Le scandale Wirecard va-t-il éclabousser le secteur, en plein boom, des fintech ?

La chute de la fintech bavaroise Wirecard n'est pas sans conséquence pour les autres start-up de la finance, y compris en dehors des frontières allemandes. Outre des incidences purement opérationnelles, cet écosystème en hypercroissance pourrait pâtir d'un sentiment de défiance de la part des investisseurs et des clients. Les dirigeants d'entreprise craignent l'amalgame.
Juliette Raynal
Dans tous les marchés qui sont en forte expansion et qui avancent plus vite que la musique, il y a toujours des ratés sans que cela ne coule définitivement un secteur, relativise Bernard-Louis Roques, à la tête de Truffle Capital, une société d'investissement pionnière dans les fintech.
"Dans tous les marchés qui sont en forte expansion et qui avancent plus vite que la musique, il y a toujours des ratés sans que cela ne coule définitivement un secteur", relativise Bernard-Louis Roques, à la tête de Truffle Capital, une société d'investissement pionnière dans les fintech. (Crédits : Wolfgang Rattay)

Y'aura-t-il un avant et un après Wirecard pour le monde des start-up de la finance ? Le scandale financier qui secoue cette entreprise bavaroise spécialiste des paiements électroniques pourrait bien éclabousser l'industrie de la fintech dans son ensemble. C'est en tout cas ce que craignent certains acteurs de ce jeune secteur, qui se développe à vitesse grand V depuis une dizaine d'années et dont les levées de fonds ont atteint près de 500 millions d'euros en France au cours des six premiers mois de l'année.

Présentée comme une "vieille" fintech, Wirecard est née en 1999 près de Munich. Elle s'est notamment spécialisée dans l'acquisition. Dans l'univers des paiements en ligne, cette activité permet à un e-commerçant d'accepter différents types de paiements (carte CB, Visa, Mastercard, Paypal, Alipay, etc.). Wirecard joue ainsi un rôle d'intermédiaire entre un commerçant et un émetteur de carte. Grâce à sa solution technologique, la société bavaroise aurait séduit plus de 300.000 entreprises dans le monde. En 2018, elle remplaçait même le dinosaure Commerzbank au Dax 30, l'indice qui regroupe les 30 plus importantes capitalisations boursières d'Allemagne. Tout un symbole. À son plus haut, Wirecard pesait 24 milliards d'euros, le double de la valorisation actuelle de Société Générale. Aujourd'hui, elle ne pèse "plus que" 511 millions d'euros et son avenir est plus que jamais incertain, après qu'elle a déposé le bilan le 25 juin dernier, une semaine après avoir reconnu que les 1,9 milliard d'euros manquants à son bilan n'existaient "probablement pas", entraînant la démission de son emblématique patron Markus Braun.

Rupture de services en chaîne et crise de confiance

Cette chute vertigineuse n'est pas sans conséquence pour les autres fintech, y compris en dehors des frontières allemandes. Car, outre son activité d'acquisition, Wirecard a aussi développé une activité d'émetteur de cartes de paiement depuis sa filiale britannique Wirecard Card Solutions et comptait parmi ses entreprises clientes de nombreuses start-up de la finance. Or, le 26 juin, le régulateur britannique (FCA) a décidé de suspendre ses licences, entraînant la rupture de service de nombreuses fintech, à l'image de l'appli bancaire Curve dont la carte universelle était temporairement inutilisable. Après trois jours de blocage, la filiale britannique de Wirecard a néanmoins pu reprendre son activité et ses entreprises clientes également.

Au-delà de cette incidence purement opérationnelle, le scandale comptable de Wirecard pourrait avoir des conséquences indirectes bien plus dommageables pour l'écosystème des fintech, qui risquerait de pâtir d'un climat de défiance à leur égard.

"C'est la première fois que cette industrie naissante est confrontée à un scandale d'une telle ampleur", observe Guillaume Ponsard, directeur général de la plateforme de paiement CentralPay. "Ce scandale aurait pu arriver dans d'autres industries. Il s'agit d'un maquillage comptable. Il ne faudrait pas jeter l'opprobre sur l'ensemble d'une profession qui est extrêmement régulée", poursuit-il.

Des contrôles renforcés ?

"L'entreprise Wirecard est à la fois soumise au droit des sociétés cotées et au droit bancaire", abonde Mikael Ptachek, président de l'Observatoire de la fintech. Pour cet ancien directeur en cabinet d'audit et de conseil, si les faits sont avérés, il s'agit davantage de comprendre où sont survenus les défaillances dans la chaîne de contrôle qui repose sur "les managers, les contrôles internes, les auditeurs externes et le superviseur". Ce scandale pourrait alors contribuer à amener plus de transparence et entraîner un renforcement des contrôles de conformité en amont des investissements.

