Bois dans la construction : « il faut flécher la ressource vers la demande locale » (Paul Jarquin, Fibois France)

Face à la crise d'approvisionnement en matières premières, le représentant des 2.400 entreprises de la filière forêt-bois appelle à davantage de « contractualisation à chaque échelle » pour éviter la « prédation » des acheteurs étrangers.
César Armand
Paul Jarquin est président de fédération interprofessionnelle Fibois France depuis le 26 mai 2021.
Paul Jarquin est président de fédération interprofessionnelle Fibois France depuis le 26 mai 2021. (Crédits : DR)

Le bois est définitivement un sujet présidentiel. Dès avril 2018, en visite à la scierie de Saulxures-sur-Moselotte (Vosges), Emmanuel Macron appelait à reboiser massivement et à investir davantage dans les forêts françaises afin de créer « beaucoup d'emplois » notamment dans la construction. Bis repetita, dans son allocution du 12 juillet 2021, le chef de l'Etat a cité, entre autres matières premières, le manque de bois, « ce qui a retardé de nombreux chantiers et fait monter les coûts ».

En trois ans, la part du bois de la construction est en effet passée de 3 à 10% en France, contre 17% à l'échelle de l'Union européenne, 30% en Scandinavie, 70% au Japon et même 90% des maisons individuelles neuves aux Etats-Unis, selon les données de la fédération interprofessionnelle Fibois France (2.400 entreprises adhérentes).

« Beaucoup de spéculation » pour le bois

La Covid-19 a en outre ralenti la production de bois de la même façon que la reprise économique a mécaniquement augmenté la demande pour ce type de matériaux. Il sera d'autant plus prisé qu'il se trouve au cœur de la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs dite « RE2020 », applicable au 1er janvier 2022.

La crise d'approvisionnement « nous oblige et nous responsabilise sur un travail de structuration de la filière de la forêt à la ville. Nous ne devons plus être dans le constat que la Chine nous rachète les matières premières », déclare Paul Jarquin, élu président de Fibois France le 26 mai dernier. Promoteur immobilier, il confirme la présence de « beaucoup de spéculation » pour cette matière.

Si l'Office national des forêts signe des contrats-cadres pour 16 à 17% de ses ventes, le reste part lors de ventes aux enchères. « C'est dans ce cadre qu'il y a une prédation », assure Paul Jarquin. Ce dernier recommande donc davantage de « contractualisation à chaque échelle ». Cela permet d'ailleurs d'augmenter les capacités des industriels en leur offrant de la visibilité sur leur carnet de commande.

Accroître la visibilité et flécher la ressource

Ex-président de Fibois Île-de-France, il a signé un « pacte biosourcé » avec des acteurs privés et publics qui ont promis d'ériger un million de mètres carrés en bois d'ici à 2025. « Ce sera significatif pour réduire l'empreinte carbone », estime-t-il. Aujourd'hui, « si nous voulons accélérer, nous devons le reproduire avec des maîtres d'ouvrages qui prennent des engagements dans toutes les métropoles », souligne le président de Fibois France.

Les professionnels de l'immobilier labellisés BBCA (bâtiment bas carbone, Ndlr) se sont d'ailleurs déjà engagés à faire 20% de bois. Promoteurs, établissements publics d'aménagement, bailleurs... Ils peuvent tous contractualiser pour des parois, des planchers ou des poutres. « Le maître d'ouvrage peut ainsi confirmer à l'élu local qu'il a les ressources standardisées pour telle épaisseur et telle hauteur », ajoute le président de Fibois France.

« Par exemple, avec la scierie Lefebvre, nous avons calibré un poteau. REI Habitat peut ainsi capter 50% de sa production, et elle règle son problème d'usine. Elle sait où elle va, ce qui lui permet d'investir et de décupler », explicite Paul Jarquin.

« Une dynamique est lancée. Nous allons accroître la visibilité des scieurs et des constructeurs, et surtout flécher la ressource vers la demande locale », poursuit-il.

« La filière doit être un métier plus valorisé et plus attractif »

Au lendemain des élections, les conseils régionaux peuvent d'ailleurs jouer ce rôle à deux échelles. Ils financent déjà « à hauteur d'un tiers » les interprofessions de la même manière qu'ils peuvent augmenter la palette de formations dans le secteur. « Il faut encore former des conducteurs de travaux et créer des directions techniques pour davantage d'innovation, de construction hors-site et de préfabrications. La formation est hyper-importante pour accélérer », insiste le président de Fibois France.

Sans doute cela permettra-t-il de revaloriser des métiers encore considérés comme pénibles. « Ce sont des métiers présents et d'avenir où il faut innover et où il y a de plus en plus de technologies », estime Paul Jarquin. Après l'incendie d'une usine, une entreprise a investi dans la robotique pour mettre fin au travail à la chaîne, témoigne-t-il. « La filière bois doit être un métier plus valorisé et plus attractif », martèle-t-il encore.

Couper, c'est protéger

Si tous les bois ne sont pas adaptés pour construire, les hêtres représentent 10% de la forêt française et constituent la première ressource avec le chêne. Dans la famille des feuillus, les peupliers occupent également une place de choix, tandis que côté résineux, le douglas, le pin et l'épicéa font l'affaire.

A l'inverse, le béton-bois, vanté par certains fabricants, laisse sceptique le président de Fibois France. Plaidant pour l'utilisation du bon matériau au bon endroit, il lâche : « Tant qu'il y aura du sable, cela restera un problème. Il faut des quantités astronomiques d'eau pour faire du béton. A terme, il va falloir être plus ambitieux sur la gestion des ressources ».

S'agissant de la gestion des forêts, deux tiers des forêts sont privées, mais couper, c'est protéger, affirme Paul Jarquin. « Une forêt où l'on n'agit pas risque de ne plus être là dans cinquante ans à cause du gibier, des sols et du dérèglement climatique », conclut-il. L'aménageur, développeur et gestionnaire de centres commerciaux de plein air Frey vient par exemple de créer un groupement forestier afin d'acheter des hectares dans l'Hexagone et les intégrer à la construction-rénovation de ses retail parks.

Retrouvez ci-dessous la série de l'été 2020 sur le sujet:

1/4 Le bois dans la construction : la foncière Frey va investir 35 millions sur dix ans
2/4 Le promoteur WO2 mise sur le bois pour réinventer le bureau à l'ère post-Covid
3/4 Le bois dans la construction : "Les idées reçues sont en train de passer"
4/4 La relance verte passera par la forêt et le bois

César Armand

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Commentaires 2
à écrit le 03/08/2021 à 18:33
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quand on parle de flechage, on ne sait pas si ca veut dire que la collectivite va etre oblige de payer plein pot, ou si ca veut dire autre chose; moi j'ai mon avis sur les ' flechages reenchantes' de l'etat; par exemple pour les masques ou les vaccin...

à écrit le 03/08/2021 à 15:02
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"90% des maisons individuelles neuves aux Etats-Unis" Voilà quand même une information incroyable qui mérite une explication, il est rare que les américains fassent des trucs par hasard... Spéculation immobilière trop intense imposant les gens de...

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