Industrie : pourquoi la stratégie européenne peine à convaincre

Les chefs d'Etat et de gouvernement vont plancher pendant deux jours sur la politique industrielle de l'Union européenne, à l'occasion d'un Conseil européen. Cette dernière souhaite avancer sur les matériaux critiques, les technologies propres et la relocalisation de certains médicaments sur le Vieux continent. Mais face aux politiques volontaristes des Etats-Unis et de la Chine, la stratégie de l'Union européenne en ordre dispersé peine à convaincre.
Grégoire Normand
A l'occasion d'un Conseil européen à Bruxelles les 28 et 29 juin, les chefs d'Etat et de gouvernement des 27 doivent se retrouver pour un sommet crucial (Photo d'illustration)
A l'occasion d'un Conseil européen à Bruxelles les 28 et 29 juin, les chefs d'Etat et de gouvernement des 27 doivent se retrouver pour un sommet crucial (Photo d'illustration) (Crédits : Reuters)

L'Europe va tenter une nouvelle fois d'afficher son unité. A l'occasion d'un Conseil européen à Bruxelles les 28 et 29 juin, les chefs d'Etat et de gouvernement des 27 doivent se retrouver pour un sommet crucial. Au menu des discussions figurent le soutien de l'Europe à l'Ukraine, la défense et la sécurité et l'immigration. Mais aussi la politique industrielle et la compétitivité. Entre le péril climatique, la pandémie et la guerre en Ukraine, la Commission européenne a changé son discours. Il apparaît nécessaire de rendre le Vieux Continent moins dépendant des grandes puissances étrangères.

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La multiplication des crises a fait voler en éclats les principes d'une « mondialisation heureuse », pourtant vantés par les institutions bruxelloises depuis des décennies. Dans une lettre adressée aux chefs d'Etat en mars 2022, le président du Conseil européen, Charles Michel, avait fixé le cap des prochaines années.

« Au vu des derniers événements, il est plus urgent que jamais de prendre des mesures décisives en vue de construire notre souveraineté, de réduire notre dépendance et d'élaborer un nouveau modèle de croissance et d'investissement ».

En France, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avait, lui, plaidé pour « une nouvelle donne » en matière de politique industrielle en janvier dernier. Face à l'offensive des Etats-Unis sur l'industrie verte, via l'Inflation Reduction Act (IRA) et le plan Made in China de Pékin pour 2025, l'Europe veut changer de braquet. Les divisions au sein du Vieux Continent et la multiplication des plans nationaux en Allemagne ou en France par exemple plongent toutefois les industriels dans un épais brouillard.

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10 milliards d'euros supplémentaires

Au Forum économique mondial de Davos, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, avait annoncé en janvier dernier la création d'un fonds de souveraineté européen. Cette enveloppe devrait être abondée de 10 milliards d'euros supplémentaires et bénéficier des fonds d'autres plans, dont les subsides n'ont pas encore servi. Ce dispositif baptisé STEP (Strategic Technologies for Europe Platform) doit permettre d'orienter les financements existants vers des domaines technologiques cruciaux. « Il s'agit de mettre en place un label favorisant la souveraineté », assure un haut fonctionnaire de Bruxelles.

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Parmi les secteurs visés figurent les technologies propres (Cleantech), les biotechnologies et les entreprises innovantes. Sur le mécanisme de souveraineté, « la discussion va s'engager sur l'ampleur et la magnitude du fonds », a expliqué une source au sein l'Elysée.

« Ce fonds doit permettre à des pays qui n'ont pas forcément les moyens d'obtenir des fonds. C'est un instrument de solidarité qui vise à lutter contre la fragmentation de l'Europe », poursuit cette source.

Une Europe fissurée

Le vote au Congrès américain de l'Inflation Reduction Act a soulevé une vague d'inquiétudes en Europe. Rapidement, des industriels ont menacé de délocaliser une partie de leur production au pays de l'Oncle Sam. Sur le Vieux Continent, les institutions bruxelloises et les Etats ont tenté d'apporter une réponse, mais sans vraiment convaincre.

« L'Europe n'a pas de grand plan d'investissement comparable avec le plan américain (IRA) »a réagi récemment Thomas Pellerin Carlin, directeur du programme Europe à l'Institut de l'économie du climat. Les observateurs pointent régulièrement la tentative de l'Europe de « faire cavalier seul ».

