Embargo européen sur le pétrole russe : cinq questions pour comprendre le malaise européen

Depuis le début de l'invasion en Ukraine, l'Union européenne tente de voter un embargo sur le pétrole de la Russie pour tenter d'affaiblir économiquement le pays. Mais elle se heurte à l'opposition catégorique de certains pays membres, comme la Hongrie, inquiets pour leurs approvisionnements. Réunis à nouveau ce lundi lors d'un sommet à Bruxelles, les chefs d'Etat et de gouvernement veulent croire à un accord de principe, lequel serait néanmoins assorti de certaines exemptions. Une sorte de compromis pour permettre de lancer un sixième paquet de sanctions contre la Russie. Décryptage.
L'Union européenne prévoit d'adopter ce lundi un accord de principe sur un sixième paquet de sanctions dont un embargo sur le pétrole russe.
L'Union européenne prévoit d'adopter ce lundi un accord de principe sur un sixième paquet de sanctions dont un embargo sur le pétrole russe. (Crédits : Reuters)

Un accord est-il encore possible ? L'Union européenne veut le croire. À défaut de parvenir à un accord définitif, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE, réunis lors d'un sommet à Bruxelles ce lundi, devraient au moins s'accorder sur le principe selon lequel le sixième paquet de sanctions européennes contre la Russie devrait inclure un embargo sur le pétrole russe. "Je pense qu'on va vers un accord sur un sixième paquet de sanctions", a ainsi déclaré à son arrivée Emmanuel Macron, confiant. "A la fin, on aura un accord", a abondé Josep Borrell, haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères. Le tout en laissant "du temps pour s'adapter" aux pays les plus dépendants des hydrocarbures russes. Mais tous les dirigeants ne partagent pas cet optimisme, à commencer par le Premier ministre hongrois. "Il n'y a pas de compromis du tout pour l'instant", a-t-il à des journalistes. Viktor Orban s'oppose pour l'instant à toute idée d'embargo malgré les concessions proposée par l'Europe, bloquant le vote de nouvelles sanctions.

Depuis plusieurs mois, l'UE tente donc tant bien que mal de calmer les inquiétudes de certains Etats, poussée par l'impératif d'urgence brandi par d'autres, sans parvenir à s'exprimer d'une seule voix. Un compromis vers un embargo...partiel semble donc se dégager entre les pays membres.

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  • Pourquoi un embargo sur le pétrole russe ?

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février dernier, l'Union européenne multiplie les sanctions à l'égard de Moscou frappant tour à tour ses entreprises, son secteur bancaire et ses exportations. Pour frapper fort, l'UE entend mettre fin à ses achats de pétrole russe dans l'objectif de tarir le financement de l'effort de guerre menée par la Russie contre l'Ukraine. Un objectif encore en suspens. Depuis le début du conflit ukrainien, les Etats membre de l'UE ont en effet versé au total plus de 54 milliards d'euros à la Russie en échanges d'hydrocarbures dont près de 28 milliards seulement pour le pétrole, selon le centre de recherche le Centre for Research on Energy and Clean Air (Crea). Lors des deux premiers mois après l'invasion, la part de l'UE dans les exportations russes était de 68%. Un chiffre élevé qui s'explique par la forte dépendance de certains pays à l'or noir moscovite et qui explique les dissensions qui sont rapidement apparues sur la question d'un embargo sur le pétrole russe.

  • A quoi va ressembler le compromis ?

La Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie ont jusque-là toujours refusé de se couper du pétrole russe malgré les concessions proposées par l'Europe. Alors que l'UE prônait initialement un embargo total, elle a été contrainte de revoir ses objectifs à la baisse. Selon la dernière proposition en date, à l'initiative de la France qui assure actuellement la présidence du Conseil européen, il est désormais question d'un embargo sur les importations passant par la mer, d'ici la fin de l'année. Seul le pétrole acheminé par bateaux sera donc concerné, soit les 2/3 des achats européens de pétrole russe. "Le Conseil européen convient que le sixième paquet de sanctions contre la Russie couvrira le pétrole russe, ainsi que les produits pétroliers, livrés par la Russie aux Etats membres, avec une dérogation provisoire pour le pétrole brut livré par oléoduc", est-il écrit dans la dernière version du projet de conclusions de ce sommet à Bruxelles. Il est surtout question de l'oléoduc Droujba, dont la Hongrie, pays enclavé sans accès à la mer, est dépendante pour 65% de sa consommation de pétrole. Des négociations auront lieu ensuite pour cesser aussi les importations via cet oléoduc qui représente un tiers des approvisionnements européens. Cette nouvelle concession a été jugée comme étant une "bonne solution" par Viktor Orban qui a expliqué : "Ce qui nous pose problème, c'est si quelque chose arrivait à l'oléoduc transportant le pétrole russe, ce dont les Ukrainiens et d'autres ont parlé". Dans ce cas "nous avons besoin d'une garantie que nous pourrions recevoir du pétrole par la mer ou d'ailleurs".

