Le niveau des stocks de munitions de la Marine est "trop bas" (Amiral Prazuck)

Trois points de vigilance pour le chef d'état-major de la Marine nationale, l'amiral Christophe Prazuck : la gestion des ressources humaines, la remise à niveau du stock des munitions et la prolongation des vieux navires.
Michel Cabirol
En mai dernier, l'Aster 15 a réussi de la frégate multimissions FREMM un tir d’interception d’un missile supersonique volant à Mach 2.5 dans le cadre de l’exercice Formidable Shield, organisé par l’OTAN au nord de l’Écosse.
En mai dernier, l'Aster 15 a réussi de la frégate multimissions FREMM un tir d’interception d’un missile supersonique volant à Mach 2.5 dans le cadre de l’exercice Formidable Shield, organisé par l’OTAN au nord de l’Écosse. (Crédits : MBDA)

Article réactualisé le 15 novembre (rajout audition de l'amiral Christophe Prazuk au Sénat)

La Marine nationale peut-elle être prochainement à court de munitions (missiles, torpilles et munitions simples) ? Cela relève bien sûr de la fiction mais elle peut être mise en difficulté comme l'a révélé début octobre lors de son audition à l'Assemblée nationale le chef d'état-major de la Marine (CEMM), l'amiral Christophe Prazuck : "Aujourd'hui le niveau des stocks est trop bas", a-t-il averti. Pour quelles raisons la Marine en est-elle arrivée à cette situation aussi critique ? "Pendant dix ans, chaque fois qu'il a fallu rogner quelque part, on l'a fait sur les munitions", a reconnu l'amiral Prazuck.

Lors des deux précédentes lois de programmation militaire (LPM), les trois armées, dont la Marine, ont dû faire face à des baisses répétées de commandes de munitions ainsi que à des reports de livraisons motivés par un souci d'économies. Concernant le missile Exocet, le ministère des Armées a commandé en 2018 une vingtaine de missiles Exocet MM40. En outre, conformément au calendrier de la loi de programmation militaire (LPM), le ministère devait commander cette année une vingtaine supplémentaire d'Exocet, ainsi que cent Aster 30 pour les futures frégates de défense et d'intervention et qu'une version remotorisée des Exocet. "Tout cela sera-t-il suffisant ? Pas tout à fait, avait expliqué début juillet à l'Assemblée nationale le chef d'état-major de la Marine. La LPM consent un effort absolument nécessaire, mais les sous-investissements passés auront pour conséquence de nous placer dans une situation délicate dans les années 2020, 2021 et 2022".

Un plan de remise à niveau

À la Marine de savoir gérer cette situation et reconquérir des ressources pour la suite. Résultat, elle a planché sur un plan de remise à niveau en deux temps. "Nous avons fixé un premier palier en 2022, pour les munitions simples : munitions d'artillerie, bouées, torpilles et autres", a précisé début octobre le CEMM . Puis vers 2025, en fin de LPM, la Marine devrait "atteindre le second palier, qui concerne la remise à niveau des munitions complexes et des missiles". La Marine compte sur la LPM pour lui permettre de revenir à "un stock minimum de référence". "Cela coûte cher et nécessite la mise en place d'un processus industriel", a rappelé le patron de la Marine.

"Les missiles Exocet comme les missiles de croisière navals (MdCN) redeviennent nécessaires dans le cadre des activités de préparation opérationnelle, alors que les opérations de combat en mer se durcissent. Les stocks de ces missiles sont clairement insuffisants aujourd'hui et le rythme de croissance de production de ces armes est encore trop faible. Il faut trois à cinq ans pour atteindre un volume significatif", avait déjà averti en décembre 2018 le député LREM des Hauts-de-Seine, Jacques Marilossian.

Enfin, la Marine "engage, de manière encore plus significative que l'an dernier, la révision à mi-vie de nos missiles Aster et de nos missiles Exocet, à quoi s'ajoutent des commandes pour armer nos futurs bateaux, en particulier les frégates de défense et d'intervention (FDI)", a détaillé l'amiral Prazuck. En 2020, la Marine va recevoir le quatrième lot de missiles de croisière naval (MdCN) pour les frégates multimissions FREMM et le deuxième lot de MdCN destinés à armer les sous-marins Barracuda. Soit au total 150 MdCN (100 pour les FREMM et 50 pour les Barracuda) commandés avant 2019 et tous livrés sur la période allant jusqu'en 2025. Seront également livrés l'année prochaine 19 torpilles lourdes Artemis ainsi que sept missiles Aster 30 pour les FREMM.

