Climat : quand la société civile sonne l’alarme

Activistes, étudiants en rupture de ban, nouveaux médias, vulgarisateurs scientifiques : ils alertent sur l’urgence à lutter contre le dérèglement climatique. Avec des méthodes différentes mais un objectif commun : réveiller les consciences et influencer les décideurs. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

Dans la nuit du 10 au 11 août dernier, des militants du collectif Kirikou ont rempli de ciment les trous des golfs de Vieille-Toulouse et de Blagnac. Les golfeurs ont trouvé le lendemain des pancartes qui disaient : « Ce trou boit 277 000 litres d'eau par jour. En buvez-vous autant ? » ou encore : « 600 golfs en France aujourd'hui boivent autant que 2 800 000 habitant.e.s ». Une action spectaculaire et non violente qui fait suite au dégonflage des pneus de SUV ou au blocage du périphérique par d'autres activistes adeptes des préceptes du mouvement Extinction Rebellion, qui revendique l'usage de la désobéissance civile non violente afin d'inciter les gouvernements à agir contre le dérèglement climatique et la perte de biodiversité. « Les dégonfleurs de SUV », le collectif « Bassines non merci ! », le réseau « Les Soulèvements de la Terre » ou encore « Dernière Rénovation » sont révoltés par ce qu'ils considèrent comme une inaction coupable face aux messages répétés des scientifiques du GIEC. Ils ne se contentent plus de marches pour le climat, malgré les risques de tension avec les agriculteurs, les propriétaires de grosses voitures et les forces de l'ordre quand ils s'affranchissent de la légalité. D'autres, tout aussi révoltés, ont néanmoins choisi d'autres voies. C'est le cas du collectif Pour un réveil écologique qui rassemble des étudiants d'écoles d'ingénieurs et de commerce refusant de travailler pour des entreprises engagées dans des activités nuisibles pour la planète. C'est ce collectif qui, en mai dernier, a placardé dans le métro parisien (avec l'accord de Médiatransports, la régie de la RATP) des affiches munies d'un QR code scanné par 40 000 personnes incitant à aller lire un résumé des 10 points clés du dernier rapport du GIEC. « À la sortie de notre manifeste en 2018, qui a recueilli plus de 33 000 signataires, tous les grands groupes du CAC 40 sont venus nous voir. Nous avons décidé de nous structurer en créant un pôle employeur et un pôle enseignement » explique Rémi Vanel, jeune ingénieur dans le secteur de l'énergie qui vient de reprendre des études en alternance et qui est membre du collectif depuis un an.

Les étudiants se mobilisent

Le pôle employeur a envoyé des questionnaires aux entreprises et réalisé des analyses sectorielles sur le thème de la transition écologique (luxe, distribution, finance, automobile à venir). En décembre 2021, un calendrier de l'Avent du greenwashing a été poussé sur les réseaux sociaux dont Linkedin (le collectif y compte 120 000 abonnés) où les entreprises étaient épinglées. « Nous allons sortir un comparatif secteur par secteur pour discerner les bonnes pratiques et les entreprises vraiment engagées. Ça nous permet de distinguer celles où il est possible de faire évoluer les choses de l'intérieur, avec une gouvernance plus horizontale » analyse Rémi Vanel. Côté enseignement, le rapport L'écologie en rattrapage est sorti en 2020 à partir de questionnaires envoyés aux établissements (écoles d'ingénieurs, de commerce et universités). « Cette cartographie a un peu évolué depuis, mais la plupart des écoles sont toujours en retard sur la question des contenus pédagogiques, tant du point de vue de la compréhension des enjeux que des compétences sur la transition écologique » regrette le jeune ingénieur. « Quand les étudiants d'AgroParisTech ont appelé à bifurquer et abandonner leurs jobs destructeurs le 30 avril dernier, cela a remis un coup de pression sur les différents acteurs publics et privés. Depuis, notre discours est plus entendu » apprécie le trentenaire. Pour lui, cette révolte de certains étudiants n'est pas une lubie. « Tout l'enjeu, comme le proposent The Shift Project ou l'Ademe, va être de planifier l'évolution des métiers, par exemple des plateformes pétrolières offshore vers de l'éolien offshore. Certaines entreprises le font, d'autres continuent d'alimenter la machine » conclut Rémi Vanel, qui a entamé avec ses camarades un Tour de France de l'enseignement supérieur pour tenter de « réveiller » les présidents d'universités et d'écoles à l'aide de week-ends de sensibilisation.

