
Le GNL est-il une énergie de transition ?
C'est ce qu'affirment de nombreux industriels dont TotalEnergies, Engie ou encore Technip Energies, dont les bras de chargement fabriqués en Bourgogne sont expédiés partout dans le monde pour équiper les terminaux méthaniers et les usines de liquéfaction flottantes. « Le GNL est l'énergie carbonée la moins carbonée », aime ainsi souligner Antoine Piéton, le PDG de Technip Energies. « Le GNL est déjà un vecteur de décarbonation », souligne, pour sa part, Nelly Nicoli, la dirigeante d'Elengy, une filiale d'Engie opérant trois terminaux méthaniers français, et qui fournit du GNL pour la mobilité lourde et terrestre afin de remplacer le fioul.
Alexandre Joly, responsable du pôle Énergie du cabinet Carbone 4, balaie ce discours d'un revers de main. « Certes, le gaz naturel émet deux fois moins de gaz à effet de serre (GES) que le charbon, mais il est 10 fois plus carboné que les alternatives bas carbone, comme l'éolien, le solaire ou le nucléaire », pointe-t-il. Surtout, « la consommation de gaz naturel ne vient pas se substituer à celle du charbon, elle vient s'ajouter. On n'a jamais brûlé autant de charbon dans notre histoire », déplore l'expert.
En effet, selon les données publiées par l'Agence internationale de l'énergie (AIE), le monde a consommé en 2022 plus de huit milliards de tonnes de charbon, soit plus que le record historique enregistré en 2013. « Réussir la transition énergétique signifie respecter l'Accord de Paris, ce qui implique une diminution de 5% par an de toutes les énergies fossiles », rappelle Alexandre Joly.
L'empreinte climatique du GNL est-elle supérieure à celle du gaz russe ?
Oui, une récente analyse de Carbone 4 montre que le GNL en provenance des Etats-Unis émet plus de GES que le gaz russe. Or, sa part dans le mix gazier européen est passée d'environ 5% en 2021 à 20% début 2023 (avec des importations en hausse de 151% à 56,4 milliards de mètres cubes en 2022, selon les chiffres compilés par l'institut Jacques Delors), tandis que la part du gaz russe a, elle, chuté de 40 à 10% sur la même période.
Pourquoi ? Premièrement parce que le GNL se compose essentiellement de gaz de schiste. Or, extraire du gaz de schiste émet 2 à 3 fois plus de GES que l'extraction du gaz conventionnel. « Le procédé consomme plus d'énergie et l'ouverture du puits est plus longue ce qui génère plus de fuites de méthane », explique Alexandre Joly. « Ensuite, environ 10% d'énergie est perdue à l'étape de liquéfaction en raison de limites thermodynamiques », poursuit-il. Le GNL est, par ailleurs, transporté par des méthaniers, qui carburent en partie au diesel ou au mazout, sur de très longues distances pour arriver en Europe. Enfin, lors du transport, une partie du GNL s'évapore en raison de la chaleur. « Si ce gaz peut être réutilisé par le navire comme carburant, il est très souvent perdu (torchage ou fuites) », précise Alexandre Joly.
Résultat : au niveau des émissions amont (c'est-à-dire avant sa combustion), le GNL américain émet 20% plus de GES que le gaz russe acheminé par tuyaux, eux-mêmes critiqués pour leur vétusté qui occasionne également des fuites. Selon Carbone 4, cet écart grimpe à 45% par rapport au gaz russe acheminé par bateau, comme le montre le graphique ci-dessous.
Pourquoi la filière gazière communique sur des émissions supérieures, en moyenne, de 10% seulement ?
Car les émissions amont (celles que nous avons détaillées précédemment, liées à l'extraction, la liquéfaction et le transport) ne représentent que 20% de la totalité des émissions liées au gaz naturel, les 80% restants étant liés à sa combustion. Sur l'ensemble de la chaîne, le GNL américain utilisé en Europe émet donc bien, en moyenne, 10% de plus que le gaz russe.
« Quand bien même, à l'échelle du territoire français, l'impact est de 1 à 2 millions de tonnes d'équivalent CO2. Cela revient à effacer le bénéfice climatique de l'équivalent de 10 TWh de biométhane, alors qu'en 2022, seulement 7 TWh de biométhane étaient injectés sur le réseau français », pointe le cabinet Carbone 4.
Quid des infrastructures ?
« L'accélération du déploiement de nouvelles infrastructures gazières nationales est incohérente avec nos objectifs climatiques », estime, pour sa part, une récente publication de l'institut Jacques Delors. Depuis le début de la crise, huit nouveaux terminaux ont été mis en service. Et la capacité d'importation de GNL de l'UE devrait encore augmenter de 20% d'ici à 2024. « Pourtant, au niveau européen, les capacités d'importation de GNL étaient déjà surdimensionnées avant la crise », rappellent les trois chercheurs auteurs de cette note. Ils estiment que le déploiement de nouvelles infrastructures gazières répond, non pas à un problème de sécurité d'approvisionnement, mais « au problème de la mauvaise répartition des terminaux de GNL sur le continent ».
Par ailleurs, un certain nombre de nouveaux terminaux d'importation de GNL permanents sont prévus à l'horizon 2026. « Ces projets permanents ne répondent pas à la crise actuelle, vont à l'encontre de l'objectif de neutralité climatique et pourraient rapidement devenir des actifs échoués », alertent Phuc-Vinh Nguyen, Camille Defard et Fiona Breucker, qui invitent à une « meilleure planification des nouvelles infrastructures gazières à l'échelle européenne afin de trouver un équilibre satisfaisant entre la nécessité de garantir la sécurité d'approvisionnement et le respect des objectifs climatiques ».
Sujets les + commentés