Lire aussi : Scandale Wirecard : les superviseurs pointés du doigt dans cette affaire de fraude

Autre conséquence envisagée : une surveillance plus stricte menée par les différents régulateurs nationaux. "Nous pouvons très bien imaginer que le régulateur serre davantage la vis et qu'il soit plus difficile d'obtenir une licence", avance Damien Guermonprez, président de la fintech tricolore Lemon Way, spécialiste des paiements en ligne. Dans l'Hexagone, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), rattachée à la Banque de France, est connue pour sa très grande vigilance et sa lecture stricte des textes. Le régulateur tricolore n'a ainsi pas attendu que le scandale Wirecard éclate pour renforcer certaines contraintes. "Depuis la crise du Covid, nous et les autres plateformes de paiement devons adresser à l'ACPR des reportings hebdomadaires de nos comptes de cantonnement, alors qu'auparavant ces reportings étaient mensuels", indique Damien Guermonprez. Une surveillance accrue qui peut présenter un avantage compétitif pour les acteurs déjà régulés. En inspirant davantage confiance, ces derniers pourraient récupérer plus facilement les clients de Wirecard. "Nous avons déjà été contactés par certains clients de Wirecard qui cherchent à se tourner vers un acteur de confiance", témoigne ainsi le président de Lemon Way.

Le risque de l'amalgame

Reste que les craintes subsistent. "Le risque c'est l'amalgame et que les fintech soient vues d'un mauvais oeil par les investisseurs", avance Guillaume Ponsard. "Les raccourcis sont déjà faits et les banques voient dans ce scandale la justification de leurs craintes", déplore Damien Guermonprez. Des inquiétudes balayées par Julien Maldonato, associé conseil innovation chez Deloitte :

"Les consommateurs et les acteurs B2B savent faire la part des choses. C'est un scandale propre à une entreprises et non à une industrie. Il s'agit d'un incident, a priori, non reproductible. Les fintech ne présentent pas des faiblesses par nature en raison de leur taille plus petite ou parce qu'elles sont plus récentes. Au contraire, elles ont été créées sur des bases technologiques plus modernes et donc intrinsèquement plus sûres", affirme-t-il.

Bernard-Louis Roques, à la tête de Truffle Capital, une société d'investissement pionnière dans les fintech, reste également optimiste et pragmatique.

"Dans tous les marchés qui sont en forte expansion et qui avancent plus vite que la musique, il y a toujours des ratés sans que cela ne coule définitivement un secteur. Cela a été notamment le cas au début d'Internet. Cela fait partie des cycles de développement", estime-t-il, tout en indiquant ne pas avoir été "totalement surpris" par l'affaire Wirecard.

"Nous avions été approchés par Wirecard qui avait manifesté un intérêt pour l'une de nos participations. Lorsque que nous avons demandé des informations supplémentaires concernant un aspect qui nous paraissait peu clair, nous n'avons jamais eu de retour", confie-t-il.

Des investissements en croissance malgré la crise

Le scandale ne remettra pas en cause les ambitions de la société de capital-risque parisienne, qui prévoit même d'accélérer ses investissements au cours des prochains mois, suivant une tendance générale. Selon la dernière étude de l'Observatoire de la fintech, publiée ce mercredi 1er juillet, les jeunes pousses tricolores de la finance ont levé 496 millions d'euros au cours des six premiers mois de l'année, contre 440 millions d'euros au premier semestre 2019, soit une augmentation de 12%.

"L'année 2020 a commencé en fanfare avec des levées de fonds record, comme celle de 104 millions d'euros de Qonto. La crise sanitaire est, bien sûr, venue infléchir cette tendance avec le décalage de certaines opérations, mais des tours de table conséquents ont quand même eu lieu, comme celui de l'assurtech Alan, qui a levé 50 millions d'euros, ou celui de 15 millions d'euros d'Agicap", commente Mikael Ptachek.

Et, si le nombre d'opérations a diminué, le ticket moyen s'est lui envolé, passant de 7,5 millions d'euros en 2019 à 13,8 millions d'euros cette année. "La crise du Covid a conduit les investisseurs à se focaliser sur les projets matures", explique Mikael Ptachek. Les fintech seront-elles aussi résilientes face au scandale Wirecard ? En attendant d'évaluer les conséquences pour le secteur, les banques traditionnelles pourraient, elles, profiter de la chute d'un acteur phare pour essayer de reconquérir certains maillons de la chaîne des paiements où elles s'étaient laissées distancer.

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 02/07/2020 à 13:33
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le retour des vraies banques !

à écrit le 02/07/2020 à 9:22
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Ouais mais bon comme les allemands ont quand même une approche très particulière des affaires surtout celles liées à la finance, une véritable église orthodoxe, ne pas oublier que faute et dette en allemand ont la même racine, pouvons nous en faire u...

à écrit le 01/07/2020 à 18:25
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On aura beau dire, payer avec des Pascal de 100 balles, ça avait un autre gueule que payer avec un bout de plastique !

le 01/07/2020 à 19:10
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Bonsoir, les PASCAL c'était 500 FRANCS FRANÇAIS !!! et puis il faut vivre avec son temps !!!, le morceau de plastique dont la puce est une invention Française (merci Monsieur MORENO) est même bientôt ringarde, les téléphones iris de l'oeil empreinte...

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