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Berlin et Varsovie devraient en outre s'engager à arrêter, même s'ils n'y sont pas contraints, leurs importations par Droujba, selon des sources européennes. La Bulgarie, très dépendante du pétrole russe, a assuré vouloir "envoyer un signal fort", a déclaré lundi le Premier ministre bulgare Kiril Petkov. D'autres éléments sont en négociation pour tenter de convaincre la Hongrie qui a déjà refusé la première offre d'une dérogation de deux années qui lui avait été proposée par l'Europe. De leurs côtés, la République Tchèque et la Slovaquie semblaient s'en satisfaire. Budapest a réclamé au moins quatre ans de dérogation et dit avoir besoin d'environ 750 millions d'euros d'investissements à court terme pour moderniser ses raffineries et agrandir un oléoduc acheminant du pétrole croate. À plus long terme, la Hongrie aurait besoin de 18 milliards d'euros pour réaliser les investissements qui lui permettraient de ne plus dépendre du pétrole russe, un montant qu'elle espère voir financé par l'UE.

  • Pourquoi l'Europe tient-elle tant à voter cet embargo ?

Malgré un projet moins ambitieux qu'espéré, l'UE ne désespère pas d'aboutir à un accord. Ce dernier est d'autant plus important que l'embargo sur le pétrole russe constitue la mesure phare du sixième paquet de sanctions. Il comprend également l'exclusion de la plus importante banque russe, Sberkank (37% du marché), et de deux autres établissements bancaires du système financier international Swift, ainsi qu'un élargissement de la liste noire de l'UE à une soixantaine de personnalités. Au menu des négociations figure en outre la nécessité d'assurer des liquidités de l'Ukraine pour continuer à faire fonctionner son économie - la Commission ayant proposé une aide allant jusqu'à 9 milliards d'euros en 2022 - ainsi que de la sécurité alimentaire. L'Ukraine fait en effet face à un blocage de ses exportations de céréales ukrainiennes dont des millions de tonnes sont actuellement bloquées dans les ports de la Mer Noire, et ce, alors que le continent africain redoute une crise.

La reconstruction de l'Ukraine, pour laquelle l'UE veut jouer le premier rôle, sera également à l'ordre du jour. Kiev a évalué récemment l'ampleur des destructions (routes, infrastructures) à 600 milliards de dollars. Mais pour que ces dispositions puissent être mise en oeuvre, les Vingt-Sept doivent d'abord voter, à l'unanimité, l'embargo sur le pétrole russe sous une forme qui contentera la Hongrie

  • L'unité européenne se fissure-t-elle ?

Les Etats membres n'ont pas toujours parlé d'une seule voix depuis l'invasion de l'Ukraine, mais la question de l'embargo sur le pétrole russe constitue la plus importante de leurs divergences sur le dossier russe. De quoi susciter des inquiétudes du côté de l'Allemagne qui pousse en faveur de l'embargo. "Après l'attaque de la Russie contre l'Ukraine, nous avons vu ce qui peut arriver lorsque l'Europe est unie. En vue du sommet de demain, espérons que cela continue ainsi. Mais l'union commence déjà à se désagréger et à se désagréger de nouveau", s'est inquiété le ministre allemand de l'Economie Robert Habeck, dimanche. "L'Europe est toujours une immense zone économique dotée d'une puissance économique incroyable. Et lorsqu'elle est unie, elle peut utiliser cette puissance", a-t-il jugé.

  • Quelles conséquences pour la France ?

Du côté français, on pousse également avec insistance pour mettre en place cet embargo. "Il est plus que jamais nécessaire" de cesser les importations européennes de pétrole russe, avait assuré en avril, le ministre de l'Economie de l'époque, Bruno Le Maire. "Quand vous voyez ce qui se passe dans le Donbass (...) je suis convaincu que la réalité de la situation en Ukraine fera bouger les lignes. Si on est attaché comme nous à la liberté et à la protection du peuple ukrainien, il faut aller au bout de son raisonnement et ne pas financer la guerre" en achetant du pétrole à la Russie", avait-il déclaré sur Europe 1.

Le risque d'une rupture d'approvisionnement semble en effet pouvoir être écarté, comme l'expliquait Olivier Gantois, président de l'Ufip Énergies et Mobilités, ex-Union française des industries pétrolières début mai : "Il n'y a pas de difficulté majeure d'approvisionnement identifiée, pour peu qu'on nous laisse quelques mois pour réorganiser les flux logistiques", aussi bien pour le pétrole brut que le gazole. Selon lui, "il existe déjà en temps normal des alternatives qui sont essentiellement pour le pétrole brut le Moyen-Orient et l'Amérique du nord". Pour le gazole, s'ajoute à ces deux régions "l'Inde, qui est un gros producteur". D'autant que, le pétrole russe sera alors "détourné vers des pays qui n'ont pas décidé d'embargo, notamment la Chine et l'Inde, la plupart des pays africains et des pays d'Amérique du Sud, ce qui libérera des barils non russes achetés normalement par ces pays", prédit-il. "Aujourd'hui nous n'avons aucun problème d'approvisionnement en France, nous sommes en train de travailler à avoir d'autres fournisseurs et nous avons des réserves (...) donc je dis à nos concitoyens : pas la peine de se précipiter vers les stations essence, il y a ce qu'il faut", avait également assuré l'ancienne ministre Transition écologique Barbara Pompili.

Si les Français auront de quoi remplir leur réservoir, l'impact sur leurs finances pourrait néanmoins s'alourdir. Un embargo pourrait, en effet, faire grimper les prix à la pompe. "Le schéma d'approvisionnement actuel est un schéma optimisé, dans lequel on fait venir en France les barils qui sont les plus intéressants économiquement. Dès lors qu'on s'écarte de ce schéma, on peut partir sur le principe que ça va coûter plus cher", mettait en garde Olivier Gantois. D'autant plus que plusieurs pays producteurs et exportateurs de pétrole ne veulent pour l'instant pas ouvrir massivement les vannes.

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