Transport ferroviaire : pourquoi Thales quitte un marché si prometteur

Trois raisons ont poussé Thales à vendre son activité transport : la consolidation du secteur ferroviaire, des appels d'offres clés en main et des marges inférieures à la moyenne des autres activités du groupe électronique.
Michel Cabirol
L'activité transport représente 10% du chiffre d'affaires total de Thales
L'activité transport représente 10% du chiffre d'affaires total de Thales (Crédits : Thales Ground Transportation Systems)

Fin du voyage pour Thales dans les trains et les métros. La cession à Hitachi Rail pour 1,66 milliard d'euros de son activité transport (Ground Transportation Systems), qui sera finalisée vraisemblablement début 2023 (closing), est une décision stratégique importante prise par son PDG Patrice Caine et ses deux actionnaires principaux (État et Dassault). Ce secteur était pourtant au début de plusieurs révolutions cruciales (trains et métros autonomes, digitalisation, intelligence artificielle, big data, cybersécurité...). Soit autant de technologies qui font intrinsèquement partie de l'ADN de Thales, dont le cœur de métier est essentiellement le développement et la fourniture de logiciels critiques dédiés à l'aéronautique, la défense, le spatial, les systèmes de sécurité et jusqu'ici le transport. D'ailleurs, Thales, qui a obtenu ces dernières années des succès de prestige dans cette activité (métro de New York, train autonome de la SNCF...), est le leader mondial dans la signalisation des métros sans conducteur.

Thales, un leader mondial dans le ferroviaire

Un ensemble de débouchés cohérents qui avait également l'avantage d'ouvrir à Thales un marché complémentaire, qui s'annonçait très prometteur dans les années à venir sur le plan technologique et en termes de croissance. Ainsi, 60 % de la population mondiale sera urbaine en 2030, selon l'ONU. Les villes devront construire des réseaux de transport urbain (métros, tramways...) de préférence en favorisant les mobilités vertes. En outre, le groupe électronique pouvait aider les opérateurs de transports à se transformer sur le plan digital tout en sécurisant leurs systèmes critiques face à la menace cyber. L'activité GTS pouvait par ailleurs contribuer à amortir les bas de cycle des autres activités. Enfin, le groupe est l'un des leaders mondiaux dans le domaine de la signalisation et la supervision ferroviaires.

En dépit de tous ces atouts, cette activité, passée au grill de l'habituelle revue stratégique de début d'année, n'a pas coché toutes les cases pour rester dans le périmètre du groupe électronique. Héritée d'Alcatel en 2006, cette activité, qui a connu beaucoup de déboires dans la gestion (construction des offres, négociation des contrats et exécution des engagements) d'une demi-douzaine de grands contrats, a été pourtant redressée. Thales visait à court-terme l'objectif d'atteindre 8 à 8,5% de marge d'EBIT dans sa branche transport, qui représente environ 10% de son chiffre d'affaires total.

Pourquoi Thales vend et pourquoi maintenant

La vente de GTS est une décision de la direction de Thales, prise sans aucune pression, contrairement à 2016 où l'État poussait fortement le groupe à vendre cette activité à Alstom alors en grande difficulté. A l'époque, Patrice Caine avait finalement réussi à convaincre le conseil d'administration du groupe de garder cette activité pourtant en perte et de la redresser (- 2,4 % de marge en 2015). Ce qui a été fait. Mais six ans ont passé et le paysage du secteur des transports a nettement évolué, selon l'analyse faite par Thales. Le secteur s'est notamment consolidé autour de deux grands acteurs de plus en plus intégrés : Alstom (14 milliards d'euros de chiffre d'affaires) et Siemens (8,7 milliards). Hitachi, le troisième acteur de ce secteur (hors Chine), vient de réaliser un joli coup en s'offrant GTS (4,2 milliards + 1,6 milliard).

Plusieurs raisons ont poussé la direction de Thales à finalement descendre du train. "C'est le bon moment", a-t-elle estimé. Elle est notamment convaincue que le potentiel de GTS au sein du groupe n'irait probablement pas sans nouveaux investissements au-delà des 8,5% d'EBIT en dépit des nouvelles potentialités de ce marché. Les marges de GTS resteront inférieures à la moyenne du groupe. Ce qui fait finalement tache par rapport à la défense et à la sécurité qui aujourd'hui cartonnent (respectivement 12% et 11,1% d'EBIT au premier semestre 2021) et vont durablement cartonner, selon les prévisions de Thales. La direction vise d'ailleurs à moyen terme un EBIT du groupe à 12%. Ses ressources étant limitées, notamment en temps de crise, Thales a donc arbitré en faveur d'investissements dans les autres secteurs où il est présent (aéronautique, défense, sécurité) que dans les transports. "Notre mouvement est offensif, pas défensif. On repart sur d'autres investissements", estime-t-on au sein du groupe.

« Avec ce mouvement stratégique important, nous allons pouvoir nous concentrer sur le développement de trois grandes activités de hautes technologies en croissance à long-terme et capables de générer des marges à deux chiffres dans la durée - l'Aérospatial, la Défense & Sécurité, et l'Identité et la Sécurité numériques - et ainsi continuer de renforcer leurs positions de leaders mondiaux », a d'ailleurs confirmé dans le communiqué de Thales, Patrice Caine.

La direction de Thales s'est également convaincue que Thales, en tant que "pure player" dans le domaine de la signalisation et de la supervision ferroviaires notamment, avait de moins en moins de chances de gagner en solo des contrats dans ce secteur. Selon le groupe, les opérateurs de transport préfèrent de plus en plus des fournisseurs, qui offrent des solutions globales clés en main (matériels roulants, signalisations....). Ainsi, environ 70% des projets ferroviaires passent aujourd'hui par ce type d'appels d'offres, contre 40 % environ il y a quelques années. Enfin, Hitachi a payé un bon prix à Thales pour arracher cette activité redressée à la concurrence, notamment le suisse Stadler Rail et l'espagnol CAF, avec une valeur d'entreprise d'environ 1,66 milliard d'euros. Le produit de cession devrait s'élever pour le groupe d'électronique autour de 1,6 milliard d'euros sauf aléas dans la conduite des contrats.

Michel Cabirol

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Commentaires 4
à écrit le 07/08/2021 à 10:49
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Une activité de plus sur laquelle la France tirait plutôt bien son épingle du jeu … bientôt grâce à nos industriels on aura du matériel chinois … on roulera chinois on mangera chinois hehe ( c est déjà le cas pour les conserves de tomates et couli...

à écrit le 06/08/2021 à 16:10
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Il faut vendre des activités pour continuer de faire croire aux marchés que tout va bien.

à écrit le 06/08/2021 à 10:40
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Où est la logique industrielle de l état et de thales… l application des normes ifrs anglo - saxonnes en sont elles responsables ? ( valorisation des actifs pour faire monter les cours boursiers et être en positon de vente des actifs…)

à écrit le 06/08/2021 à 9:12
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A cause du great reset il faut que les gros se recentrent sur eux-mêmes, sur leurs activités de base, comme s'ils ne faisaient pas que ça depuis TINA ! Alors déjà que notre économie prise en otage par seulement quelques uns n'était pas sexy, elle va ...

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