Climat dans la Constitution : le Sénat vote un texte remanié, la perspective d'un référendum s'éloigne

Sans surprise, le Sénat a revu la copie de l’exécutif et adopté, lundi 10 mai, un texte largement réécrit sur l’introduction du climat à l’article 1er de la Constitution. En pratique, la navette parlementaire peut se poursuivre, mais l’opposition entre les deux chambres bloque, à ce stade, la tenue d’un référendum sur le sujet.
Marine Godelier
Le projet de loi constitutionnel avec sa formulation différente de celle votée par l'Assemblée nationale a été adopté en première lecture par 212 voix pour et 124 contre.

Les discussions ont viré à la bataille sémantique, lundi soir, lors de l'examen du projet de loi de révision constitutionnelle visant à inscrire le climat dans l'article 1er de la Constitution - que l'exécutif veut par la suite soumettre aux Français par référendum. Avec, toujours au cœur du débat, l'inscription ou non du verbe « garantir » dans le texte. Voulu par Emmanuel Macron, conformément aux demandes de la Convention citoyenne, le terme a été rejeté par la haute chambre, dominée par l'opposition de droite.

Celle-ci a adopté en première lecture une copie remaniée, différente de celle votée en mars par l'Assemblée nationale, préférant que la France « préserve (plutôt que garantisse la préservation de, ndlr) l'environnement ainsi que la diversité biologique, et agi[sse] contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement », inscrite au bloc de constitutionnalité depuis 2005.

Effets juridiques imprévus

Craignant l'émergence « d'une République des juges », plusieurs élus ont ainsi rappelé un avis rendu par le Conseil d'Etat, soulignant que le mot « garantit » pourrait ouvrir la porte à une multiplication des recours pour l'Etat. En effet, la plus haute juridiction administrative avait estimé en janvier que le terme risquait de créer des « effets potentiellement puissants et largement indéterminés » conduisant à l'imposition d'une « quasi-obligation de résultat ».

« Il apparait indispensable d'opérer cette modification dans la mesure où, ni lors des débats à l'Assemblée nationale, ni lors des auditions menées par les commissions des lois et du développement durable du Sénat, le gouvernement n'a été en mesure de démontrer précisément quelle serait la portée juridique du recours au terme garantit », précise ainsi un amendement déposé, entre autres, par chef de file Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, et adopté par le Sénat.

Le garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, a lui « assumé » le choix du verbe « garantir », qui marque la « force de l'engagement » du gouvernement en faveur de l'environnement. « Que ce qui est aujourd'hui un objectif, doit devenir demain une obligation. Que ce qui est une ambition, devienne une garantie », a-t-il insisté. « Au fur et à mesure que je vous écoutais, l'obscurité gagnait mon esprit » a raillé l'ancien président de la Commission des lois, Philippe Bas (LR).

Lire aussi : Inscrire le climat dans la Constitution : le référendum voulu par Macron à l'épreuve du Sénat

L'opposition craint également que le terme instaure une « hiérarchie » dans les principes constitutionnels. La protection de l'environnement « serait désormais une obligation prioritaire devant être honorée avant tout autre », selon le président LR de la commission des Lois François-Noël Buffet. « Le terme « garantit », c'est l'introduction du virus de la décroissance dans notre Constitution », a renchéri Bruno Retailleau.

Manœuvres politiques

Et le chef de fil des sénateurs LR n'a pas manqué de faire référence à la polémique survenue ce week-end, à la suite d'un article du Journal du Dimanche qui laissait entendre que, faute d'accord avec le Sénat, le référendum serait abandonné. Dès dimanche, en effet, l'hebdomadaire affirmait que le texte était enterré, avant que l'Elysée ne démente et que Macron lui-même n'insiste sur sa volonté que le texte « vive sa vie parlementaire, qui seule permet d'aller au référendum si les sénateurs et députés s'accordent ». « Une injonction de voter conforme » a déploré Bruno Retailleau lundi soir, qui marque une volonté de l'exécutif d'acter l'abandon du projet de révision constitutionnelle et de faire porter à la chambre haute la responsabilité de l'échec, selon plusieurs sénateurs.

« Nous sommes tous à faits ouverts pour un référendum [...] et si le président de la République le souhaite, il lui appartient d'entrer dans un dialogue, sinon ce serait une manœuvre. [...] Il faudrait qu'on vote conforme par rapport à une assemblée de citoyens tirés au sort, la démocratie du hasard, la démocratie de la courte paille », a ainsi ironisé Bruno Retailleau, en rappelant « qu'on ne pouvait pas reprocher aux commissions du Sénat de faire un travail de fond ».

Lire aussi : Référendum sur le climat : l'Elysée nie l'enterrement, Macron critiqué

De fait, la promesse d'un référendum par le chef de l'Etat place aussi la droite sénatoriale devant un dilemme délicat, à un an de la présidentielle de 2022 : offrir un succès à Emmanuel Macron ou bien s'opposer à une consultation des Français sur une thématique qui a le vent en poupe.

« Le climat et l'environnement sont des sujets trop sérieux pour faire l'objet de manœuvres », a à cet égard affirmé au Figaro le président du Sénat Gérard Larcher. « Le Sénat n'a pas à sortir le président du mauvais pas dans lequel il s'est mis avec le « sans filtre » de la Convention citoyenne pour le climat ».

Pour l'heure, le vote de la chambre haute et l'abandon du verbe « garantir » par les sénateurs fait s'éloigner la perspective d'un référendum - dont l'organisation nécessite au préalable l'accord des deux chambres sur un même texte. Un « gâchis », pour le chef de file des sénateurs PS Patrick Kanner, qui a renvoyé « dos à dos » l'exécutif, pour avoir « instrumentalisé » le Parlement, et la droite sénatoriale « engouffrée dans le piège avec une forme de délectation ». « Pas dupe » des intentions du chef de l'Etat, l'écologiste Guy Benarroche a lui regretté que la droite se cabre sur « une position politique », « faisant fi de l'urgence ».

Le Sénat aura encore à examiner, dans la seconde quinzaine de juin, le projet de loi Climat et résilience et sa batterie de mesures sur le logement, l'aérien ou la publicité, qui vient d'être adopté par l'Assemblée et doit traduire d'autres préconisations de la Convention citoyenne.

Marine Godelier

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Commentaires 4
à écrit le 12/05/2021 à 10:35
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Après la dictature sanitaire, on passe à la dictature climatique. Tous les arguments fallacieux sont bon pour soumettre la nation, comme si les français étaient les pires pollueurs de la planète. Des lois suffisent pourtant à faire ce qui est nécessa...

le 12/05/2021 à 13:14
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Faut t'il attendre de devenir le pire pollueur de la planète pour arréter de polluer? Il y a eu plus de 20 lois antiterroristes votées depuis les années 90, est ce que vous avez l'impression que l'on ait avancé? Le meurtre est interdit depuis....

à écrit le 12/05/2021 à 10:25
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Pour ce petit monde politique, tout ce qui l'intéresse, c'est la médiatisation d'excuses...avant d'affronter le peuple souverain par le suffrage!

à écrit le 11/05/2021 à 13:46
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" préserve (plutôt que garantisse la préservation de, ndlr) l'environnement ainsi que la diversité biologique, et agi[sse] contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement" Sachant que déjà cette char...

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