Un tir d'une munition complexe tous les deux ans

En parallèle à ce plan de remise à niveau des stocks de munitions, le chef d'état-major de la Marine souhaite que ses unités augmentent leur entrainement au tir. "Pour savoir si une arme fonctionne, il faut l'utiliser. Mon objectif est donc de pouvoir, à partir de 2022, faire tirer une munition complexe par bateau de premier rang tous les deux ans, ce qui n'est pas démesuré et permet de s'assurer que toute la chaîne de tir fonctionne", a-t-il expliqué aux députés. Augmenter l'entrainement des marins pour des tirs complexes est l'une des leçons de l'opération Hamilton en avril 2018 (tirs de missiles contre des installations chimiques syriennes) qui a connu quelques ratés. Les frégates FREMM Aquitaine et Auvergne n'ont pas pu lancer leurs missiles.

"Je ne dispose pas actuellement de stocks suffisants pour atteindre rapidement l'objectif d'un tir de munition complexe par bâtiment de premier rang tous les deux ans, que j'ai fixé dans le plan Mercator. Nous sommes en train de relever nos stocks, mais cette ambition ne pourra pas aboutir avant 2022-2023", a expliqué l'amiral Prazuk lors de son audition au Sénat le 23 octobre.

Car si la Marine peut "s'appuyer sur un savoir-faire et une compétence tout à fait singuliers", comme le CEMM l'a souligné, elle doit en permanence s'adapter aux évolution technologiques. "Je suis pour ma part tout à fait confiant dans notre capacité à suivre l'évolution technologique et à tenir le rythme, notamment grâce à toute la partie innovation et recherche-développement du ministère des Armées", a-t-il tenu à assurer aux députés. Mais cette fuite en avant technologique a-t-elle un impact sur la formation et sur l'entraînement des marins ? "Oui, c'est la raison pour laquelle je veux tirer davantage de munitions complexes (missiles et torpilles), c'est-à-dire une tous les deux ans par frégate de premier rang", a-t-il insisté. Et éviter à nouveau les ratés lors d'une opération.

Deux autres points de vigilance

Outre le stock de munitions, le chef d'état-major de la Marine a deux autres points de vigilance. Le premier sur le recrutement. D'autant que la Marine a terminé l'année 2018 "très en dessous des effectifs autorisés, a expliqué l'amiral Christophe Prazuck. J'ai donc sonné le tocsin, et le rappel au poste de combat en matière de recrutement". Pour gagner son pari, la Marine a multiplié les initiatives au plan local mais également a mis en place 160 bourses pour accompagner des étudiants dans leurs études supérieures du BTS jusqu'au master de cyberdéfense. En matière de recrutement, elle a également développé de nouvelles procédures digitales. Sur son site www.etremarin.fr, la Marine a renforcé le suivi et la relance des contacts, via la diffusion d'informations et de propositions d'offres d'emploi. "Cela a l'air de fonctionner assez bien ; nous poursuivons nos efforts d'innovation pour ne pas connaître à nouveau la situation de 2018", a estimé l'amiral Prazuck.

"La fidélisation, je l'appelle désormais l'attractivité, que ce soit lors du recrutement, pendant la carrière ou lors de la reconversion. Vous avez évoqué l'aspect financier ; la rémunération doit, c'est vrai, être prise en compte. Vous nous avez à cet égard permis de mettre en place la prime de lien au service. Mais ce n'est pas la seule chose : la qualité du commandement compte également beaucoup. Dans les petites unités, on constate très rapidement que si la qualité du commandement est insuffisante, des gens raccrochent la casquette et s'en vont. Le sens de la mission a également son importance. Ce sont là des aspects plus qualitatifs qui relèvent de l'humain, du leadership. (...) Ce n'est donc pas qu'une question d'argent".

Dernier point de vigilance de l'amiral Prazuck, "la prolongation de ces vieilles bailles, comme on dit dans la marine, les bateaux les plus anciens, de trente-cinq à quarante ans d'âge". En attendant les nouveaux programmes comme les frégates de défense et d'intervention (FDI), la Marine va devoir prolonger et entretenir "des bateaux que l'on n'imaginait pas devoir pousser aussi loin, nos SNA, nos chasseurs de mines et nos patrouilleurs hauturiers, a-t-il fait observer. Les marins de ces bateaux vont donc devoir se retrousser les manches en attendant que les nouveaux bâtiments arrivent, ce qui reste pour moi un sujet de préoccupation".