En Europe, « on utilise le bâton du marché carbone alors que les Etats-Unis utilisent la carotte de la subvention », abonde Xavier Timbeau, économiste à l'OFCE. « Le fossé est en train de se creuser entre l'Europe et les Etats-Unis. Avec la mise en œuvre de l'IRA et la prolongation du marché carbone en Europe, il risque d'y avoir un écart de compétitivité-prix. Il faut absolument prendre en compte les subventions en Europe, sinon on risque d'assister à une fuite massive d'industrie décarbonée », a prévenu le chercheur.

La Chine dans le viseur de la Commission

Lors du grand raout organisé dans la capitale belge, les chefs d'Etat vont également échanger sur le thème de la sécurité économique. Le 20 juin dernier, la présidente de la Commission européenne a annoncé un durcissement des contrôles sur les investissements des entreprises européennes à l'étranger. Et aussi des investissements des entreprises étrangères dans l'Union européenne.

« Nous devons nous assurer que les capitaux des entreprises européennes, leur savoir, leur expertise et leurs recherches ne soient pas abusivement utilisés par certains pays pour des applications militaires », a déclaré la présidente de l'institution.

L'objectif est de proposer un instrument avant la fin de l'année. L'exécutif européen entend également faire une évaluation du mécanisme de contrôle des investissements étrangers, entré en vigueur fin 2020, pour éventuellement le renforcer. Cet outil vise à mieux contrôler les investissements de firmes étrangères dans des secteurs stratégiques en Europe.

Sa portée reste toutefois limitée : la Commission n'a pas la possibilité de bloquer un investissement, le dernier mot revenant aux États membres. Derrière le renforcement de cet arsenal, la Chine est clairement visée. Mais la signature d'un accord entre les différents Etats est loin d'être gagnée compte tenu des échanges commerciaux entre l'Europe et Pékin. L'Allemagne, premier exportateur européen en Chine, risque de freiner sur le renforcement de cet arsenal réglementaire.

Politique industrielle des batteries

En matière de politique industrielle, la Cour des comptes européenne a adressé un carton rouge à la Commission bruxelloise. Dans un rapport au vitriol, les magistrats ont pointé le risque de pénuries en matériaux stratégiques pour produire des batteries électriques.

« En dépit des initiatives stratégiques prises dès 2008, la chaîne de valeur des batteries dans l'UE reste fortement dépendante des approvisionnements provenant de pays tiers », ont constaté les rapporteurs.

Les autorités européennes ont engagé différentes actions pour sécuriser ses approvisionnements. Elles pourraient cependant s'avérer insuffisantes au regard de l'avance pris par la Chine et les Etats-Unis. « L'UE risque d'échouer à devenir un moteur mondial de l'industrie des batteries », soulignent les fonctionnaires. Au final, l'Europe ne pourrait pas tenir ses objectifs en matière de neutralité carbone si elle n'augmente pas la cadence en matière de politique industrielle.

Grégoire Normand
Commentaires 5
à écrit le 29/06/2023 à 8:42
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Parce que l'UE peine à convaincre ? Euphémisme tous les pays du monde se moquent de nous... Facile !

à écrit le 28/06/2023 à 18:52
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Ne vous inquiétez pas, l'urgence c'est quand même que la Russie quitte la Crimée. Le réchauffement climatique, l'industrie -l'inflation etc. n'ont strictement aucune importance. Au fait, les USA ont prévu de rendre, le Texas, la Californie, le Nouve...

à écrit le 28/06/2023 à 17:17
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Puisque nos nations n'ont plus le droit à la souveraineté, pourquoi l'Europe y aurait droit ? Laissez rentrer les bons produits chinois et les investisseurs américains car c'est une richesse pour l'Europe... Puisque nos emploi sont concurrencés par d...

à écrit le 28/06/2023 à 15:51
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ces discours sur une prétendue supériorité de USA et Chine sont bien captieux et puérils. alors qu'il est évident que les deux "géants" sont des tigres de papier (papier extrêmement fin).

à écrit le 28/06/2023 à 15:38
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Ça peine à convaincre car les intérêts des pays ne font pas convergents .. les exemples sont nombreux entre les pays neo libéraux pas toujours d accord aussi entre eux …l Europe n’est pas un pays- continent comme les usa ou la chine ou l’ Inde . Met...

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