« La réindustrialisation passera avant tout par un renouveau de l'industrie locale » (David Lisnard)

GRAND ENTRETIEN. Rareté du foncier et zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, délais administratifs et normes environnementales, compétition entre les territoires et manque de logements, fiscalités locale et nationale... Autant de freins à la réindustrialisation que le président de l'association des maires de France, David Lisnard, appelle à lever au moyen d'une révolution copernicienne de l'action publique.
César Armand
David Lisnard, président des maires de France depuis 2021, est maire de Cannes depuis 2014.
David Lisnard, président des maires de France depuis 2021, est maire de Cannes depuis 2014. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Entre la politique de zéro artificialisation nette (ZAN), les friches et toutes les autres activités économiques, y aura-t-il assez de place pour ouvrir des usines et réussir la réindustrialisation voulue par l'exécutif ?

DAVID LISNARD- La réponse est un peu dans votre question. Il existe en effet une contradiction majeure : pour qu'il y ait une véritable réindustrialisation, il faut du foncier en quantité, en qualité, et compétitif, c'est-à-dire fiable, à un prix d'achat raisonnable et avec une rapidité d'attribution. Sauf qu'en termes de viabilité, le lien économique ayant été coupé entre les intercommunalités et les entreprises, les élus ont peu d'incitations à privilégier le choix industriel.

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C'est comme s'ils avaient la charge sans la recette, ou le coût - les écoles, les rues, toutes les externalités - sans l'avantage : le gain fiscal. En termes de rapidité, ce n'est guère mieux : hormis les grands projets médiatisés ou dits d'intérêt national, rien n'est fait pour accélérer les durées d'attribution d'un foncier purgé de tout recours. Par exemple, Tesla est parti à Berlin, non pas pour des questions d'argent, mais du fait des délais de mise à disponibilité des terrains. Les industriels européens ont en fait un adage : en Suisse, il faut sept jours pour faire sortir un projet, en Italie, sept semaines, en Allemagne, sept mois, et en France... Je vous laisse compléter.

Dans le cadre du projet de loi relatif à l'industrie verte, le gouvernement s'est engagé à réduire de moitié les délais...

Au-delà des affichages, tant que nous aurons des blocages des Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou d'autres services de l'État, nous peinerons à réindustrialiser le pays. Il faut arriver à un seul et unique responsable administratif et non plus être suspendu à tous les avis. Je ne suis pas désespéré, mais quand je compare la France avec d'autres pays je vois que pour la première fois, nous sommes derrière l'Espagne en industrie manufacturière dans le PIB.

À cela, s'ajoute l'envolée des prix du foncier. Entre les plans de prévention des risques, l'obligation de construire des logements sociaux et la politique de zéro artificialisation nette (ZAN), le foncier disponible devient très rare. Depuis la promulgation de la loi « Climat & Résilience » en 2021, les maires m'alertent sur des pratiques, rationnelles mais prédatrices, de sociétés foncières qui achètent à tour de bras. La rareté impliquant le coût, un problème quantitatif génère un problème de compétitivité du foncier.

Faut-il en finir avec certaines normes ? Les commissions d'enquête diverses et variées ?

La protection de l'environnement est un objectif essentiel, et je suis le premier à proposer que l'on donne aux industriels des objectifs de normes de dépollution et de décarbonation. En contrepartie, l'État doit revenir à un rôle de police et de contrôle a posteriori, c'est-à-dire qu'on applique le principe de pollueur-payeur, voire qu'on ferme les sites qui ne sont pas en conformité. Or, l'État a orienté ses agents et ses moyens vers le règne des autorisations et le contrôle a priori.

Redonnons de la liberté et de la responsabilité dans l'octroi des permis d'aménager et de construire, mais pour ceux qui ne respectent pas les règles, sanctionnons-les sévèrement et rapidement. L'État est de moins en moins capable de punir ceux qui abusent et qui nuisent, mais freine, donc pénalise, ceux qui agissent.

C'est très vrai en urbanisme, on est bien plus exigeant avec ceux qui sont en règle : c'est à croire qu'il y a une prime pour ceux qui passent en force. Tout cela demande une révolution copernicienne de l'action publique, mais c'est possible. Et en tout cas nécessaire.

D'autant que les collectivités territoriales sont en compétition entre elles, voire avec les régions d'autres pays...

Je suis pour la compétition, c'est une source d'émulation. Chaque bassin de vie a ses atouts et ses défauts. L'Île-de-France est la région la plus riche de France et concentre la plus grande densité d'emplois qualifiés, mais elle manque de foncier disponible, manque de logements et la vie coûte plus cher. D'autres secteurs sont plus sinistrés sur le plan économique et social, mais ils ont davantage de foncier. Pourquoi ? C'est simple. On a coupé, j'insiste, le lien fiscal entre les entreprises et les collectivités en supprimant la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE).