Michel Cabirol

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Commentaires 19
à écrit le 12/11/2019 à 19:43
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A chaque conflit depuis 1991, Fr, partie prenante, fournie gracieusement en munitions par les U.S.A, sinon ronds dans l'eau et ronds dans l'air. Avec Trump depuis 2017 jusqu'en 2025, fini-plus rien.

à écrit le 11/11/2019 à 19:01
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Il y a la procréation médicale assistée pour les ....... ainsi que l'amniocentèse gratuites, à financer, bien que ce soit un luxe ce genre de traitement médicale.

à écrit le 11/11/2019 à 13:03
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Une seule question ! à qui les achète-t-on ces munitions ? voir fusils armée de terre Autrement, c'est du vent qu'une armée qui dépend de l'étranger .

à écrit le 11/11/2019 à 2:59
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Combien d'officiers "superieurs "a la retraite dans cette republique devenue bananiere ?

à écrit le 10/11/2019 à 20:19
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Fidéliser le personnel ? En attribuant des titularisations à du personnel qui passe sa carrière à terre ? Plutôt qu'à ceux qui passent leur carrière sur les unités navigantes ?.... Quelle triste blague Amiral...

à écrit le 10/11/2019 à 19:48
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Ce n 'est pas son affaire... (cf le president) Les budgets sont pour les 500 000 étudiants étrangers par an voulu par le gvt... Ensuite pour le regroupement des familles... La marine n' a qu' a s' entrainer sur une console video

à écrit le 10/11/2019 à 19:18
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Deux questions : somme nous en guerre ? Ou l'état Islamisque á une Marine dè haut mer ? Çar á par combatre les terroristes, nous n'avons pas conduits de bataille maritime depuis un certain temps .... Donc cette question dè munition me semble bien ma...

à écrit le 10/11/2019 à 17:22
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Faut-il ouvrir une souscription citoyenne?

à écrit le 10/11/2019 à 15:02
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Des imbéciles et des incapables ne laisseraient même pas faire ça, cet article laisse à penser que vraiment ... nous sommes trahis de A jusqu'à Z ! Qui pourrait fournir une autre explication ?

à écrit le 10/11/2019 à 14:40
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Il manque de l'argent partout, Armées, Police, Gendarmerie, Hôpitaux, Ecoles, Justice, Construction, Aménagement du territoire, et pourtant jamais la pression fiscale n' été aussi forte, c'est ahurissant, qu'est-ce que ces fonctionnaires peuvent bie...

le 10/11/2019 à 17:42
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Quel argent? Justement, les fonctionnaires n'en voient pas la couleur de cet argent. Les indices qui servent à calculer les traitements des fonctionnaires sont restés bloqués pendant des années alors que l'inflation continuait à croitre, de nombreu...

à écrit le 10/11/2019 à 13:43
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Faute d'une gestion responsable, la France est devenue un pays pauvre et de pauvres; notre politique militaire est à cette image.

à écrit le 10/11/2019 à 13:33
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Les hôpitaux n'ont pas assez de personnel, la gendarmerie n'a pas assez d'essence, les pompiers n'ont pas assez de moyens, l'armée n'a pas assez de munitions et-c et-c... LE déclin c'est long surtout vers la fin.

à écrit le 10/11/2019 à 12:46
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Announces de tous les cotés... Macron qui veut forcer à avoir une armée européenne et faire financer ses envies de conquête par l'europe Le lobby militaro industriel qui veut vendre toujours plus. On ne va pas à la fois dépenser pour le budg...

à écrit le 10/11/2019 à 11:24
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C'est pas bon pour lui, on a viré des De Villiers pour moins que ça ! La politique c'est faire des choix. Macron a préféré sa suppression de l'ISF et l'imposition normale des dividendes aux missiles et aux bateau de guerre. Il a poussé pour l'EPR ...

à écrit le 10/11/2019 à 11:15
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Avec cette nouvelle et énième information du déclin militaro industriel économique, la France de Macron LaREM Philippe, la France est en plein délitement, effondrement, mais il y a 50 000 000 € pour des vrais fausses heures supplémentaires des crs...

à écrit le 10/11/2019 à 9:52
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Soit c'est du lobbying, soit il y a un problème???!!! le nombre de fois que ces situations se passent disent elles mêmes ce qui est sous tendu dans un budget. Je pense que d'ici peu, comme avec les soldats Malien dont le port était bloqué pour...

à écrit le 10/11/2019 à 9:25
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Et qu'est-ce que ça sera quand le pétrole sera à 150 $ le baril, je n'ose pas l'imaginer.

à écrit le 10/11/2019 à 9:19
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Je suis étonné qu'un Amiral ne soit pas tenu à de la réserve sur ce genre de sujet.

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