Munitions : quelles pistes et quelles mesures pour réapprovisionner les stocks ? (2/2)

Le ministre des Armées Sébastien Lecornu devrait annoncer des mesures d'urgence cet automne dans le cadre du projet de loi de finances 2023 pour réapprovisionner les stocks de munitions.
Michel Cabirol
140 Aster 15 ont été livrés entre 2006 et 2020, soit moins de 10 missiles par an.
140 Aster 15 ont été livrés entre 2006 et 2020, soit moins de 10 missiles par an. (Crédits : Eurosam)

Le constat étant clair et inquiétant, le ministère des Armées est désormais sur le pied de guerre pour renforcer les stocks de munitions sacrifiés sur l'autel des arbitrages depuis plus de 20 ans. "Ce sera l'une des entrées de la mise à jour de la loi de programmation militaire (LPM)", avait expliqué début mai au Sénat le Délégué général pour l'armement Joël Barre, remplacé depuis le 31 juillet par Emmanuel Chiva. Ce sera finalement l'une des entrées de la nouvelle LPM (2024-2030) voulue par Emmanuel Macron et annoncée le 13 juillet. D'ici là, l'Hôtel de Brienne a été prié par le chef de l'État de lancer dès cet été une réflexion sur des mesures d'urgence dans le cadre de la préparation du budget 2023 pour "réapprovisionner les stocks stratégiques de munitions", comme l'a expliqué le 7 juillet le ministre des Armées Sébastien Lecornu à l'Assemblée nationale.

"Il faut réapprovisionner par suite de notre solidarité envers les armées ukrainiennes ou parce que le retour des conflits de moyenne à haute intensité de nature conventionnelle redonne une place particulière à l'artillerie et à l'infanterie dans notre schéma de défense", a expliqué le ministre des Armées.

Le réapprovisionnement des stocks va coûter cher, très cher au ministère des Armées. Car "les munitions technologiques de nouvelle génération sont beaucoup plus chères que celles qu'elles remplacent", constatait déjà en mai Florence Parly dans un entretien accordé à La Tribune peu de temps avant son départ de l'Hôtel de Brienne. En outre, le sénateur du Finistère Philippe Paul estime que 6 à 7 milliards de munitions devront être acquises d'ici à 2030, pour un stock évalué aujourd'hui à 8 milliards. Hors nouvelle mesure, l'actuelle LPM a prévu 7 milliards d'euros pour compléter et développer de nouveaux missiles ou de nouvelles munitions. Selon le rapport d'information des députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès sur la préparation à la haute intensité, le besoin financier complémentaire est évalué à 3,5 milliards d'euros auxquels il faut ajouter 350 millions d'euros par an pour l'entretien de ces stocks.

Mesures d'urgence ?

Au-delà de l'armée de terre, Sébastien Lecornu, qui doit gérer en urgence ce dossier coûteux, long et complexe, a demandé à la Direction générale de l'armement (DGA) et à l'état-major de plancher sur "des propositions pour des réassorts en munitions dès 2023". Le ministre devrait annoncer "à l'automne" "d'éventuelles mesures d'urgence" dans le cadre du projet de loi de finances de 2023 "en fonction de ce que les services du ministère et la DGA diront", a-t-il précisé le 20 juillet devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. La DGA n'a pas attendu le nouveau ministre pour plancher sur ce dossier explosif sous l'impulsion de Florence Parly. Ainsi, un comité directeur du domaine capacitaire des munitions s'est tenu le 7 avril dernier avec les armées, à l'occasion duquel plusieurs actions ont été décidées.

Ces mesures d'urgence si elles sont décidées par Sébastien Lecornu viendront compléter un accord-cadre récemment rendu public pour un marché de 600 millions d'euros portant sur l'achat de munitions. Enfin, le ministère a octroyé 110 millions d'euros supplémentaire lors de l'actualisation en 2021 de la LPM. "Ces différentes actions permettent une remontée en puissance progressive de nos stocks de munitions, qui s'apprécie à l'aune de nos besoins. Il apparaît nécessaire d'accélérer ce processus", avait expliqué Joël Barre au Sénat.