Pédagogie et « débunkage »

Toujours dans cette thématique du réveil écologique, Rodolphe Meyer est un ingénieur de trente-deux ans, également docteur en sciences de l'environnement, qui fait œuvre de pédagogie scientifique sur YouTube sous le nom de Le Réveilleur. Il poste sur sa chaîne, créée en 2015 et qui compte 180 000 abonnés, des vidéos assez longues où il décrypte les enjeux climatiques. « Sur des sujets comme le nucléaire ou l'agriculture, les médias mainstream sont proches de la désinformation » estime celui qui consacre 80 % de son temps à sa chaîne, qui représente l'essentiel de ses revenus à travers le financement participatif. Un gage d'indépendance et l'opportunité de consacrer jusqu'à 250 heures de travail pour une vidéo d'une heure. La chaîne YouTube du journal Le Monde l'a contacté pour réaliser deux vidéos, une sur les conséquences du changement climatique (1 million de vues) et une autre sur les émissions de gaz à effet de serre (500 000 vues). Une activité qui n'est pas sans risque. Il a été harcelé par les climatosceptiques, mais aussi par certains écologistes à cause d'une vidéo sur le nucléaire. Le magazine Reporterre et l'association Sortir du Nucléaire l'ont accusé d'avoir été payé par l'Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) : « D'abord, c'est un établissement public, ce n'est pas Orano (ex Areva). Mais surtout, c'est faux ! C'est de la diffamation. La tolérance dans les médias pour les arguments fallacieux des antinucléaires est immense » se plaint Rodolphe Meyer. Débunker des propos qu'il considère antiscientifiques est un travail ingrat qui peut parfois décourager : « Quand l'hydrologue Emma Haziza affirme sur ThinkerView (émission d'entretiens sur YouTube) que le problème, ce n'est pas le CO2 mais la vapeur d'eau, et que cette vidéo fait 800 000 vues, j'ai du mal à encaisser, c'est vrai ». Le Réveilleur pense qu'il peut néanmoins avoir un impact sur ses followers, dont certains lui écrivent pour lui dire qu'ils vont acheter une voiture électrique, voire sur d'autres influenceurs qu'il apprécie comme le youtubeur Philoxime, qui traite des questions éthiques, ou Osons Comprendre, plus politique. « Il faut se battre pour éviter chaque dixième de degré supplémentaire d'augmentation de la température. On ne peut pas baisser les bras » conclut le trentenaire qui va s'atteler avec un graphiste à une série sur « la science dure du climat », comme le bilan radiatif et l'action du CO2.

Un Bon Pote en colère

Thomas Wagner, plus connu sous le nom de Bon Pote, alerte aussi dans ses nombreux écrits sur l'urgence climatique. Cet ancien financier de trente-six ans a commencé à écrire fin 2018 sur le climat de façon anonyme, avant de se consacrer entièrement à cette activité début 2021. Comme Le Réveilleur, il est financé par les dons de ses lecteurs. Pour lui, les voix de la société civile qui s'élèvent peuvent avoir une influence sur les décideurs : « Quand les discours des étudiants ingénieurs sont repris par la presse, les politiques ou leurs conseillers le voient. C'est aussi le cas dans les départements RH des grands groupes qui ont des difficultés à recruter. » Il est, pour sa part, favorable aux actions de désobéissance civile des activistes : « Des scientifiques ont signé récemment un article dans Nature pour soutenir ces actes. » Malgré un été apocalyptique, Thomas Wagner reste prudent sur une réelle prise de conscience de l'opinion et des pouvoirs publics : « Aucun engagement structurel n'a été pris par le gouvernement. C'est factuel, que l'on soit pro- ou anti-Macron. » Sur le fond, son travail est sérieux et sourcé. Sur la forme, il a opté pour une approche plus musclée, en interpellant directement les responsables de mauvaises pratiques écologiques, par exemple sur LinkedIn ou Twitter, où il s'empoigne avec les tenants du statu quo et les climatosceptiques : « Quand l'ancien ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari affirme que l'aérien a entamé sa transition écologique, je poste la réponse du Conseil sur le Climat qui dit le contraire. Quand c'est Mélenchon qui dit n'importe quoi sur le nucléaire, je le signale aussi sur Twitter. » Il a entamé un tour des écoles de commerce pour les alerter sur les formations au changement climatique qu'il considère très insuffisantes : « Il y a des profs à Sciences Po qui croient encore à la croissance verte. » Ni optimiste, ni pessimiste, Bon Pote se dit réaliste mais son constat est inquiétant : « Il faut sortir de notre dépendance aux énergies fossiles mais, visiblement, nous n'en prenons pas le chemin. » Dan Geiselhart, cofondateur avec Lauren Boudard de la newsletter Climax qui est devenue récemment un fanzine papier, préfère, lui, l'ironie et la satire. Mais son but est identique : alerter sur le greenwashing et les mauvaises pratiques des entreprises et des pouvoirs publics.

