu inférieur à celui de l'année dernière, les exportations russes devraient en effet atteindre des niveaux records, autour de 49 à 50 millions de tonnes, conviennent les analystes. « La présence de la Russie à l'export est vraiment massive, elle atteint des niveaux jamais connus auparavant », souligne Marc Zribi, qui observe déjà des exportations de quelque 4 à 5 millions de tonnes par mois.

« Et elle semble avoir la capacité de peser sur les marchés tout au long de la campagne », ajoute-t-il.

Des accords de gré à gré

Sans compter que « la diplomatie russe, malgré la guerre, est très active », note Benoît Piètrement qui, pour cette raison, déplore :

« Dans des pays où habituellement nous avons des marchés comme l'Algérie, cela n'a pas été le cas en ce début de campagne ».

Les achats de blé français par l'Egypte, principal importateur de blé tendre, sont passés de 13% (sur les 6,8 millions de tonnes importées en 2022-2023) à 8% (sur le 1,4 million de tonnes importé au 6 août 2023). La Russie continue d'en couvrir 71% des besoins.

« Et la Turquie et la Russie échangent autour de la fourniture à la Turquie d'un million de tonnes de blé russe à des prix spéciaux convenus », note encore FranceAgriMer.

Lire aussiPremier exportateur mondial de blé, la Russie pourrait être concurrencée par la France en Afrique du Nord

Une présence accrue du blé ukrainien en Europe

Quant à l'Ukraine, sa production de blé tendre reste affectée par la guerre. En outre, ses exportations sont encore plus lourdement pénalisées par le retrait de la Russie, en juillet 2023, de l'accord sur la mise en place d'un corridor maritime conclu un an plus tôt. « Les marchés à l'exportation de l'Ukraine ont été clairement pris par les Russes », observe  Benoît Piètrement.

Mais cela n'a fait qu'accroître la présence du blé ukrainien en Europe. Cette dernière est non seulement devenue une voie de transit - via le Danube, les routes et les chemins de fer orientaux -, mais aussi une destination d'exportation majeure. Ce revirement a poussé l'Union européenne, en avril, à autoriser cinq États membres (la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie) à interdire la commercialisation de blé ukrainien sur leurs territoires, afin de protéger les revenus de leurs propres agriculteurs. Ces pays ont demandé la prolongation de cette interdiction, qui expirait la semaine dernière, et la Pologne a même déclaré qu'elle la maintiendrait unilatéralement.

Lire aussiComment l'Ukraine parvient à exporter son blé malgré la guerre

Une pression baissière sur les prix

Pour les céréaliers français, une nouvelle pression baissière sur les prix du blé, dont les cours diminuent depuis juin, est l'autre principal danger découlant de la situation géopolitique. La sécheresse qui frappe plusieurs régions du monde, notamment l'Australie, le Canada et l'Argentine, mais aussi l'Union européenne, pourrait l'enrayer.

Lire aussiCéréales : le blé russe tire les prix mondiaux vers le bas

Mardi 12 septembre, le ministère américain de l'agriculture a revu à la baisse son estimation de la production mondiale de blé, désormais attendue à 787 millions de tonnes, contre 790 millions de tonnes en 2022-2023. Le rapport de l'USDA a d'ailleurs permis aux cours de se redresser. Mais, pour le moment, il n'a pas inversé la tendance.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 2
à écrit le 15/09/2023 à 4:14
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Des exportations agricoles honteusement subventionnées et ça nous baratine avec la compétitivité des grands propriétaires terriens français non contents d'enlever le pain de la bouche des français coûtent désormais 3+ Mds chaque année via la créat...

à écrit le 14/09/2023 à 16:28
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Sauf que la Russie a besoin d'un maximum de cash et dispose en ce moment d'un rouble très faible qui facilite ses exportations. Pour sa logistique et ses assurances, c'est plus compliqué, mais si besoin elle cassera les prix comme pour les hydrocarbu...

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