"Plusieurs catégories de munitions ont été complétées de nouveau, en particulier dans le domaine de l'armement air-sol et des obus de 155 millimètres, avait alors détaillé devant les sénateurs Joël Barre. Nous avons également sécurisé un certain nombre de filières de production de bombes et de corps de bombes. Les programmes de rénovation à mi-vie des munitions complexes de type missile comme le système de croisière conventionnel autonome à longue portée (SCALP), l'Aster ou le MICA sont par ailleurs en cours. S'y ajoute le développement des missiles de nouvelle génération que sont le missile d'interception de combat et d'autodéfense de nouvelle génération (MICA-NG) ou l'Aster 30 Block 1 « nouvelle technologie » (B1NT). De plus, des stocks de nouveaux missiles comme le MDCN et le missile moyenne portée (MMP) sont en cours de constitution".

De nouvelles filières de munitions ?

Indéniablement, la guerre en Ukraine pourrait avoir rebattu des cartes. Des réflexions tous azimuts voient le jour, que ce soit pour développer d'anciennes filières sacrifiées (petit calibre) ou de nouvelles (armes à énergie dirigée). Sébastien Lecornu veut-il lancer une filière de munitions de petit calibre en France? La question mérite d'être posée. Ses propos au Sénat le laissent entendre : "il est clair que les types de combats ayant lieu en Ukraine ne semblaient plus complètement d'actualité, et que, alors que nous avons privilégié le développement de moyens balistiques lourds, nous devons revenir à des stratégies de petites munitions".

Autre piste développée, cette fois technologique, par le chef d'état-major de la marine nationale, l'amiral Pierre Vandier, les armes à énergie dirigée. "Pour détruire un drone, je préfère utiliser un laser de puissance à 50.000 euros que tirer un Aster 15 à 1 million", a-t-il expliqué fin juillet à l'Assemblée nationale. Des missiles qu'il faut absolument tirer qu'à coup sûr tant la cible finale des Aster 15 a été réduite lors de la LPM 2014-2019, passant de 200 à 140 missiles (cible atteinte en 2020). En revanche, la PME Cilas, en grande difficulté financière et en phase de reprise par Safran et MBDA, est peut-être assise sur une rampe de forte croissance. Elle pourrait être avec l'ETI bretonne Lumibird le fer de lance de cette nouvelle filière laser qui stratégiquement va être de la plus haute importance en termes capacitaires.

Par ailleurs, la DGA est en train de réfléchir sur des armements consommables, qui devront être conçus à bas prix. "Ce qui n'est pas un point sur lequel nous avons particulièrement travaillé", a reconnu Joël Barre le 13 juillet à Assemblée nationale. La DGA a récemment lancé un appel d'offres pour réaliser des drones armés, que le Délégué qualifierai "de munitions rôdeuses, lesquelles, en tant que consommables, ne doivent pas coûter trop cher. Le coût de l'arme utilisée ne doit pas être plus élevé que celle à contrecarrer".

Des enjeux énormes pour l'industrie

Longtemps dimensionnée pour gérer la pénurie des munitions des armées françaises (les 140 Aster 15 ont par exemple été livrés entre 2006 et 2020, soit moins de 10 missiles par an), l'industrie française spécialisée dans les munitions - principalement le missilier MBDA, l'électronicien Thales et Nexter, le spécialiste des munitions d'un calibre entre 20 et 155 mm - est aujourd'hui sollicitée par les responsables politiques et la DGA pour faire remonter leurs cadences de production. Mais pour le moment sans véritable commande dimensionnante, qui semble d'ailleurs hors de portée sur le plan budgétaire sauf s'il existe une réelle volonté politique. "Le véritable enjeu porte plutôt sur les objectifs et les moyens budgétaires qu'on leur consacre", a rappelé le 30 mai le PDG de MBDA Eric Béranger devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.