Tant est si bien que ce système va amplifier les fractures territoriales. Et à la fin, ce sont les métropoles qui auront les capacités de dépolluer les sites et les moyens d'accéder aux établissements publics fonciers qui seront favorisées. Pour qu'il y ait compétition et compétitivité, donc, paradoxalement, il faut un impôt. Plus des impôts locaux ont été supprimés, plus les prélèvements obligatoires nationaux ont augmenté.

Sauf que tous ces impôts locaux n'ont-ils pas dissuadé les investisseurs de s'implanter ?

À titre personnel, je pense que l'exécutif a bien fait de réduire l'impôt sur les sociétés de 33 à 25%. Désormais, plutôt que de compenser la suppression de la CVAE par de la TVA, il devrait l'abaisser à 20% et laisser les intercommunalités avoir un pouvoir de taux local de 0 à 5%. Ainsi, les élus pourraient recréer un lien entre leur foncier et les entreprises. Cela les inciterait à faire venir des entreprises. Cela créerait de l'émulation sans pénaliser l'attractivité fiscale du pays.

Autre impôt supprimé et censé être compensé : la taxe d'habitation dont s'acquittaient tous les résidents d'une commune et qui permettait de construire des logements et des équipements liés. Au lendemain du Conseil national de la refondation (CNR) lié au logement, beaucoup d'édiles doutent de leur capacité à loger les futurs employés de l'industrie verte...

Il faut permettre des projets locaux, globaux, complets. La réindustrialisation passera avant tout par un renouveau de l'industrie locale en lien avec des équipements publics. Quand je travaillais dans le Jura, chaque centre-bourg avait son industrie. À l'époque, les maires avaient des outils fiscaux pour faire des zones d'aménagement complètes et des quartiers de logements proches des usines.

Aujourd'hui, le pouvoir décisionnaire doit revenir au niveau de la commune ou de l'intercommunalité pour monter un projet de A à Z. Pour faire de la sobriété foncière et un vrai projet de développement local, nous pourrions imaginer un pilotage maire et/ou président d'intercommunalité avec l'entreprise qui s'implante et Action Logement par exemple.

César Armand
Commentaires 12
à écrit le 12/07/2023 à 21:04
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La ré industrialisation française : il faut arrêter de rêver ...d'ailleurs ceux qui en parle le plus n'ont jamais travaillé ou peu dans le privé et notamment dans l'industrie. La première équation à mettre en œuvre c'est la productivité ....hors on ...

le 13/07/2023 à 8:35
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On retrouvé Emile ! Mais bon ils a 94 ans... le temps passe vite !

à écrit le 12/07/2023 à 7:04
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Il faut l'espérer maintenant hélas il n'a aucun pouvoir de décision or la religion obscurantiste néolibérale est étanche aux bonnes idées de ce genre comme nous pouvons le déplorer quotidiennement.

le 12/07/2023 à 14:55
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Il n'y a rien de libéral dans ce qu'on fait en France depuis des lustres et bcp de social et de jacobin.

le 13/07/2023 à 7:57
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Beaucoup de social ? Mais où ça !? Non seulement de l'intérêt financier partout et tout le temps.

à écrit le 12/07/2023 à 3:45
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Lisnard est de la meme lignee que mouillot magouilleur s'il en etait. Pour avoir vecu a Cannes pendant des annees les impots fonciers avaient doubles durant son court regne.

à écrit le 11/07/2023 à 19:54
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c est vraiment un rigolo. il fait parti des tueurs de l industries. son clan sarkoziste à lancé la desindustrialisation en 2007 . juste pour que ce tartuffe apprenne ce qui se passe: 4 usines fabriquant des emballages en PSE vont fermées.. Valeo Amie...

à écrit le 11/07/2023 à 19:02
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Elle commencera avec la sortie de l' UE, de l' euro, de l' otan. et par le libre choix de ses partenaires aujoutrd' hui empêché par l' état profond us/ue qui joue la déglingue de l' UE , exemple des tuyaux percés de la B...

à écrit le 11/07/2023 à 17:18
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Ce qui est dit est très raisonnable. En particulier: "plutôt que de compenser la suppression de la CVAE par de la TVA, le gouvernement devrait réduire l'impôt sur les sociétés de 25 à 20% et aisser les intercommunalités avoir un pouvoir de taux loc...

à écrit le 11/07/2023 à 15:44
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C'est souhaitable mais ce n'est pas gagné à voir le pouvoir d'obstruction des administrations relayés par les associations en tout genre !

à écrit le 11/07/2023 à 14:47
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en fait ceux incapables qui ont tout délocalisé donnent des conseilles pour relocalisé !!!! trop fort !

le 11/07/2023 à 15:50
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un nouveau parti politique se profilerait il déjà ,? pourquoi pas ! la renaissance actuelle est sans horizon

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