Faire que le cool change de camp

Issu du monde de la tech et éditeur des newsletters Courriel et Tech Trash, Dan Geiselhart s'adresse avec Climax à un lectorat plutôt jeune et déjà sensibilisé à ces questions : « Nous avons tous été bercés par cette idéologie «croissantiste», avec un futur peuplé de voitures volantes. Notre objectif est de faire changer cet imaginaire pour s'accommoder des contraintes physiques d'un monde fini. Il nous faut imaginer un monde où on est heureux avec moins quantitativement, mais pas forcément qualitativement ». Sa solution : il faut que le cool change de camp. « Tant que certains jeunes pensent que la réussite c'est être riche, célèbre, habiter à Dubaï et acheter des tonnes de vêtements qu'on ne porte que pour ses stories Instagram, on aura perdu. » Problème : comment toucher cette population ? Climax parle déjà aux gens de la tech et aux entrepreneurs. Et compte sur la déconstruction de notre fascination pour le monde d'aujourd'hui, une tâche que Dan Geiselhart sait compliquée : « Nous sommes face à un problème systémique et c'est difficile de modifier les idées reçues. » Rendre positive la perspective d'un changement de comportement est néanmoins possible selon le cofondateur de Climax : « Si demain on pouvait avoir une Nabilla écolo, ce serait génial ! » Pour lui, toute forme d'action est importante : les manifs pour le climat, les actes individuels, la désobéissance civile et les nouveaux médias engagés. Mais il préfère l'humour et la dérision à cette culture de l'indignation et du clash que l'on retrouve sur les réseaux sociaux. Climax a signé avec d'autres titres de presse la « Charte pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique » mis en ligne le 14 septembre. Une autre manière d'améliorer l'information sur cette question du réchauffement climatique cruciale pour notre avenir.

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Commentaires 4
à écrit le 18/12/2022 à 4:28
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En se battant systématiquement contre TOUT les écologistes ne sont plus du TOUT crédibles ! C'est bien un dérèglement climatique et pas un réchauffement, dérèglement provoqué par la disparition de la couverture végétale des continents (déforestation)...

à écrit le 17/12/2022 à 13:17
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Encore des minorités agissantes qui font de la propagande, c est bien les écolos qui ont mis le nucléaire en crise, aux dernières nouvelles les énergies renouvelables qui coûtent une fortune sont incapables de fournir plus de 10% d énergie et par int...

à écrit le 17/12/2022 à 10:30
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"urgence à lutter contre le dérèglement climatique" : Il n'y a aucune urgence : Le dérèglement climatique est une fatalité. Nous allons tous mourir au moins un jour où l'autre de vieillesse, non ? Alors pourquoi ne dit-on pas "Il y a urgence à lutter...

le 17/12/2022 à 11:07
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Il n’y a pas de dérèglement puisqu’il n’y a pas de règlement climatique décrivant quelque chose de fixer une fois pour toute et qui ne varierait jamais. Par contre les sujets sur lesquels nous pouvons agir sont le niveau de population que peut suppor...

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