"L'un des premiers enseignements à tirer de l'Ukraine est la notion d'économie de guerre, c'est-à-dire la capacité de soutenir dans la durée des cadences élevées de consommation de munitions et une attrition accélérée des matériels", a estimé Joël Barre le 13 juillet à l'Assemblée nationale.

Dans ce cadre, l'ancien Délégué appelait déjà début mai au Sénat à "veiller" aux capacités industrielles. "Il faut qu'elles puissent réaliser ces munitions, ces rechanges et monter en cadence lorsque cela est nécessaire en particulier en cas de crise. Nous avons donc besoin d'une BITD robuste", avait-il souligné. C'était une des interrogations de l'ancienne ministre des Armées Florence Parly. "Il y a la capacité des industriels à répondre à nos besoins", avait-elle expliqué dans un entretien accordé à La Tribune peu de temps avant son départ de l'Hôtel de Brienne. Elle avait également tracé certaines directions à prendre : "Quels sont les volumes souhaités ? N'y a-t-il pas des munitions un peu moins perfectionnées mais qu'il serait souhaitable d'avoir en plus grand nombre?".

Pour réaliser les éventuels ajustements évoqués par le ministre, "nous avons aussi besoin d'une industrie capable de délivrer", a estimé Sébastien Lecornu lors de son audition au Sénat le 20 juillet. Une industrie qui doit s'adapter à la fameuse économie de guerre. Résultat, les industriels ballotés par les déclarations politiques naviguent à vue et au petit bonheur la chance. Car sans commande, aucun industriel ne voudra fabriquer des produits qu'il stocke en attendant de les vendre. Pour autant, ils devront être capable de réduire les temps de fabrication. "Pour certaines munitions, les délais de production ex nihilo sont de 24 à 36 mois", rapporte la mission d'information des députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès. C'est notamment le cas du MDCN, le missile de croisière de la marine nationale.

Sur le court terme, il existe bien des solutions comme le précise Eric Béranger : "Nous devons d'abord être capables d'accélérer la production de façon ponctuelle et limitée dans le temps. Il s'agit de construire des stocks de composants ou de sous-éléments qui permettent, le moment venu, de passer directement à l'étape de l'intégration. Nous avons testé cette situation avec succès lors de la période Covid". Mais sur le long terme, les industriels ont besoin de visibilité et surtout éviter les a-coups pour pouvoir investir dans le redimensionnement de leur outil industriel. "L'augmentation de la cadence industrielle sur le long terme est une autre dimension, qui demande un travail approfondi sur l'ensemble de la chaîne de production : cela suppose que les fournisseurs soient capables de produire plus, plus vite, de façon à alimenter les intégrateurs que nous sommes", a détaillé le PDG de MBDA.

"C'est aussi une affaire de choix, de planification et de ressources : sur quelles capacités souhaitons-nous des cadences supérieures et quels sont les moyens que nous y consacrons ? Ne faudrait-il pas, comme viennent de le faire les États-Unis, accorder la priorité à l'industrie de défense nationale pour la fourniture de certains composants ou matières premières ?", a interrogé Eric Béranger. Des questions auxquelles devront répondre Sébastien Lecornu et le nouveau DGA, Emmanuel Chiva.

Michel Cabirol

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Commentaires 18
à écrit le 21/08/2022 à 16:59
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Le ministre devrait annoncer des mesures d'urgence cet automne. Si c'est urgent, c'est maintenant pas cet automne.

à écrit le 20/08/2022 à 8:19
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Bonjour, L'indépendance passe par la souveraineté économique, industrielle et militaire.... Bien sur ils ne faut pas le dire....

à écrit le 19/08/2022 à 19:47
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Nos présidents qui ont diminué à chacun de leur mandat la LPM , je parle de Sarkozy et de Hollande jusqu'en 2015 devraient être jugés responsables de l'état dégradé de nos armées, mention spéciale à Nicolas Sarkozy qui a fermé de nombreuses bases et ...

à écrit le 19/08/2022 à 19:02
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C’est le résultat d’un processus entamé il y une cinquantaine d’années que j’appelle la liquidation du gaullisme. Ce processus pensé et voulu par Jean Monnet s’est accéléré depuis la fin de la guerre froide, grâce ou à cause à la mise en œuvre du tra...

le 20/08/2022 à 20:09
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Tout est hélas et bien dit , même si je pense qu'il doit en manquer encore . Mais qu'attendent les français pour réagir !!!!!!!

à écrit le 19/08/2022 à 18:34
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La France construit des sous-marins à propulsion nucléaire, des sous-marins à propulsion classique, des missiles nucléaire, des avions de combat, des hélicoptères, des avions de guerre électronique, de surveillance maritime, des radars des canons...

le 19/08/2022 à 20:10
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Et certains qui connaissent un peu le sujet ne sont pas nécessairement d'accord avec vous. Les choix de la DGA (validés par le pouvoir du moment) en matière de politique industrielle répondent à des considérations qui échappent parfois à la logique. ...

à écrit le 19/08/2022 à 15:00
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Bonjour, Bon ils faut savoir que depuis trops longtemps nous avons laissé perdre notre souveraineté sur une partie de notre moyens de défense... L'exemple de munitions de petit Calibre est un exemple flagrant... Exemple : le défaite de 1870 est su...

le 19/08/2022 à 18:35
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Une comparaison avec 1870 sérieusement ? C'est tellement ridicule.

à écrit le 19/08/2022 à 14:03
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La réalité qui apparaît montre une nouvelle fois que le gouvernement ne gouverne plus rien, il ne fait que réagir dans l'urgence. Des réformes profondes de l'Etat sont plus que nécessaires...

le 19/08/2022 à 18:35
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Il faut vraiment être bouché ou de mauvaise foi pour dire ça. Le 1er président à augmenter en 20 ans le budget défense est Macron et ce depuis 2017. Alors c'est sûr il manque encore des tonnes de choses à faire (et il en manquera toujours). Maintenan...

à écrit le 19/08/2022 à 12:16
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La peur des "guerres" est toujours une affaire de "gros sous" et d'exploitation du peuple! Pas de surprise, McKron a mis l'ambiance!

à écrit le 19/08/2022 à 10:22
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Si en France il n'y a plus d'usine pour fabriquer les cartouches pour nos soldats, alors honte ! à tous les politiciens qui ont laissé faire ça. A quoi on les paye ? sinon pour ce genre de truc : préserver notre indépendance.

le 19/08/2022 à 10:45
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Quelle indépendance ? Dans l'OTAN et L'UE, ce n'est qu'une illusion de l'esprit.

le 19/08/2022 à 10:46
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@asimon. Notre indépendance dépend de notre alliance avec l'OTAN., car aucun pays proche n'est en mesure de nous attaquer. La Russie nous a prouvé qu'elle était hors nucléaire incapable de gagner l'Ukraine et à du mal à garder le Donbass. Ne nous fab...

le 19/08/2022 à 10:48
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On a voté en 2007 pour Sarkozy et notre soumission à l'UE/US. Et on a continué depuis : 16 ans de gâchis et de pillages. La France est déclassée, la Turquie (par exemple) devrait nous dépasser dans quelques années. On les laisse déjà menacer nos navi...

le 19/08/2022 à 17:18
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Les petites munitions utilisées par l'armée française sont aussi fabriquées à l'étranger, depuis la cession de Manurhin aux Émirats arabes unis en 2018.On peut rappeler que le successeur du fameux Famas (fusil automatique de la manufacture d'armes de...

à écrit le 19/08/2022 à 9:13
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On pourra toujours racheter des GBU fêlées à l'US Navy, on devrait avoir un prix.

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